Du haut de ses 23 ans de carrière au quotidien « Le Monde », Sylvia Zappi est désormais la voix des banlieues du journal. Déléguée syndicale et ex-militante d’extrême gauche, elle publie « La Maison des vulnérables » où elle raconte avec émotion le parcours des habitants d’un logement social. Portrait.
Devant le grand bâtiment en verre siglé « Le Monde », dans le XIIIe arrondissement. Une silhouette élancée et au sourire lumineux s’avance vers nous. « Veuillez m’excuser du retard, le comité d’entreprise a duré plus longtemps que prévu. » Quasiment depuis son arrivée au journal Le Monde, Sylvia Zappi est déléguée CFDT.
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Journaliste spécialiste des banlieues et auteur du blog « Au centre, la banlieue », elle vient de publier La Maison des vulnérables (Ed. Seuil). Pendant plus d’un mois, Sylvia Zappi s’est plongée au cœur du quotidien des habitants des deux immeubles flambant neufs de Bobigny, remplaçant le premier foyer Sonacotra de la région parisienne. A l’origine construit en 1956 pour héberger les travailleurs immigrés algériens, on y trouve désormais aussi « une nouvelle ‘clientèle’ moins marquée du fer rouge de l’immigration. Ce sont les plus pauvres qu’on loge ici. Des femmes et des hommes aux histoires chaotiques et souvent douloureuses », écrit la journaliste.
Le résultat ? Douze portraits émouvants d’habitants aux parcours très différents mais affrontant tous la même solitude. Avant de se lancer dans le journalisme, cette Franco-Italienne née à Paris dans le XVIIe arrondissement a milité à l’extrême gauche.
Figure de la mobilisation étudiante de 1986
Au début des années 1980, Sylvia Zappi, alors en double licence d’histoire et d’anglais à la Sorbonne, se mobilise pour la cause féministe, « C’était mes premières manifestations ». Elle écrira d’ailleurs avec Fadela Amara, Ni putes ni soumises en 2004 (Ed. La Découverte). Très vite, la jeune étudiante se syndicalise à l’Unef-ID, « il fallait ensuite choisir son courant politique ». Elle sera alors membre de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) – devenue ensuite le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) – de 1981 à 1988 avant tout « pour leur engagement auprès de l’égalité hommes-femmes » :
“J’avais une vision d’engagement de la politique, c’était une manière de participer à la vie citoyenne, se souvient-elle. Je continue de penser aujourd’hui que la politique est quelque chose de positif et que l’engagement est nécessaire.”
Les mois de novembre et décembre 1986 sont frappés par une mobilisation étudiante massive contre la loi Devaquet, du nom du ministre délégué à l’Enseignement supérieur de l’époque, qui prévoit notamment la sélection des étudiants à l’entrée de l’université. Pendant toute la mobilisation, Sylvia Zappi est porte-parole de la coordination étudiante. « En termes d’interventions et de prises de responsabilité, Sylvia n’avait pas froid aux yeux », se souvient son ami Eric Coquerel, coordinateur du Parti de gauche, également membre de la LCR à l’époque.
Du militantisme au journalisme
Elle est alors régulièrement sollicitée par les journalistes. Et les observe travailler : « En 1986, Gérard Courtois couvrait le mouvement pour Le Monde. Et j’avais été fascinée par sa présence à toutes les manifestations, sa capacité à suivre n’importe quelle motion d’assemblée générale à la virgule près et sa manière d’analyser les rapports de force. Un jour en lisant un de ses articles je me suis dis : ‘C’est ce métier que je veux faire' ». Dans la foulée, elle écrit avec David Assouline Notre printemps en hiver (Ed. La Découverte, 1987), où elle revient sur la mobilisation étudiante. Mais à la fin des années 1980, elle quitte la LCR et se tourne vers les Verts. « Et là, j’ai très vite déchanté », confie-t-elle :
« Je me suis rendu compte que c’était une organisation à la fois beaucoup moins militante et où, déjà à l’époque, les élections pesaient très fortement sur l’orientation. »
Un engagement qui se transformera en atout puisque c’est après un stage au service politique du Monde qu’elle est embauchée à L’Etudiant où elle traite de l’enseignement supérieur. Et Sylvia Zappi, une fois de plus, ne laisse pas ses convictions de côté. Elle crée une section syndicale. « J’ai toujours été syndiquée. Cela permet de défendre ses droits en tant que salarié et aussi une certaine éthique du travail ». Que ce soit au Monde ou à L’Etudiant, pendant les comités d’entreprises, « elle ne lâche rien », confie le journaliste Abel Mestre. « C’est une redoutable négociatrice, et elle arrive à obtenir beaucoup de choses pour les salariés”, ajoute-t-il. « Sylvia est une ‘indignée’ naturelle ! Le débat : elle adore », renchérit Isabelle Mandraud, journaliste au Monde.
Une couverture de la gauche parfois délicate
Trois ans après, elle travaille pour le quotidien La Truffe, « une sorte de Canard enchainé quotidien », où elle s’occupe, une fois encore, des questions d’éducation. Le journal fermera au bout de sept semaines à peine faute de moyens.
Rapidement, la journaliste est alors engagée au Monde de l’Education avant d’intégrer la rédaction du Monde une bonne fois pour toutes. Parlement, collectivités territoriales, environnement, immigration, gauche radicale, et enfin banlieues… Sylvia Zappi a travaillé dans quasiment toutes les plus grandes rubriques du journal. Au service politique de 2005 à 2012, elle doit notamment écrire sur les courants auxquels elle a appartenu dans le passé. Un obstacle pour son travail de journaliste ? Sur son bagage militant, elle répond sereinement : « Dans le journalisme, nombreux sont ceux qui ont milité. C’est très enrichissant, ça apporte une autre grille de lecture et de vraies connaissances du terrain. » Son amie Isabelle Mandraud le confirme, Sylvia n’en reste pas moins « une journaliste professionnelle, et rigoureuse. »
Pourtant, ses vieux amis de la LCR s’accordent pour dire que cette proximité « n’a pas toujours été simple à gérer ». Eric Coquerel, coordinateur du Parti de Gauche l’affirme « elle n’aurait pas dû couvrir un espace politique dont elle avait été aussi proche. J’ai toujours pensé qu’il ne fallait pas se lier d’amitié avec les journalistes, mais on se connaissait depuis les années 1980, du temps de la LCR… » Pierre-François Grond, ancien bras droit d’Olivier Besancenot reconnaît toutefois qu’« elle traitait le mouvement de manière très critique. Parfois même plus que ses prédécesseurs. »
« Chaque média devrait avoir un rubricard banlieue »
Pour Sylvia Zappi, la rubrique la plus lourde à traiter reste « celle de l’immigration ». « J’étais confrontée à des situations humaines de détresse absolue. A chaque fois, je rentrais de reportage complètement secouée », confie-t-elle. C’est plus de cinq après qu’elle décide de passer dans un autre service alors qu’elle assiste à une pièce de théâtre s’inspirant des histoires des migrants de Calais. Elle raconte :
« J’ai reconnu les personnages que j’avais moi-même rencontrés. Et j’ai passé trois heures du spectacle à pleurer. J’ai compris qu’il fallait que j’arrête… Non pas parce que la rubrique ne m’intéressait plus, mais car je n’avais plus le recul nécessaire. »
Aujourd’hui, elle est ravie de pouvoir traiter un autre domaine. « Chaque média devrait avoir un rubricard banlieue », insiste-t-elle avant d’ajouter :
« Il y a des situations de pauvreté, bien sûr. Mais on y trouve une grande énergie, et une capacité à inventer les moyens de sa propre révolte. Mettre en avant tout ça, ce n’est pas pour autant cacher ce qui va mal comme le trafic ou la violence. La banlieue regroupe toutes ces facettes et c’est cette complexité qui est intéressante à raconter. »
Bien qu’étant passionnée par sa rubrique sur les banlieues, Sylvia Zappi sera-t-elle de retour en politique pour couvrir l’élection présidentielle de 2017 ?
La Maison des vulnérables, de Sylvia Zappi, Ed. Seuil, 112 pages.
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