Une exposition new yorkaise célèbre le style de Susanne Bartsch, reine de la nuit des années quatre-vingt à aujourd’hui.
« Hallo ? » Elevée en Suisse alémanique, la productrice de soirées en a gardé l’accent. Et une certaine vision de la mode. “Enfant, j’étais fascinée par une friperie appelée Broken House, mais s’y rendre faisait nécessiteux, mes parents me l’interdisaient”, confie Susanne, « Puis, ils ont cédé ! J’ai commencé à m’habiller rétro et j’ai compris que la mode permettait d’être qui tu voulais, une Marie-Antoinette punk ou un modèle sexy.”
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Mais l’Helvétie est trop conservatrice pour Susanne et ses robes Fortuny qui s’envolent pour Londres. Elle y découvre, à défaut d’assister à ses cours d’anglais, les clubs underground et côtoie les “New Romantics” (excentriques post-punk). 1981, direction New York où, pour la Saint-Valentin, l’artiste Patrick Hughes l’invite à partager sa chambre du Chelsea. L’histoire s’arrête, Suzanne reste. Elle ne repartira jamais du mythique hôtel où elle reçoit notre appel.
« Cet établissement, c’est comme ma mère, je m’y sens en sécurité et si je n’ai pas d’espèces, j’en demande au réceptionniste ! »
« Susanne aime partager son incroyable énergie et catalyser les gens »
Elles sont loin, les parties de badminton champêtres quand maman, la vraie, lui disait : “Dans la vie, peu importe de gagner ou de perdre, l’important est de jouer;” Un adage qu’elle suit à la lettre lorsque, ennuyée par le conformisme new-yorkais d’alors, Susanne ouvre – avec un visa de tourisme – une boutique de mode anglaise à Soho. Succès. Elle est la première à importer ses amis Vivienne Westwood, John Galliano, Bodymap, ou encore le créateur de chapeaux Stephen Jones:
“J’ai effectué mon premier voyage à New York pour l’opening de son shop sur Thompson Street, je me rappelle m’être dit que nous vivions le début de quelque chose, et c’était vrai ! », avant d’ajouter, « Susanne aime partager son incroyable énergie et catalyser les gens.”
Comme en 1983, avec New London in New York, le défilé qu’elle organise au Roxy pour promouvoir sa boutique. « Une file d’attente se formait le long du bloc, je me souviens m’être sentie shootée par l’intérêt porté à quelque chose que j’avais produit.” Même sensation – et même carton – quand, quelques années après, elle organise ses premières soirées, « pour offrir un endroit où exhiber ses looks« , au Savage, un club disco qui venait d’ouvrir à côté du Chelsea. Mille branchés s’y pressent tous les mardis.
Susanne se lance dans la nuit
Fini les boutiques, Susanne se lance dans la nuit. Et notamment ses mensuelles décadentes du Copacabana où l’on croise Marc Jacobs (dont elle distribuait les vêtements alors qu’il est encore étudiant) aux côtés de Malcolm Forbes (l’éditeur) ou de Leigh Bowery (le performer).
« Uptown et dowtown, call-girls et businessmen, gays et straights, Susanne a apporté une touche ‘carnival’ à la nuit new-yorkaise en mélangeant les genres » raconte Kenny Kenny, lui aussi icône extravaganza et ami.
« Je voulais un espace sans jugement, où créer et s’amuser », ajoute-t-elle. Une insouciance qui la rattrape quand le sida frappe, « Mon carnet d’adresses commençait à comporter trop de croix« , confie Susanne qui s’engage dans l’organisation du Love Ball, « le premier raout de la mode pour une opération de bienfaisance« . Un million et demi de dollars levés et le voguing lancé (elle organisa un concours de voguers harlemites et l’on raconte que Madonna s’en inspira), l’émotion la transcende alors qu’on l’applaudit sur scène, au point d’être aujourd’hui son plus beau souvenir. « Je me rappelle d’elle dans son corset Mr. Pearl, à la fin du bal, épuisée mais heureuse » raconte Simon Doonan, le directeur artistique des magasins Barneys et complice de longue date. « Elle aime être au centre des choses, mais n’est jamais arrogante, elle adore l’autodérision ».
« On a l’âge de ceux avec qui l’on couche ! »
Philanthrope, Susanne eut elle aussi son protecteur, son ex-mari David Barton, rencontré en 1992 dans l’une des salles de sport dont il est propriétaire. « J’adorerais faire remonter vos fesses« , lui dit-il en guise d’approche. « Et il l’a fait ! » s’amuse Susanne, désormais séparée – mais très proche – du père de son fils Bailey. Comment s’éloigner de celui qui accepta de convoler en string, quand la mariée en léotard de cuir couleur chair signé Mugler était accompagnée, outre ses mille cinq cents invités, de quarante-trois demoiselles d’honneur (la plupart étant plutôt des damoiseaux) ? Parmi elles, Anita Sarko, dj et intime:
« Dans la vie, elle laisse son personnage de côté, j’adorais nos déjeuners du vendredi passés à discuter entre copines à s’empiffrer. »
Dans ces moments-là, Susanne porte son look de jour, jean et tee-shirt, rouge à lèvres et œil smocky. Des looks, elle en a trois. “Le day drag, le semi-drag et le full drag ». Si l’on imagine facilement le « full drag », le semi-drag est la tenue qu’elle porte lors des meetings business, « moins show off, telle une robe Gaultier crantée, je n’irai jamais à une réunion sans m’habiller, heureusement, j’en ai moins qu’avant ». Susanne s’est éloignée du monde de la fête après la naissance de son fils en 1994:
« J’avais aussi l’impression d’avoir fait ce qu’on pouvait imaginer de mieux et préférais arrêter les choses plutôt qu’elle ne s’arrêtent. C’est mon motto, l’important est d’évoluer pas de réussir. »
Pourtant, en 2006, quand Jeremy Scott redessine le club Happy Valley et que Kenny Kenny, qui y produisait des soirées, lui en propose une, elle n’hésite pas longtemps. Aujourd’hui, elle hoste plusieurs rendez-vous (On Top au Bain, Kunst à Brooklyn…) et la jeune génération de noctambules l’adule – comme le rappeur Mykki Blanco : “Elle est très chaleureuse mais sait être directe, je l’ai vue remettre à leur place des happy fews qui se comportaient mal avec ses performeurs ». Susanne sait ce qu’elle veut et l’obtient souvent. Ce qu’elle désire en ce moment ? Que l’on baisse le ton ! Quand on évoque son exceptionnelle longévité dans le milieu et, enfin, son âge, elle s’amuse : « On a l’âge de ceux avec qui l’on couche! » Mais son fils entre dans la pièce et sur cette affaire, la reine de la nuit préfère ne pas faire le jour.
Fashion Underground: The World of Susanne Bartsch, dès le 18 septembre au Fashion Institute of Technology – New York
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