Plus de dix ans après la mort de Jacques Derrida, la publication d’une conférence rappelle combien le philosophe établissait un lien substantiel entre le retour du religieux et la sphère médiatique.
Derrida part d’un constat apparemment fort simple : tout n’est qu’incarnation dans le christianisme, Jésus-Christ, le dieu fait homme, le pain, le vin, et l’eucharistie bien évidemment. Jamais nous ne pourrons espérer avoir un contact spontané et direct avec Dieu. Il est là sans être vraiment là, présent et absent, tel un spectre, au milieu de ces médiations mêmes qui tendent alors à rendre sensible son esprit.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Toutes ces manifestations dans l’espace public ne peuvent que signifier la mort d’un Dieu, inatteignable pour toujours, comme déjà mort. Il reste la croyance, alors, dernier recours pour pallier un tel manque, faire comme si l’esprit de Dieu devenait, pour nous, tangible.
Et précisément, l’auteur de L’Ecriture et la Différence observait en cette fin des années 1990 un singulier retour du religieux, indissociable du développement des médias, en particulier avec la télévision et l’apparition des chaînes d’information en continu. C’est cette expérience de la “spectralisation” que nous vivons quotidiennement.
La croyance en un dispositif télévisuel se révèle un acte de foi
Partout, il n’est question que de “direct” ou de “live”. La télévision dans son dispositif technique semble se contester elle-même en prétendant nous donner à voir et presque à expérimenter le réel sans aucun médium. Par là même, elle renoue, étonnamment, avec l’esprit du christianisme.
“Surtout, pas de journalistes !”, veut-elle nous fait croire. Ce n’est qu’une chimère, pour Derrida, car la télévision, ontologiquement, nous offre une réalité agencée et montée, médiatisée par ses moyens propres. Ce n’est pas une image agrandie du monde que l’on découvre mais, comme l’avait déjà vu Walter Benjamin dans les années 1930 avec l’émergence du cinéma et de la psychanalyse, une structure du monde inédite jusqu’alors. Le montage technique de la télévision nous donne accès à une autre expérience du monde, inconnue, à d’autres perceptions.
Survient alors le seul et véritable miracle : on y croit ! Le dispositif télévisuel, sans nous réclamer le moindre effort, sans même s’en apercevoir, parvient à nous extorquer un véritable acte de foi devant ce que l’on considère comme la réalité même. A son fondement, c’est le deuil du réel, d’une relation directe et sans intermédiaire aucun avec le monde extérieur, que l’on retrouve. Une critique de la télévision passe incontestablement par le dévoilement de cette illusion, comme son essence même, selon Derrida.
Surtout, pas de journalistes ! (Galilée), 96 pages, 15 €
{"type":"Banniere-Basse"}