Entre jeu érotique et passion équestre, le pony play a su soulever au fil des années une cavalerie entière de pratiquants attirés par un monde où se renversent les rôles et les stéréotypes. Visite d’une écurie un peu particulière, celle des poneys humains.
« Œuvre délirante, cauchemardesque, démentielle, morbide, quêtant le scandale.” En mai 1960, dans Le Figaro, le célèbre critique Jean-Jacques Gautier rend compte, atterré, du Balcon, de Jean Genet qui vient tout juste d’être présenté au public parisien sur la scène du Théâtre du Gymnase. Le pays reste abasourdi devant cette pièce irrévérencieuse dans laquelle les clients d’un bordel jouent le temps d’un soir les rôles qu’ils auraient aimé tenir dans leur propre vie.
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Parmi les scènes à l’origine du malaise, l’une des plus célèbres met en scène un faux général demandant à sa partenaire de se déguiser en cheval afin qu’il puisse la monter. Un jeu de rôle un peu particulier que la culture pop a rebaptisé « pet play » et qui s’étend désormais des pauses félines de Catwoman jusqu’à la cravache de Fifty Shades of Grey, en passant par les oreilles de lapin des pin-up Playboy.
Mais si les déguisements de chien et de chat sont sans doute les plus régulièrement mis en scène au cinéma ou dans les médias, l’une des variantes les plus surprenantes et les plus persistantes de ce jeu curieux reste pourtant le « pony play”, celui de la pièce de Jean Genet. Mais bien avant l’auteur du Balcon, la version poney du pet play s’était déjà trouvée un ambassadeur de marque en la personne d’Aristote.
Pour prouver l’amour qu’il porte à la courtisane Phyllis, le philosophe grec aurait en effet accepté de se faire monter comme un cheval, donnant alors à voir une métaphore de la sensualité assise à califourchon sur la sagesse. Connue comme le « Lai d’Aristote », cette légende inspirée d’un poème du XIIIe siècle a une valeur historique douteuse et difficilement vérifiable. Il n’empêche qu’elle a vu naître pendant la Renaissance un nombre impressionnant de tableaux, gravures et sculptures représentant le penseur en posture équestre. Encore aujourd’hui, le pony play est même parfois appelé « la perversion aristotélicienne ».
Cheval de cuir
Mais à en croire Katharine Gates, auteur du livre Deviant Desires : Incredibly Strange Sex paru en 2000, l’homme n’a pas attendu les fantaisies d’Aristote pour s’essayer à cet étrange inversement des rôles :
« Ce type de jeu de rôle existe probablement depuis que les hommes ont domestiqué les chevaux. La relation entre l’homme et le cheval a toujours eu une dimension sexuelle. Les chevaux sont des animaux à la fois beaux, puissants et sensuels. Nous les dressons et apprenons à contrôler leurs comportements naturels comme nous le faisons avec nos pulsions sexuelles. Donc lorsqu’un homme souhaite explorer sa propre animalité dans un contexte de domination et de soumission, le cheval semble être le rôle idéal à jouer. »
C’est donc finalement assez logiquement que ceux qui se revendiquent comme des poneys humains ont fini par frayer avec le monde du fétichisme, devenant parfois l’attraction de shows et d’événements spécialement dédiés au pony play et à ses déguisements hippiques.
« Quand la bride me passe autour de la tête et me rentre dans la bouche, je pénètre dans ce que j’appelle mon « espace poney ». Je me sens alors fringante, à l’image d’Onyx, mon alter-ego équestre. Je ne suis plus une femme, ni même une soumise. Je suis un poney », explique Jade, originaire de Saint Louis dans le Missouri.
Pour cette femme de 48 ans, le pony play est donc le révélateur d’une seconde personnalité animale, mais aussi un moyen idéal pour rencontrer des partenaires de jeu comme Warren, avec qui elle a commencé par des exercices BDSM plus classiques. « Il était le dominant et j’étais la dominée. Pour nous deux, le pony play a vite été un moyen de jouer nos rôles d’une manière différente et plus originale. »
Preuve que la sexualité ne délaisse jamais complètement le terrain des sentiments, Warren a fini par devenir le compagnon de Jade dans la vie quotidienne. Et lorsqu’en mars dernier, son décès tragique est venu mettre fin à leur relation, c’est un monde complexe de représentations et de rôles qui s’est écroulé pour Jade :
« Je ne sais pas si Onyx reviendra un jour. Warren, mon propriétaire, faisait tellement partie de son existence que sans lui, je ne suis pas sûre de pouvoir redevenir ce poney. »
Mode de vie poney
Mais pourtant, si l’imaginaire collectif associe souvent spontanément le pony play au milieu BDSM ou à une sexualité marginale, on comprend au fil de la discussion avec les poneys humains que la discipline n’a que très rarement une finalité purement sexuelle.
« Il y a dix ans, le pony play était surtout réservé aux joueurs plus ‘coquins’. Il y avait davantage de nudité, d’attouchements et de coups de fouet que ces dernières années. Mais maintenant, de plus en plus de personnes veulent jouer de manière la plus réaliste possible. Il n’y a donc rien de sexuel puisque ce qui les intéresse est surtout le mode de vie du poney. Mais l’image que les médias reflètent est toujours strictement sexuelle. Il s’agit toujours de mannequins en sangles de cuir qui se contentent simplement d’être belles… car c’est ce qui fait vendre”, explique Charisma, originaire de Santa Fe au Nouveau-Mexique.
A tout juste 28 ans, cette jeune Américaine est à mille lieues des égéries de cuir des clubs libertins. Le pony play, c’est en extérieur qu’elle préfère le pratiquer, comme un véritable cheval. Issue d’une famille aisée, elle s’est donc fait installer une écurie directement dans son jardin. Et lorsqu’elle commence à parler de sa passion, c’est avant tout une innocence d’enfant qui semble percer à travers ses mots :
« A l’âge de 4 ans, j’ai commencé à prendre des cours de poney dans un ranch local. Là-bas, on voyait souvent des petites filles tout à fait saines d’esprit en train de galoper, de sauter et d’imiter les chevaux du mieux qu’elles le pouvaient. Nous n’étions que quelques gamines jouant aux poneys, il n’y avait rien de sexuel là-dedans. Les années ont passé, mais je ne suis jamais passée à autre chose. Être un poney est pour moi un moyen formidable de faire du sport. Certains chevaux se contentent de rester tranquillement dans leurs boxes. Je ne suis pas de ceux là. »
Dès qu’elle a un peu de temps libre, Charisma s’entraîne donc au saut d’obstacle, enjambant les haies sous le regard parfois un peu incrédule de ses parents peut-être plus branchés par le jardinage, le golf ou les dominos. Mais après tout, ils ont bien dû s’y résoudre : à chacun son dada.
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