Les projets de cartographies sonores se multiplient sur le web : de quoi naviguer en écoutant le bruit du monde.
D’un clic, vous déclenchez le feulement d’une ventilation industrielle à Maribor, en Slovénie. Vous actionnez la loupe de Google Maps et l’effet de plongée vous pose sur le toit jaune, que vous sentez vibrer. Quelques glissements de liens, et de vos enceintes gicle le ruissellement né d’une toundra en pays inuit. Cinq secondes de navigation et un piano bastringue crépite, des rires ricochent : votre salon est un bar à la mode de La Nouvelle-Orléans. Santé.
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Depuis quelques années, les projets de cartographies sonores (sound maps) se sont multipliés à travers le monde, laissant deviner l’existence d’une confrérie transcontinentale de grandes oreilles supérieurement outillée en technologie. A l’écran, des cartes aux échelles variables (Google Earth ou de plus classiques), illustrées de pictogrammes qui donnent des indications sur les sources sonores ou précisent les conditions d’enregistrement.
Certains sites s’imposent par leur ambition ou leur concept : le très beau Aporee.org, la densité thématique londonienne de Soundsurvey.org.uk ou l’hybridation d’archives anciennes et récentes d’Ecouterparis.net. Qu’elles soient issues de villes avisées en e-tourisme, d’institutions médiatiques (comme la BBC), de collectifs d’artistes ou même de fields recordists solitaires, ces interfaces tentent de diffuser le même vertige : une impression d’ubiquité infinie et de vision globale couplée d’effets de perception auditive surdimensionnés.
Sous leur vocation documentaire brute, sous cette volonté d’archivage fragmentaire et aléatoire, sous le pur plaisir esthétique du flux sonore, l’expérience est hallucinatoire. Comment peut-on entendre aussi bien les détails du monde quand on est aussi loin ? En désinvestissant l’auditeur des conditions réelles de perception par une écoute médiatisée, la sound map perturbe ses niveaux de conscience et mélange les couches de réel. Elle altère son environnement sonore par la duplication d’un ailleurs reconstitué. Du réel augmenté ?
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Un site pousse la logique plus loin. Pour contrer l’effet d’échantillonnage que peuvent générer chez les autres des sons assez courts, Locusonus.org met en ligne de véritables streams en direct, émettant 24 heures sur 24. Des bénévoles à Medellin ou Berlin, un ingénieux réseau de PC dédiés et de micros ouverts, la confrontation à l’étrange normalité du réel est bluffante. Dans cet espace-temps suspendu, on est subjugué, intrigué, ennuyé. « L’idée est de percevoir sans connaître, commente un des initiateurs, le compositeur sonore Jérôme Joy. C’est la pensée de John Cage : ‘Que se passe-t-il face à l’imprévu, à l’indéterminé ?’ Une autre conception de son univers, sans doute. Quand on écoute Locusonus, au départ, on scrute, on essaye de déterminer des indices. Puis on part sur autre chose, on développe un autre imaginaire. » Un des projets de Jérôme Joy prévoit de poser des micros ouverts sur Mars, sans doute en 2018 avec la Nasa. La sound map ultime.
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