La face cachée d’Alain Delon, dans un documentaire un peu pipolisant.
Le “secret Delon”. C’est désormais un lieu commun propre à l’exercice du portrait : révéler, sous l’éclat des idoles, adulées et offertes, les zones d’ombre, la part maudite ou monstrueuse, la blessure. Comme si ces vies, promises à la lumière, ne l’étaient qu’au prix d’une tragédie intime.
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Le film que Philippe Kohly consacre à la star, Delon, cet inconnu, n’échappe pas à cette lecture psychologique, parfois menacée par une pipolisation du récit (notamment quand il évoque les femmes de sa vie, Romy, Nathalie, Mireille Darc, jusqu’aux “Delonettes” des années 80 ).
L’écran de tous les fantasmes
Cherchant dans “les larmes de la petite enfance” les racines d’une solitude qui ne l’a jamais quitté – le divorce des parents, la vie en nourrice à Fresnes, les séjours en pension, sans ami, etc. –, le film accroche, un peu malgré lui, ce qui fait le mystère Delon : l’opacité indéchiffrable d’un homme à la beauté animale, magnétique. Une beauté impénétrable, un charme irrésistible, se faisant l’écran de tous les fantasmes.Comme si sa présence, qui constitue la nature même de son jeu – face à la caméra, il ne “compose” pas, il se contente d’être là – avait essentiellement à voir avec le cinéma, qu’il soit d’auteur (Visconti, Antonioni, Melville, Zurlini) ou populaire (Deray, Verneuil).
Visage impavide, mi-ange mi-voyou, démarche féline, et bleu regard mélancolique… C’est d’abord un corps en mouvement, imposant à la caméra de le suivre, une silhouette prenant possession du cadre, comme un animal s’approprie un territoire, que René Clément filme dans Plein soleil, offrant à Delon son premier grand rôle.
En refusant judicieusement de camper le rôle du jeune bourgeois pour jouer celui du sombre Ripley, qui tue son ami puis usurpe son identité, l’acteur inaugure une filmographie caractérisée par les thèmes du double et de la quête d’identité (de La Tulipe noire de Christian-Jaque à Nouvelle vague de Godard, en passant par William Wilson de Louis Malle et surtout Mr. Klein, le chef-d’œuvre de Losey). S’y reflète la propre dualité de Delon, être solaire et ombrageux, acteur exigeant et star populaire, incarnant des personnages ambigus ou des monolithes aux machoires serrées…
Solitude sidérale
Si le film de Godard semble être comme le commentaire ironique de cette double polarité (l’homme au bout du rouleau/l’homme d’affaires carnassier), c’est Melville, maître partageant avec lui les mêmes valeurs masculines et le sens du tragique qui, dans les trois polars qu’ils ont tournés, dont Le Samouraï, a su le mieux capter la nature profonde de Delon, celle d’un loup solitaire, gagné par les ténèbres. Une silhouette métonymique (imper et chapeau) traquée à pas lent dans la rumeur étouffée de la ville, un fantôme presque vidé de toute substance. Du corps de Delon, de sa solitude sidérale, il aura fait la matière même de son film inoubliable.
Alain Delon, cet inconnu documentaire de Philippe Kohly. Dimanche 21, 20 h 45, Arte. Et aussi Personne ne bouge ! spécial à 16 h 20 ; Mr. Klein à 22 h 20
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