Journalistes hués et malmenés dans les meetings, silence radio des équipes de com : le suivi de la campagne de François Fillon est devenu un véritable marathon.
Le militant filloniste a le langage châtié. Toujours affable, accueillant et heureux d’exprimer ses convictions auprès des journalistes, il aime à redoubler d’inventivité pour répondre à leurs questions. Un joli exemple ? “Tu vas chier dans ta caisse et maintenant tu t’occupes d’un autre”, lancé par un soutien de François Fillon des plus sereins à une journaliste de La Nouvelle Edition de C8.
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Depuis les révélations du Canard enchaîné sur les emplois présumés fictifs de Penelope Fillon – mise en examen depuis, tout comme son époux –, les relations entre les journalistes et le candidat LR à l’élection présidentielle se sont largement tendues. Les derniers exemples en date ? La gifle reçue dimanche par Hugo Clément, reporter pour Quotidien sur TMC, par un militant lors du meeting de François Fillon Porte de Versailles, ou encore cette vidéo publiée lundi par Le Petit Journal, où l’on voit – le même jour ! – un reporter de l’émission de Canal Plus se faire sérieusement malmener par un membre de l’équipe de sécurité. Une plainte a été déposée à son encontre par le programme.
[🎥 VIDEO] Quand notre journaliste @Louis_Morin se fait agresser par les membres de la sécurité du meeting de @FrancoisFillon #LPJ pic.twitter.com/aBac8bn89K
— Le Petit Journal (@LPJofficiel) April 10, 2017
Difficultés de joindre son service presse – “Son attachée de presse ne répond quasiment jamais”, racontent plusieurs journalistes, comparant à une “TPE, même pas une PME” l’organisation autour du candidat, complètement “inefficace” et divisée en son sein avec certains proches collaborateurs “n’en pouvant plus de Fillon” – ou de parler avec le principal intéressé, certes réputé peu friand de l’exercice.
Difficultés, aussi, sur le terrain : il arrive qu’un petit “Nazis !” fende l’air rythmé par les sifflets antimédias des salles investies par l’ex-Premier ministre – variantes : “journalopes”, “collabos”, “fouille-merde”. De quoi inciter le Syndicat national des journalistes (SNJ) à se fendre récemment d’un communiqué s’alarmant du “spectacle’ indigne d’une démocratie” produit par Fillon – qui a d’ailleurs promis de s’attaquer à la transparence dans la presse s’il était élu –, ici comparé à Donald Trump pour son habileté à “désigner en meeting à la vindicte des militants les journalistes présents dans la salle”.
“Tous les militants ne sont pas comme cela”
Lors de ses allocutions, les propriétaires de calepins, micros ou caméras sont en effet rarement bien reçus, même si, comme l’explique Laure Daussy – la journaliste de C8 “gentiment” admonestée –, ce type de paroles fait figure d’exception : “C’était violent, mais surtout plus surprenant qu’autre chose. Tous les militants ne sont pas comme cela, ça reste une personne parmi tant d’autres – même s’il y a en effet un discours antimédias ambiant. J’ai juste eu un peu peur quand il a commencé à s’en prendre physiquement à la caméra, j’appréhendais qu’il fasse de même avec la journaliste qui filmait.”
Olivier Beaumont, grand reporter au Parisien, invite quant à lui à la nuance et à ne pas “surdramatiser les tensions. Ça peut arriver que des militants nous houspillent. Mais bon, c’est assez habituel dans les campagnes pour la présidentielle, ça arrive aussi chez d’autres candidats. Ça n’est pas agréable évidemment. Mais il y a aussi des gens gentils et constructifs.”
Reste que sous couvert d’anonymat, de nombreux autres reporters rapportent des scènes pour le moins désagréables. Une phrase des plus agressives a particulièrement marqué un journaliste d’un quotidien national, alpagué en plein meeting par un soutien échauffé : “Si Penelope se tire une balle, ça sera de ta faute.” Il se souvient aussi d’un autre meeting, à Compiègne, où le pôle presse avait été installé au milieu des militants – “A croire que cela avait été fait exprès…”
La théorie du complot bien ancrée chez les fillonistes
Impossible de travailler tranquillement : “Des gens venaient lire derrière notre épaule, et nous engueulaient ! A un moment, dans mon papier, je disais qu’il y avait beaucoup de personnes âgées dans la foule. Et là, j’entends un monsieur me dire ‘Ah non, y a aussi des jeunes !”
Mais au-delà des reproches verbaux, des altercations physiques peuvent aussi survenir, “plein de petits trucs de teignes !” Exemple : une journaliste reporter d’images victime de “petits coups de coude” dans la foule, pour l’empêcher de filmer.
Un journaliste d’une radio nationale assure avec placidité – parce que n’étant plus surpris de la chose – avoir déjà reçu des “connard” et des doigts d’honneur. Des “regards étranges” ont aussi croisé le sien, quand il n’est pas témoin de réprimandes sur une prétendue substitution des journalistes au pouvoir judiciaire : “Il y en a qui nous disent : ‘Vous vous prenez pour qui, des procureurs ?”
La croyance en la théorie du complot est d’ailleurs bien présente parmi les troupes fillonistes, comme l’a constaté une reporter : “L’histoire du cabinet noir, ils y croient tous. Et quand Fillon parle de ‘lynchage médiatique’ et d’acharnement, ça les galvanise.” Fillon qui, lors d’un meeting, a lui-même appelé ses soutiens, dans un élan lyrique, à “faire monter une clameur qui atteigne les salles de rédaction parisiennes !”
“Une stratégie de terre brûlée”
Au sein même des médias, “on se pose beaucoup la question de comment réussir à supporter cela”, explique un journaliste d’une chaîne d’info, qui ne compte pas se laisser intimider pour autant : “On essaie de se dire que ce n’est pas contre nous personnellement, mais contre ce que l’on représente. Mais ce n’est pas très agréable.”
Il évoque des insultes récurrentes – “Bien sûr qu’on se fait traiter de collabos ! Bon, c’est dingue de dire ça en vrai, ha ha…” –, des militants qui n’hésitent pas à monter sur les estrades prévues pour les caméras, obligeant l’organisation à intervenir pour les faire descendre, ou encore “des invectives incessantes sur les réseaux sociaux, qui reprennent le vocabulaire de la fachosphère, même de la part de gens probablement d’habitude plus modérés”.
Un autre journaliste n’hésite pas, lui, à parler d’une forme de fanatisme : “François Fillon aurait tué sa mère, ils voteraient quand même pour lui.” Selon lui, il est clair que le candidat est dans “une stratégie de la terre brûlée”, de quoi lui rappeler la campagne d’un certain… Nicolas Sarkozy, en 2012.
Un Nicolas Sarkozy que Fillon critiquait d’ailleurs ardemment à l’époque : “Il lui reprochait exactement cette attitude-là, il disait qu’il ne fallait pas combattre les contre-pouvoirs…” Il semblerait qu’il ait bien changé d’avis : “Je serai élu malgré vous. Et là, on verra…”, aurait-il lâché à plusieurs journalistes. Libre à chacun d’interpréter les points de suspension.
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