La radio énervée, ça coûte pas cher et ça fait du buzz, pensaient les propriétaires de Sud Radio en débarquant à Paris. A quel prix ?
Il y a un peu plus d’un an, Eric Mazet, animateur vedette de Sud Radio envoyait une photo de son sexe à une auditrice de la radio qui avait pris contact avec lui sur sa page Facebook. Alertée, la direction de la radio décida de classer l’histoire comme affaire privée. Mais plusieurs anciens s’en sont souvenus en apprenant que, le 22 août, le même Mazet avait interpellé ses auditeurs sur le thème “DSK soutenu par le lobby juif”. Attendait-on autre chose qu’un scandale en mettant à l’antenne un pareil tempérament et en lui conseillant de se lâcher ?
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Le CSA a envoyé à la radio une de ses fameuses mises en demeure. Mis à pied une semaine, Eric Mazet est allé se plaindre à la direction d’avoir été lâché. Après tout, on lui avait dit d’ouvrir les vannes. Antisémite ? Plutôt une grande gueule opportuniste, vedette d’une nouvelle grille de rentrée qui promettait de chasser le politically correct. “C’était le mec le plus facile à faire dériver”, dit un ancien journaliste de la radio. “On a agité un chiffon rouge devant un taureau” dit un autre. “Ouvrez-la !” répète le jingle de la radio toute la journée. Celui de l’émission de rugby promet “des grosses coucougnettes”. S’il fallait à Eric Mazet un signal supplémentaire qu’il pouvait y aller, ce fut l’arrivée de Robert Ménard, à l’antenne chaque matin de 7 h à 8 h 30 pour “Ménard en liberté”. De quoi faire passer RMC pour France Culture.
“Des conneries à l’antenne, il y en a toujours eues” explique un ancien, citant par exemple le jour où Eric Mazet, pas très réputé pour sa culture politique, a lancé à Jean-Marie Le Pen “vous êtes rentré dans la vie politique à 53 ans”. “Mais on y prêtait moins attention, parce qu’il n’y avait pas de fréquence parisienne”, poursuit-il. Depuis le 10 août, la radio émet à Paris sur 99.9. A Sud Radio, on sait gré au nouveau propriétaire, l’ex-groupe Start devenu Sud Radio Groupe l’an dernier, d’avoir réussi à décrocher de nouvelles fréquences : Paris après Marseille et Limoges. De quoi plus que doubler le bassin d’audience de la radio, au grand dam des autres généralistes qui auraient préféré que le CSA fasse ce cadeau à d’autres (LCI Radio ou BFM Business figuraient parmi la cinquantaine de candidats).
Les concurrents, eux, voient Sud Radio pomper la stratégie de RMC, reprenant les arguments d’Alain Weill pour réclamer des émetteurs au nord de la Loire, et le ton de ses animateurs outrés.
“Pour être rentable, il faut un point d’audience. A un point et demi, on est les rois du pétrole” a longtemps assuré à ses équipes Mathieu Quétel, nouveau patron de Sud Radio.
Il a des raisons d’espérer du pétrole : Sud Radio, en procédure de sauvegarde pendant plus d’un an, s’en est sortie avec un plan qui étale ses dettes jusqu’en 2020. L’info n’est pas une priorité du nouveau propriétaire. Sud Radio est la première généraliste du groupe dont le savoir-faire s’appuie essentiellement sur des musicales (Latina, Ado, Blackbox, Vibration, Voltage, Wit et Forum).
C’est en 2006 que la rédaction entend pour la première fois ses patrons vanter les bienfaits de l’“anarchy factor” qui fait un malheur sur les radios américaines. Un direct radio, c’est comme un Grand Prix de Formule 1, il faut des sorties de route pour que ça fasse battre le cœur. C’est à cette époque qu’Eric Mazet hérite d’une émission le soir, Liberté, Egalité, Eric Mazet.
Dans l’air du temps, l’indignation est aussi une stratégie économique : le prix d’un coup de fil. A la rentrée, la radio renouvelle toute sa programmation pour passer d’une grille généraliste avec jeux et musique à du “talk” en boucle. On économise : des journalistes se désolent de participer à une radio low cost.
“On n’a pas le temps de vérifier, on n’attribue pas les infos qu’on prend à La Provence ou à Midi libre, on pique des sons à la télé…” se plaint l’un de ceux qui ont récemment raccroché.
Au fil des années, la radio est passée d’une cinquantaine à une grosse dizaine de journalistes. “C’est moins que l’équipe de Bourdin”, relève un ancien à propos de la tête de gondole de RMC.
Face à Jean-Jacques Bourdin, Sud Radio déploie Robert sans frontières, dont RTL vient de se séparer, en le chargeant de la matinale.“Sud Radio rend sa liberté de parole à Robert Ménard, fondateur de Reporters sans frontières, bâillonné par RTL il y a quelques semaines ! Tu l’entends, le doux bruit du buzz ?” synthétise Denis Florent sur son blog. Il sait de quoi il parle. Consultant radio, il est présent dans le studio parisien avec Ménard quand il fait ses débuts. Couper un auditeur, prolonger un autre, Denis Florent lui fait des signes, lui passe des petits mots… Le chantre de la liberté de parole est savamment coaché.
A l’occasion, Ménard l’énervé se retrouve dans le rôle du modérateur, comme lorsqu’il réplique à un auditeur affirmant que “DSK avait la possibilité de se payer, avec les moyens qu’il a, autre chose qu’une négresse” : “Vous vous rendez compte des mots que vous employez ?” “Vous êtes en colère ? Dites-le” répète le jingle de la radio. Parfois, ils ne sont pas assez nombreux à être en colère pour alimenter la radio qui a décidé de remplir sa grille de libre antenne. Difficile de créer un flux d’appels ex nihilo.
Jean Robin, assistant de l’émission de Ménard pour ses premiers jours, se souvient avoir été chargé de “démarcher des auditeurs” pour provoquer des interventions. Pascal Bataille (Bataille à l’écoute) se plaint en interne de ne pas recevoir assez d’appels. Même tracas pour l’émission de confidences du soir de Peggy Broche. Elle comptait au départ sur un partenariat avec un site de rencontres pour s’approvisionner en appels. Il est tombé à l’eau. Ménard quant à lui compense à coups “d’experts” (de Thierry Meyssan sur le 11 Septembre à Roland Dumas).
Plusieurs journalistes ont quitté le navire. D’autres sont tiraillés. Pas fiers de la nouvelle grille, certes, mais attachés à leur radio et s’estimant victimes de la mauvaise foi des concurrents surtout préoccupées de préserver leur part d’audience. RTL et Europe 1 font aussi de plus en plus de talk, pourquoi pas Sud Radio ? Pourquoi s’offusquer de l’arrivée de Ménard sur Sud Radio quand Eric Brunet, figure de la droite populaire, débarque sur RMC ?
“Skyrock est condamné à 200 000 euros d’amende pour des propos sur la fellation quand j’entends régulièrement des histoires de sodomie d’éjaculation faciale chez Brigitte Lahaie sur RMC”, dit un journaliste.
“Il y a une connerie chez nous, elle est sanctionnée par le CSA et en interne (par une mise à pied). J’attends que la concurrence soit aussi scrupuleuse”, poursuit-il. Plus explicitement, Ménard se plaint que le CSA, saisi au sujet des propos antisémites de Jean-Michel Larqué sur le board d’Arsenal, ne se soit pas encore prononcé alors qu’il a réagi en 48 heures pour l’affaire Mazet. C’est en entendant Ménard se payer le CSA dans une interview qu’Eric Carrière et Francis Ginibre, le duo des Chevaliers du fiel, vieille émission de Sud radio, ont décidé d’annoncer leur départ. “Ils sont partis dans cette surenchère, on ne se voyait pas être l’étendard de ces gens-là”, explique Eric Carrière.
Des programmes emblématiques de la radio, restent le Duo des nons et le rugby. Eric Mazet devait reprendre l’antenne le vendredi 9 septembre. Il en est encore absent. La radio n’a pas souhaité répondre à nos questions. “Pour l’instant, on ne communique pas. On attend que les choses se décantent un peu.”
Guillemette Faure
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