Dans son nouveau volet “Pioneers of Olive Town” dont nous parle son réalisateur Hikaru Nakano, la simulation japonaise de vie à la campagne choisit la liberté sur tous les plans : les activités, le rapport au temps et même les questions de genre. Et aussi : le retour de la série rivale “Harvest Moon” et la plateforme d’inspiration 90’s de “Kaze and the Wild Masks”.
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Un peu d’honnêteté : qui n’a jamais rêvé de vivre une grande histoire d’amour avec Lobo, Kitty, Karen ou Salami ? Et même, si affinités, de fonder un foyer avec l’un·e ou l’autre des habitant·es de sa riante île d’Animal Crossing ? Une telle possibilité n’est pas à l’ordre du jour pour le jeu phénomène de Nintendo, mais une autre série japonaise évoluant sur un territoire proche le propose depuis déjà longtemps. Autrefois connue sous le nom d’Harvest Moon (rien à voir avec l’album légendaire de Neil Young) et désormais rebaptisée Story of Seasons pour des questions de droits, cette autre “simulation de vie” – qui a aussi inspiré le hit indé Stardew Valley – nous place à la tête d’une ferme que l’on va s’attacher à faire prospérer. Mais l’agriculture n’est qu’une des nombreuses activités envisageables dans Story of Seasons dont le nouveau volet, Pioneers of Olive Town, est aussi le plus riche à ce jour.
Refaire sa vie
Story of Seasons commence toujours par un départ qui est aussi un retour aux origines. Ici, notre jeune personnage décide de quitter la ville pour refaire sa vie à la campagne. Et pas n’importe où, car son grand-père fut l’un des fondateurs de la petite bourgade d’Olive Town qui l’accueille aujourd’hui à bras ouverts. Dans d’autres jeux de la série, il s’agissait de reprendre la ferme d’un aïeul là où, cette fois, on commence dans une modeste tente avant de s’agrandir, de s’offrir un poulailler et une étable, de développer nos plantations… Mais l’idée reste la même : renouer avec un passé plus ou moins lointain pour les populations urbanisées, celui d’une vie au grand air et en lien avec la terre, les bêtes, les éléments. Une existence forcément plus joyeuse et décontractée. Une vie, évidemment, largement fantasmée, mais c’est ce fantasme même, vaguement teinté de culpabilité – celle d’avoir rompu avec le quotidien de ses ancêtres –, qui explique sans doute le succès de la série depuis un quart de siècle. Si le jeu vidéo a pour fonction de nous faire vivre d’autres vies que la nôtre, qu’y a-t-il de plus exotique, de plus surprenant, pour un·e urbain·e que de s’occuper d’un champ de pommes de terre avant d’aller traire ses vaches ?
De ce point de vue, Story of Seasons n’est pas si loin, dans l’esprit, de Zelda ou de Pokémon, dont les créateurs respectifs, Shigeru Miyamoto et Satoshi Tajiri, n’ont jamais caché ce qu’ils devaient à leurs aventures d’enfance dans la campagne japonaise. Réalisateur de Pioneers of Olive Town (il est impliqué dans la série depuis 1999) et l’épisode Harvest Moon 64, Hikaru Nakano évoque lui aussi cette envie, “quand on s’approche d’une forêt, de voir jusqu’où elle va, ce qu’il y a derrière ces arbres, d’en découvrir plus… C’est cette sensation que l’on a essayé de reproduire dans le jeu, avec ce côté à la fois apaisant et parfois un peu effrayant de la nature. Se retrouver en pleine nature et pouvoir interagir avec elle, c’est quelque chose de très important pour nous et que l’on voulait vraiment apporter aux joueurs, en particulier aux citadins qui n’ont plus vraiment de contact avec la nature”.
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A la carte
Si elle possède une part magique – on y croise notamment assez vite des lutins et on ne serait pas plus surpris que ça de tomber sur un Totoro –, la campagne de Pioneers of Olive Town n’a cependant rien d’hostile, fidèle en cela à l’esprit d’une série dont l’un des signes particuliers, souligne Nakano, est que, dès son origine, on n’y trouvait “pas de combats, pas de batailles à mener”. Ce qui ne veut pas dire que la vie à Olive Town soit nécessairement un long fleuve tranquille. D’ailleurs, il y a ici comme deux jeux en un et c’est en démarrant sa partie qu’on choisit le sien. Option numéro un : le mode difficile, le travail, les obligations et le risque de se retrouver débordé par les tâches à accomplir. Ce qui peut bien sûr correspondre à une envie : l’une des branches majeures du jeu vidéo, c’est celle du défi, et Pioneers of Olive Town ne manque pas d’arguments en la matière.
Mais rien n’interdit de choisir l’autre mode de jeu, plus libre et détendu, plus “Animal ” en somme, pensé pour permettre de “découvrir le jeu plus en douceur, sans stress et de profiter de l’expérience sans avoir toutes les contraintes que peut retrouver un joueur plus averti” dans l’autre mode, car Pioneers of Oliver Town se joue à la carte. “On a toujours voulu que, quel que soit le rythme auquel chacun va vouloir jouer, il soit possible de progresser, poursuit Nakano. C’est un point central de la série. On a même élaboré ce jeu avec une telle liberté que, bien qu’il y ait le mot ‘ferme’ dans le titre [Bokujō Monogatari en japonais, soit “histoire de ferme”], en réalité, on n’est même pas obligé de pousser très loin l’agriculture. On peut se contenter d’aller pêcher des poissons ou de casser des roches dans la mine, de faire des petites choses par-ci par-là…” Se fixer ses propres objectifs, se balader, regarder le temps passer.
Rom-com rurale
C’est l’un des paradoxes de Pioneers of Olive Town, simulation de vie apparemment centrée sur le labeur qui se veut aussi un joyeux monument à la gloire du temps libre. Son secret : faire du travail, au moins dans son mode de jeu le plus décontracté, une activité parmi d’autres. Ni plus, ni moins. Récolter des légumes, couper du bois, prendre des animaux en photo, aménager son intérieur, donner des friandises à son animal de compagnie ou partir se balader en ville, c’est la même chose : une action choisie, intéressante, stimulante ou délassante. Et parfois presque hypnotique quand il s’agit d’arroser longuement ses plantations : on se sent ailleurs, apaisé par la douce répétition. L’autre belle réussite du jeu, c’est sa manière de concilier l’esprit de découverte avec l’idée de foyer. Mais ce lieu où l’on se replie à chaque fin de journée est ouvert sur l’extérieur : c’est une bulle accueillante, un espace à partager. Ce qui nous ramène aux affaires de couple.
Dans Pioneers of Olive Town, nos discussions avec les villageois·es peuvent nous conduire jusqu’au mariage, et cette dimension de rom-com rurale est l’une des principales raisons de s’y attacher sur la durée. D’autant que, depuis Friends of Mineral Town, les couples de même sexe ont aussi la possibilité de convoler. Hikaru Nakano ne semble pas en faire un motif de fierté, mais présente cette évolution comme relevant de l’évidence. “On considère que c’est dans l’esprit du jeu, dit-il. Les joueurs peuvent se mettre en couple avec ceux qui leur correspondent. C’est quelque chose qui nous a semblé parfaitement adapté.” Peut-être plus discrète, la nouveauté en matière de genre de Pioneers of Olive Town pourrait bien être tout aussi importante. Au lieu de choisir au début de l’aventure si notre alter ego sera un homme ou une femme, on décide simplement de son apparence, couleur de peau, coupe de cheveux ou tenue vestimentaire, sans qu’aucune étiquette ne lui soit assignée d’emblée. Le reste viendra en jouant. Le choix de la liberté, encore, qui fait un bien fou. Et qui, un an après Animal Crossing : New Horizon, contribue encore un peu plus à faire de ce Story of Seasons généreux et plein de charme une nouvelle destination conseillée pour temps troublés.
Story of Seasons : Pioneers of Olive Town (Marvelous Entertainment / Just For Games), sur Switch, environ 50€
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Harvest Moon : Un monde à cultiver
Il y a de quoi s’y perdre. En 2014, la saga Harvest Moon devenait Story of Seasons sans changer de développeurs pendant que la “marque” Harvest Moon demeurait la propriété de son ancien éditeur Natsume qui lançait sa propre série de jeux agricoles sous le même nom. Son dernier volet nous arrive en même temps que le nouveau Story of Seasons et frappe par ses partis pris bien différents. Il adopte en particulier plus franchement une structure de jeu de rôle, avec la logique de missions et d’objectifs imposés l’emporte sur tout le reste. Dans son monde assez terne, tout coûte cher et tout prend du temps, au point qu’après avoir terminé nos semis du jour, on se couche parfois à 10 heures du matin pour les voir pousser plus vite. Il n’est pas du tout impossible de se laisser prendre au jeu, en particulier pour sa curieuse invitation au voyage – notre ferme est ici une chose transportable. Mais Un monde à cultiver souffre beaucoup trop de la comparaison avec Pioneers of Olive Town.
Sur Switch, Natsume, environ 50€
Kaze and the Wild Masks
Le meilleur Donkey Kong Country depuis Yooka-Laylee and the Impossible Lair. Tel est le titre que l’on décernera sans hésiter à Kaze and the Wild Masks, qui interprète presque sans faute la partition du jeu de plateforme nineties. Notre héros-mascotte, cette fois, est un lapin, et comme c’était alors l’usage, ses pouvoirs découlent de ses caractéristiques – il pourra donc s’accrocher et faire l’hélicoptère avec ses oreilles. Il y a des boss, des transformations en oiseau ou en requin, des mondes thématiques… Tout ce qu’on pouvait alors attendre d’un (bon) platformer. Pour l’innovation, on repassera, mais là n’est sans doute pas le projet. L’idée, ici, serait plus de revivifier les principes ludiques d’hier avec les technologies d’aujourd’hui (le confort des consoles modernes, la HD…) Mission accomplie par cet entêtant jeu d’artisans.
Sur PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series X/S, Switch, PixelHive / Soedesco / Just for Games, environ 30€
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