Le premier jeu de l’autrice de bande dessinée, et désormais game designer, danoise Ida Hartmann nous fait partager l’été pas bien joyeux de sa jeune héroïne. C’est une révélation. Et aussi : une étonnante adaptation de « La Métamorphose » de Kafka et l’impressionnante simulation de golf « PGA Tour 2K21 ».
« Ça pourrait me faire du bien de sortir un peu. Entretenir ma vie sociale… Rencontrer l’amour de ma vie ? Passer en mode fêtarde ! » Chaque pression sur l’écran tactile ou sur le bouton de la souris fait surgir un dessin qui, plus encore que le précédent, semble contredire la bulle de dialogue qui l’accompagne. Un regard angoissé, des mains qui viennent cacher les yeux, puis c’est tout le visage de la jeune femme qui semble se déformer pour nous transmettre sa terreur en plan très rapproché. C’est l’été, les vacances, à Copenhague, sa ville. De toute évidence, elle ne va pas très bien.
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BD à choix multiples
Premier jeu de l’autrice de bande dessinée danoise Ida Hartmann, Stilstand se présente comme un roman graphique interactif. Parfois, notre rôle se limite à déclencher l’affichage d’un dessin, puis d’un autre, pour compléter la « page » – qu’on ne verra jamais tout à fait du même œil que si elle nous avait été donnée entière d’emblée. Parfois, aussi, une zone bleutée apparaît sur l’image en noir et blanc pour signaler qu’une action plus directe est possible. Par exemple : faire boire notre héroïne. Ou fumer. Ou passer d’une chaîne à une autre sur la télécommande de sa télé pour s’arrêter, peut-être, sur l’image d’un virus – sale tronche, le corona. Ou faire défiler les profils masculins sur son téléphone équipé de l’application « Splinter » (toute ressemblance avec une appli existante…)
Parfois, encore, c’est à nous de décider quels mots la jeune femme va prononcer, pour un effet BD à choix multiples, notamment face à ce garçon à moustache qu’elle a accompagnée, après une longue hésitation sur la tenue à porter, visiter une exposition d’art contemporain. Parfois, enfin, la bande dessinée mutante se transforme en un vrai petit jeu vidéo. Il y a « Crazy Cat Lady », qui rappelle l’ex-phénomène Flappy Bird (et auquel on n’a pas pu s’empêcher de jouer jusqu’à dépasser les 100 points). Il y a un jeu de voitures, aussi, sur fond de discussion qui se cherche à deux. Et voilà notre personnage qui se débat soudain sous l’eau. Littéralement, parce que métaphoriquement, elle évoluait depuis un bon moment dans les grandes profondeurs, et l’un des atouts de Stilstand est l’aisance avec laquelle il brouille les frontières entre le métaphorique et le littéral.
Moi et le monde
Quelque part entre un Florence (dont il partage le goût des mini-dispositifs ludiques discrètement expérimentaux) qui aurait troqué la ligne claire pour un trait moins propre, plus âpre et tremblant, et un visual novel qui tournerait le dos aux mangas pour chercher plutôt l’inspiration dans la BD underground occidentale, Stilstand frappe par la parfaite adéquation entre son allure (instable, lancinante et pourtant percutante) et son propos. Son sujet : moi et le monde. Comment faire avec, ou sans, quand on ne se sent pas trop bien là où l’on est (dans sa vie, son époque, son appartement, son corps…) mais sans nécessairement penser qu’on serait mieux ailleurs ? Quand on ne sait plus trop aux attentes de qui on essaie de coller, ni si l’on échoue presque systématiquement parce qu’on est une catastrophe ambulante ou tout simplement parce qu’au fond, on n’a peut-être pas envie de tout ça.
Temps suspendu
Notre héroïne en crise n’est cependant pas seule. Avec elle, dans son intimité même, il y a… quoi, au fait ? Une ombre ? Un monstre ? Une créature immobile aux grands yeux, en tout cas, que l’on présenterait bien comme la personnification de sa dépression si l’on ne craignait pas, ce faisant, de trahir une œuvre qui ne cherche pas particulièrement à nommer des états mais, plutôt, à leur trouver une forme pour les donner à voir et à ressentir. La première réussite de Stilstand est ainsi figurative, picturale : c’est sa manière de faire se rencontrer visuellement, se cogner, se contaminer l’intériorité de son personnage et le monde qui l’entoure. Et ce, de manière directe, frontale. Et souvent drôle, aussi étonnant que cela puisse paraître à ceux qui n’ont jamais été sensibles à l’humour triste et (faussement) désabusé. Cela passe aussi par un rapport singulier au temps, dont le système d’interaction du jeu redouble la tendance à la suspension, car tant que l’on ne fait rien, l’instant se prolonge indéfiniment. Jusqu’au moment où le temps semble soudain progresser par bonds, suscitant à la fois l’incrédulité de la jeune femme qui en est la première passagère et la nôtre. Tout cela se produit-il réellement ? S’agit-il toujours de sa vraie vie ?
Un été. Telle est donc l’unité de temps de ce récit atypique auquel Ida Hartmann a l’élégance de ne donner ni début ni fin. Ce qui arrivera ensuite à la jeune femme, on l’ignore, de la même manière qu’on ne sait pas précisément ce qui a précédé et l’a ainsi ralentie, abimée, refermée. Pas de conclusion ou de morale à cette histoire qui, après avoir duré le temps d’un film, s’achève comme elle avait commencé. Pas de suite, sinon en nous, qui ne sommes pas près de l’oublier.
Stilstand (Niila Games), sur Mac, Windows, iOS et Android, 5,49€ (mobiles) ou 7,99€ (Steam)
Et aussi :
« Metamorphosis »
Dans la famille des jeux pas trop joyeux, voici l’adaptation littéraire, et pas forcément de l’œuvre qu’on s’attendait le plus à voir débarquer en jeu vidéo : La Métamorphose de Franz Kafka. Les développeurs du studio polonais Ovid Works ont cependant pris pas mal de libertés vis-à-vis du matériau d’origine, la principale étant que notre personnage ne s’y réveille pas dans la carapace d’un insecte géant, mais d’une bestiole minuscule dont la principale difficulté sera de trouver son chemin en des lieux vraiment pas conçus pour elle – 1001 Pattes x Kafka, en somme. Nous voilà donc en quête d’un moyen d’escalader un meuble, grimpant sur un peigne ou un crayon et pestant quand on retombe au fond d’un tiroir avant d’engager la discussion avec d’autres insectes. L’affaire tourne ainsi au jeu de plateforme, mais avec en fond un récit humain dont la métamorphose de notre alter ego nous exclut largement. Le rapport entre ces deux « pistes » visuelles, sonores, ludiques et narratives fait tout le sel de cet étonnant jeu indépendant.
Sur PS4, Xbox One, Switch, Ovid Works / All in ! Games, de 20 à 25€
« PGA Tour 2K21 »
On peut aimer des jeux aux approches opposées justement parce qu’elles le sont. Ainsi, ce n’est pas parce qu’on a succombé à la géniale fantaisie de What the Golf ? (ou à Golf Story, à Golf With Friends…) qu’on ne pourrait pas être en même temps sensible au sérieux de PGA Tour 2K21, la très officielle simulation du circuit de golf professionnel. Ici, des parcours au matériel en passant par les conditions météorologiques, tout se révèle précis, soigné, fidèle à la réalité. Mais tout est paramétrable, aussi, ce qui permet d’adapter de manière très fine l’expérience à notre maîtrise de son système de jeu très riche et complet autant qu’à notre éventuelle envie du moment. Au point qu’on pourra le pratiquer de bien des manières : en perfectionniste à la recherche de l’enchaînement parfait, en compétiteur avide d’affrontements en ligne, en amateur de longues balades à la fraîche… On avoue avoir un faible pour l’option 3.
Sur PS4, Xbox One, Switch, Windows et Stadia, HB Studios / 2K, environ 60€
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