Chaque mois, Stack Magazines envoie à ses abonnés une publication dont ils ignorent tout et dont la thématique leur est inconnue. Une façon originale de promouvoir la presse indépendante. Rencontre à Londres avec Steven Watson, fondateur de cette start-up pas comme les autres.
Une pile de magazines est posée sur une table au sous-sol de Makerversity, l’incubateur de start-ups de Somerset House, à Londres. On y distingue Printed Pages, version papier du site de graphisme It’s Nice That, Anxy, un fanzine américain qui se penche sur la santé mentale des jeunes, The Gourmand, une publication mêlant culture et nourriture, ou Migrant Journal, sur le thème de la circulation des personnes et des marchandises.
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Ces titres indépendants font partie de la sélection envoyée par Stack Magazines à ses 3 800 inscrits : chaque mois, ce service d’abonnement sélectionne une perle de la presse indépendante et l’envoie à ses abonnés, donnant une visibilité immédiate à des titres de presse souvent peu distribués. Photographie, peinture, grands reportages, contre-culture, bande dessinée, séries mode…, tous les thèmes possibles et imaginables sont explorés sur une variété de supports.
Des abonnés qui veulent être surpris avant tout
“Quand on demande à nos abonnés ce qu’ils estiment être le plus important dans notre choix, ils répondent toujours qu’ils veulent avant tout être surpris, explique Steven Watson, fondateur de Stack Magazines. Ce n’est pas une question de prix, ou de qualité, mais vraiment de découvrir quelque chose de différent. Alors, on s’efforce chaque mois de faire en sorte que, quand la livraison Stack tombe dans votre boîte aux lettres, vous y trouviez quelque chose d’inattendu.”
En décembre 2017, les lecteurs ont ainsi pu découvrir le magazine Zoetrope: All-Story, recueil de nouvelles créé par Francis Ford Coppola. Quelques mois plus tard, c’est au tour du fanzine Azeema, publication destinée à donner une nouvelle image de la femme maghrébine et moyen-orientale (lire notre rencontre avec les trois fondatrices). Le tout pour une somme fixe : 15 euros par mois en France pour des magazines généralement introuvables en dehors de leur pays de production.
L’idée d’un service d’abonnement à la presse indépendante a émergé alors que Steven, originaire de Hull, dans le nord de l’Angleterre, travaillait en tant que concepteur-rédacteur pour une boîte multimédia située au-dessus de Magma, une boutique de magazines dans l’est de Londres.
Mais d’où sortent ces magazines complètement dingues ?
“De temps en temps, quand je m’ennuyais au travail, je descendais à la boutique pour regarder leur sélection de magazines, se rappelle Steve. Et je me disais : mais d’où sortent ces magazines complètement dingues ?” En parallèle, un ami reçoit comme cadeau d’anniversaire un abonnement à une marque de T-shirts, qui lui envoie chaque mois un modèle différent. Peu de temps après, Steve tombe sur un article de blog expliquant que la meilleure façon de se cultiver est de lire un magazine différent par jour. Trois mois plus tard, en décembre 2008, Stack Magazines est né.
Des magazines contactés plusieurs mois en amont
La mise en place du business model n’a cependant pas été immédiate. “Je me suis retrouvé à la Poste avec cent magazines à envoyer, en plein rush avant Noël, rigole encore Steve. Ils ne savaient pas quoi me dire, ils étaient absolument débordés. Alors je me suis posé dans un coin pour coller manuellement tous les timbres.”
Au fil des mois, son appartement sert pour le stockage, emplissant les lieux de cette odeur caractéristique de papier tout juste imprimé, agréable quand on la sent furtivement en feuilletant un ouvrage, mais pas forcément dès le matin au réveil.
Dix ans plus tard, Steve s’est doté d’un centre d’envoi dans le Kent et de deux collaboratrices ; il a aussi mis en place un système bétonné : les magazines sont contactés plusieurs mois en amont, pour les préparer à un tirage supplémentaire, et afin qu’ils envoient le nombre de magazines choisi au centre d’envoi. Le premier du mois, les abonnés sont débités, et, cinq jours plus tard, Steve transfère leurs adresses au centre. Aux alentours du 10, la livraison Stack arrive dans les boîtes aux lettres.
3 800 lecteurs assurés, une véritable aubaine pour les magazines élus
La réussite de Stack dépend du problème majeur auquel doivent faire face les magazines indépendants : la distribution. La première fois que Steve découvre le magazine de cinéma Little White Lies, seulement distribué dans des points de vente de niche, il est étonné de ne pas connaître ce magazine qui colle parfaitement à ses centres d’intérêt.
Mes potes adoreraient ce magazine ! Pourquoi ne le connaissent-ils pas ?
“La première chose que je me suis dite, c’est : mes potes adoreraient ce magazine ! Pourquoi ne le connaissent-ils pas ?” Les publications vendues chez un kiosquier spécialisé, comme WH Smith, sont souvent cachées derrière des titres plus mainstream, et quand même bien elles sont découvertes, leur prix plus élevé peut dissuader l’achat.
En fonctionnant via un système d’abonnement, aucun risque d’invendus : le nombre de magazines est commandé en fonction du nombre d’abonnés, ce qui permet à Stack de bénéficier d’un prix cassé. Pour la plupart des magazines indépendants, dont les tirages dépassent rarement les 2 000 exemplaires, 3 800 lecteurs assurés est une véritable aubaine.
Création des Stack Magazines Awards en 2014
En dix ans de Stack Magazines, Steven a constaté une augmentation de la création de titres indépendants et un intérêt renouvelé pour la presse papier. Il a aussi pris l’habitude de se retrouver chaque fin d’année pour discuter de leurs magazines préférés avec un groupe d’amis autour d’une pinte.
En 2014, Steve décide de passer un cran au-dessus : les Stack Magazines Awards récompensent ainsi chaque année le meilleur de la presse indépendante, grâce à un jury prestigieux (en 2017, Gail Bichler, directrice du design du New York Times Magazine, et Will Hudson, fondateur de It’s Nice That).
L’événement est devenu de fait salon annuel de la presse indépendante, invitant le public à venir à la rencontre de ces magazines inconnus et permettant à ces mêmes magazines de se rencontrer entre eux : “En quelques mois, j’ai reçu plusieurs publications basées à Londres réalisées par des personnes de couleur (il utilise l’acronyme BME, “black and minority ethnic” – ndlr”), raconte Steve.
“Ils se connaissaient de nom, mais ne s’étaient jamais retrouvés. Leurs projets étaient complémentaires, et je pariais qu’ils avaient à gérer les mêmes problèmes. En discutant avec eux lors de cet événement, j’ai vu que c’était le cas.”
Stack organise également des tables rondes et des interviews diffusés sur son podcast. Récemment, le fondateur de l’influent magazine Apartamento passait derrière le micro, tout comme le tout jeune magazine de Bucarest Kajet. “Les deux fondateurs, Petrica et Laura, étaient supernerveux : c’est leur premier magazine, et c’était leur première interview, sourit Steve. En réécoutant l’épisode, on sent à quel point c’est un moment important dans leur vie, c’est électrisant ! Ça, pour le coup, on ne peut pas vraiment le ressentir à l’écrit.”
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