Fabrique artistique et espace culturel à succès, la Friche est soucieuse de s’investir davantage dans son quartier délaissé de la Belle de Mai. Elle a ainsi invité le street artist JR à travailler avec les jeunes du coin.
Enclavée, presque dissimulée derrière les rails de la gare Saint-Charles, la Friche est pourtant devenue, en deux décennies, un lieu emblématique de la culture marseillaise. Installée au cœur de l’ancienne manufacture de tabacs du quartier de la Belle de Mai, ce lieu est dédié à la création artistique contemporaine. Danse, audiovisuel, théâtre, musique, une soixantaine de structures cohabitent dans un espace de 45 000 m2. Parmi lesquelles plusieurs théâtres, espaces d’exposition, ateliers d’artistes, ainsi qu’un restaurant, une librairie et même un skatepark.
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Un projet en perpétuelle évolution, initié en 1992 par un écrivain-poète. A l’époque, Julien Blaine aka Christian Poitevin, alors adjoint à la culture du maire socialiste Paul-Robert Vigouroux, propose à Philippe Foulquier, directeur du théâtre Massalia, de s’installer dans l’ancienne manufacture. Fermée depuis deux ans, la municipalité espère alors redynamiser un quartier qui s’enfonce dans la crise. “Quand on arrive, la Friche est une plaie encore béante. Il y a une agressivité. Dans la tête des habitants, on prend la place des ouvriers”, se souvient Philippe Foulquier. Avec l’élection de Jean-Claude Gaudin, maire UMP, et la naissance d’EuroMediterranée, un gigantesque projet urbain toujours en cours, l’aventure connait un second souffle. “La gauche ne comprenait pas la Friche. C’est Gaudin en 1995 qui en fait un thème de campagne”, indique Phlippe Foulquier.
A l’époque, les fondateurs qui envisagent la culture comme “un atout de développement urbain” et “une alternative économique”, pensent ressusciter cette fabrique abandonnée. Vingt ans plus tard, pari réussi. La Friche est devenue un espace attractif qui déplace les foules – 400 000 visiteurs en 2013 – et qui emploie quelque 400 personnes. Malgré la crise, les investissements publics se maintiennent, notamment grâce à Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture. En deux ans, de nouveaux investissements ont vu le jour. Et les candidats, UMP comme PS, l’ont promis, pas de coupe budgétaire prévue pour l’année prochaine.
“Créer des liens avec le quarier”
En parallèle, le quartier de la Belle de Mai, situé dans le troisième arrondissement de Marseille, le plus pauvre de France dit-on, peine, à sortir de la précarité. Ses 13 000 habitants le savent, le bilan des années Gaudin concerne surtout la Friche. Cet ancien fief communiste, converti depuis au socialisme – et très récemment au Parti radical de gauche – n’a jamais vraiment suscité l’intérêt de la droite. “Cela fait dix-huit ans que le maire ignore totalement le quartier”, lance, presque résigné, Serge Pizzo, président du comité d’intérêt de quartier (CIQ).
En cinquante ans, ce sexagénaire a vu les commerçants plier boutique, les maisons se vendre et les habitants s’enfoncer dans la pauvreté mais “heureusement qu’il y a eu la Friche”, dit-il. Attirés par les prix de l’immobilier, de nouveaux arrivants ont posé leur valise. “Les gens avaient du mal à pénétrer dans la Friche. Pour eux, c’était un lieu de travail, raconte Serge Pizzo. Mais la Friche a très vite compris qu’il fallait créer des liens avec le quartier.” Au fur et à mesure, la direction tente de s’impliquer dans la vie du quartier notamment en participant à sa fête annuelle et en organisant un partenariat avec le centre social.
Mais, à en croire certains, ce n’est pas assez. La Friche, symbole d’un passé industriel encore douloureux, continue, selon eux, à se développer en marge du quartier. “En terme d’emplois, beaucoup lui reprochent d’avoir recruté à l’extérieur, rapporte le président du CIQ. Les collectivités et la Friche auraient dû anticiper, sensibiliser les jeunes sur la nécessité de se former mais ça n’a pas été compris. Ils sont tombés dans les clichés et ont employé des jeunes du quartier à la médiation.”
Le street-artist JR colle avec des élèves de troisième
“Pendant longtemps la Friche a eu la réputation d’être un quartier dans le quartier, trop élitiste. Du coup, difficile de pousser les professeurs à travailler avec”, glisse Noëlle Delcroix, professeur de français au collège Belle de Mai. “Je ne peux pas dire que l’on reçoit beaucoup de propositions de la Friche. Les collègues sont un peu déçus. Ils n’ont pas le sentiment que le lieu s’ouvre beaucoup”, poursuit Luc Bruna-Rosso, directeur de l’école primaire Bernard Cadenas.
Avec l’arrivée d’Alain Arnaudet, directeur depuis 2011, la Friche tente de rectifier le tir. “Ce lieu est un vrai projet politique au service de la création, des citoyens et du rayonnement de la ville”, insiste-t-il. Pour accélérer son intégration, la Friche a ouvert, en deux ans, une crèche, une aire de jeux, des jardins familiaux et bientôt une école primaire.
Depuis 2012, une convention lie, également, la Friche au collègue Belle de Mai. L’objectif, faire en sorte que les jeunes “se sentent concernés” par ce projet culturel. Dans le cadre de MP 2013, une classe de troisième a ainsi eu la possibilité de travailler avec l’artiste JR, venu, cet été, coller, sur les murs du quartiers, de vieilles photos de famille des habitants. “Ca a fait l’unanimité”, s’enthousiasme Serge Pizzo.
Et pour la Noëlle Delcroix, de quoi susciter l’espoir: “Quand je vais à la Friche, maintenant, je vois des élèves se promener. Ils ne savent pas trop où aller mais ils sont là et c’est génial. Car j’en suis sûre l’ouverture de la Friche passera forcément par les enfants…” Rendez-vous pris en 2020.
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