La ville de Jacques Demy et du Royal de Luxe est fière de sa culture, passée et présente. Ce qui n’empêche pas certains de dénoncer une politique culturelle plus soucieuse d’attirer les touristes que de soutenir une création exigeante.
Raphaël d’Hervez du groupe Pégase : “Des lieux alternatifs continuent d’entretenir une scène”
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J’ai beaucoup voyagé, joué et mixé un peu partout dans le monde, et pourtant j’habite toujours à Nantes. C’est ici que je travaille le mieux : il n’y a pas assez de distractions pour se disperser, mais suffisamment pour se sentir inspiré. Quand tu n’as pas des choses à faire tous les jours, tu crées beaucoup plus.
Depuis un an et demi, je loue un grand studio à Trempolino à un prix raisonnable. La mairie a en effet réaménagé l’île de Nantes en créant la Fabrique, un lieu où l’on trouve à la fois la salle de concert Stereolux, des résidences sous les Nefs, et Trempolino donc, un bâtiment de sept étages monté sur un ancien blockhaus, avec des studios, une scène, et où l’on organise showcases et conférences musicales. On y croise toute la scène nantaise, des Von Pariahs aux French Cowboys. Et puis les touristes qui viennent voir les machines !
Il n’y avait rien sur l’île de Nantes il y a dix ans. La ville n’avait peut-être pas encore fait le deuil de la fin de ses activités portuaires. Pourtant c’était logique de faire de l’île de Nantes un lieu culturel et nocturne. Outre Sterolux et Trempolino, on peut voir une scène expérimentale au Blockhaus, une toute petite salle, ou au Ferrailleur. Côté centre-ville par contre, beaucoup de cafés-concerts ont fermé, et même le Lieu unique a fait l’objet d’interventions de la brigade de contrôle nocturne. Le Stakhanov, un club à la prog très indé, a aussi fermé. Faut pas non plus se plaindre : des lieux alternatifs comme le Bitche, continuent d’entretenir une scène.
Premier album Pegase (FVTVR/Sony) pegase.bandcamp.com
Patrice Joly, directeur de Zoo Galerie : “A Nantes, on ne développe pas la culture mais l’attractivité”
La Zoo Galerie est née au début des années 90, un lieu alternatif face à une scène culturelle très institutionnelle. On voulait dynamiser une scène provinciale peu ouverte sur l’extérieur. Depuis, j’ai assisté à un éveil indéniable de la ville mais Jean Blaise (directeur artistique et culturel de la ville – ndlr) a tendance à tout ramener à lui, comme s’il était le seul responsable de ce retournement. Mais il y avait tellement à faire dans le domaine culturel quand Jean-Marc Ayrault est arrivé à la mairie, qu’à la limite n’importe quel projet d’envergure aurait fait l’affaire.
Je suis un peu affligé par la direction que prend ce qu’on appelle la culture à Nantes. Il ne s’agit pas de culture mais d’attractivité. On ne devrait pas faire rentrer dans le secteur de la culture des « attractions » comme l’Éléphant ou les machines. Cela n’a rien à voir avec la culture qui doit avoir une dimension critique, réflexive (qui n’empêche pas d’être populaire comme le cinéma). C’est de plus en plus dur à faire passer auprès des politiques qui cherchent avant tout à faire des villes des vitrines attractives, avec un manque d’ambition culturelle flagrant.
Non seulement la ville ne génère pas de nouveaux artistes mais les rares qui émergent, elle ne sait pas les garder. Nantes est une ville dénuée de grandes troupes de théâtre, de danse, il n’y a pas d’écrivains d’importance qui y résident et quant aux artistes, ils ne font que séjourner.
Malgré les dires de Jean Blaise, il n’y a toujours pas de centres d’art à Nantes. C’est comme si il n’y avait pas de volonté de préserver et de développer une scène culturelle. Il faut développer les filières locales partant de l’École des Beaux-arts jusqu’aux centres d’art et galeries privées.
Après 25 ans de bons et loyaux services, nous sommes encore à la veille d’un déménagement : avec Zoo galerie et la friche Delrue nous représentons une configuration qui rendait possible l’articulation entre l’exposition, les ateliers et la critique (avec la Revue 02). Visiblement, ça a peu d’importance et ça n’impressionne guère les décideurs culturels locaux.
Catherine Cavelier, directrice du cinéma associatif Le Cinématographe : “Il faut mener une vraie politique de la culture”
La situation du cinéma nantais ne diffère pas du contexte national. Nantes est une ville avec une forte culture du cinéma – fief de Jacques Demy, bastion du festival Les 3 Continents depuis 1979 et surtout le siège de l’Association nantaise des rencontres cinématographiques avec Henri Langlois et Serge Daney.
Mais si la ville compte beaucoup d’écrans, force est d’admettre qu’ils sont surtout privés : dans la ville de Nantes il n’y a que deux cinémas associatifs, un indépendant, et quatre multiplexes privés. Nantes a été le théâtre des premières expérimentations en matière de multiplexes, comme les 26 salles UGC et Gaumont en face à face à Saint-Herblain. C’est aussi là que l’on a testé pour la première fois la carte illimitée. Une association comme la nôtre demande beaucoup de la mairie alors qu’un multiplexe ne coûte rien à la collectivité et fait quand même vivre le centre-ville.
Mais il y a un manque de vigilance de la part de la mairie : lorsqu’un même film fait l’objet de 50 à 60 séances par semaine, ça nuit à la diversité et à la promotion du cinéma en tant qu’art. Le courage des collectivités c’est de maintenir des cinémas qui permettent l’éducation à l’image (pour les écoles et la prépa Cinésup un gouffre qui nous coûte 30 000 euros par an) et la diversité artistique. A l’heure actuelle, les festivals de ciné doivent louer à un certain prix le Katorza (Cinéville) – il n’y a pas d’alternative. Il faudrait créer une maison du cinéma avec plusieurs salles de projection, des ateliers, des cours. Le prochain lieu dédié à l’éducation cinématographique est une école privée sur l’île de Nantes… La ville s’appuie trop sur son secteur privé. Il faut qu’elle mène une vraie politique de sa culture.
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