Les strip-clubs londoniens sont sur la sellette, menacés de fermeture par les autorités de quartiers et des lois de plus en plus contraignantes. Mais les strippeuses se défendent et descendent dans la rue.
De l’extérieur, on ne voit pas grand-chose. La devanture est défraîchie, les vitres teintées, la pierre un peu crade. Bringuebalante, l’enseigne qui porte le nom de l’établissement, The Old Axe, clignote difficilement. Pour entrer, on s’acquitte au doorman des 4 livres sterling réglementaires. L’intérieur n’est pas tellement plus reluisant. Un large comptoir, à moitié vide en ce début de soirée. Sur les banquettes, une bande de jeunes mecs en jeans et T-shirts descendent des pintes et semblent déjà bien allumés. Ils matent alternativement le match de foot, sur l’écran plat, et la grande blonde plus très fraîche qui se frotte contre la barre en sous-vêtements.
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Après deux petites minutes de danse, la blonde enlève son string et avance le bassin, offrant son sexe à la vue de tous. Les regards quittent un instant le match de foot et se font, l’espace de quelques secondes, un peu plus insistants. Puis le match de foot reprend ses droits. La blonde sort de scène. Une strippeuse habillée en bunny passe dans la salle, un seau en métal à la main. A chaque danse, chaque client doit s’acquitter d’une livre.
The Old Axe est un des onze clubs de strip ou de lapdance de Tower Hamlets, un quartier du centre de Londres, situé à mi-chemin de la City et des quartiers à forte population immigrée de l’est londonien. Comme les autres clubs du quartier, The Old Axe pourrait avoir à fermer ses portes. Depuis quelques mois, le council de Tower Hamlets, l’équivalent d’une mairie d’arrondissement, et les clubs de strip se livrent une guerre sans merci. Elle est menée, côté mairie, par Rania Khan, 28 ans, une des plus jeunes conseillères municipales d’Angleterre. Voilée, musulmane, Khan est venue à la politique par le militantisme, après l’entrée de l’Angleterre dans la guerre d’Irak.
Féministe, membre d’associations telles qu’Object ou Cape, Rania Khan lutte contre l’exploitation des femmes. Elle dit avoir été sensibilisée au problème des stripclubs un soir, en passant un soir devant l’un d’entre eux. Un groupe de mecs picole devant le club. L’un d’entre eux la siffle et lui suggère de retirer le haut.
« Il s’est cru tout permis, il a cru que ce qui se passait à l’intérieur du club pouvait se transposer dans la vie réelle. »
Depuis, Khan milite pour la fermeture des clubs à proximité des écoles, des lieux de culte.
Un combat rendu possible par un changement législatif intervenu en 2010 : les strip-clubs, considérés auparavant comme l’équivalent de simples pubs, sont requalifiés en établissements sexuels. Ils doivent donc, pour rester ouverts, obtenir une licence adéquate, plus chère et plus difficile à obtenir. Le council a surtout désormais le pouvoir d’appliquer une Nil Policy (politique zéro) qui consiste, après consultation des riverains, à bannir tous les établissements sexuels de la zone. Une perspective qui fait enrager Manu, patron du Nags Heads, un club aux murs rouges situé près de la sortie du métro Whitechapel. Depuis 1986, la famille de cet Anglais d’origine pakistanaise est dans le business du lapdance. Son frère et sa soeur bossent à ses côtés.
« On a toujours été réglo, on a toujours eu une licence. On est plus sûrs que la plupart des pubs pour la bonne raison que les mecs viennent pour voir ce qui se passe à l’intérieur de nos clubs, et non à l’extérieur. »
Manu emploie entre quarante et cinquante filles. Selon lui, cette nouvelle législation est abusive. « Avec la nouvelle licence, il suffit qu’ils disent qu’il y a des plaintes pour qu’on ferme. On ne peut pas faire appel, les droits basiques sont bafoués. Je suis en colère qu’on compare ce qui se passe dans nos clubs à de la prostitution. C’est du strip-tease », dit-t-il.
Au Old Axe ou au Nags Head comme dans les autres clubs de ville, le contact est proscrit. Au premier, où se déroulent les danses privées, une caméra filme non-stop. La bande est ensuite mise à disposition du council pendant un mois. « Des filles essaient de gagner un peu plus en se frottant contre les clients. Elles décrochent plus de danses privées mais elles perdent leur job très vite, ça ne dure pas, c’est très contrôlé », explique Vera, une Espagnole diplômée de journalisme qui danse nue depuis dix ans pour payer ses études et gagner du fric. Vera bosse au Old Axe depuis deux ans. « C’est pas le meilleur club que j’ai connu, explique-telle. Il existe une hiérarchie. Si tu vas au White Horse, tu verras des blondes, grandes, européennes. Ici, ce sont plus souvent des immigrées dans des situations difficiles. »
Vera a choisi le Old Axe parce qu’il était très près de son domicile et que les horaires sont assez libres.
« Si je veux, je viens. Sinon, non. » Vera se dit aussi révoltée par cette nouvelle législation. « Cette loi est un non-sens économique, social et politique. On va totalement à l’envers et c’est hypocrite. C’est une morale à deux vitesses. »
Il y a quelques semaines, Vera se retrouve au premier pour une danse privée avec deux clients. L’un des deux, super soûl, lui avoue qu’il est flic. Elle lui demande ce qu’il pense de la Nil Policy. « Aimerais-tu vivre à côté du club avec ta famille ? », lui demande le flic. « Oui mais là tu es en train de mater mes seins », lui rétorque Vera.
Si la loi était appliquée, un millier de personnes (strippeuses et employés) pourraient perdre leur job dans le quartier. « Une vraie catastrophe. Toutes les filles se rabattront sur les clubs des zones limitrophes, à Hackney par exemple. La concurrence sera plus rude, on gagnera moins, on aura moins de droits. » Elle parle aussi des private parties qui se développent dans Londres. Là-bas, plus de cadre, plus de protection pour les filles. Les échanges se limitent rarement à une simple danse. Actuellement, les conditions de travail laissent déjà à désirer.
Au Old Axe, pas de pièce pour se changer, pas de chauffage. Et des clubs qui, ces dernières années, sont devenus de plus en plus gourmands. Elle raconte que le plus souvent, les filles doivent désormais payer le club pour pouvoir y travailler. On appelle ça un fee. « Au début, je bossais dans un club qui me payait 40 livres par nuit. Maintenant j’en paie 10 pour venir et ils m’en prennent 5 à chaque danse privée. C’est écoeurant. »
Clare, grande Ecossaise de 1,86 m qui bosse au White Horse, acquiesce. Elle a commencé à danser il y a cinq ans, à 22 ans. « J’étais attirée depuis longtemps. La possibilité de gagner du fric en faisant ça me plaisait. Je suis athlétique, j’ai appris à faire du pole dancing et j’y suis allée. La condition de strippeuse reste précaire. S’il y a trop de filles présentes, ou pas assez de clients, la fille en reste de sa poche. Et si le prix des licences augmente, qui crois-tu que les clubs vont taxer ? Les filles ! La prohibition, ça ne marche jamais. Rendre quelque chose illégal, c’est le rendre underground et le faire échapper à tout contrôle. » Pour elle, une bonne nuit tourne autour de 200 livres. « Mais si je m’en fais 100, ça va, c’est toujours plus qu’une serveuse. »
Pour Vera, cette campagne contre la Nil Policy constitue une occasion unique de fédérer les strippeuses. « A Hackney, il y a quelques mois, c’était la première fois qu’on marchait ensemble, explique-t-elle. Quand le council a essayé de faire appliquer la nouvelle législation, sex workers et sympathisants sont descendus dans la rue. Ils ont manifesté, distribué des tracts et discuté avec les riverains. Résultat, le council a du revoir sa copie et accepté de laisser ouverts les établissements du quartier. »
A Tower Hamlets aussi, tout dépendra des riverains. Ils répondent actuellement à la consultation. « Tower Hamlets est un cas intéressant de croisement d’intérêts politiques et aussi un exemple de ce qui pourrait se passer ailleurs à Londres ou dans le pays », explique Simon, un homme d’affaires qui fréquente les strip-clubs depuis vingt-cinq ans. Résolument contre les fermetures, il a crée un blog très documenté, Stripping the Illusion, qui suit la question pas à pas.
« Je pense que ce n’est qu’un commencement. Après les clubs, ce sera le burlesque, les clubs gays, des femmes qui portent des trucs qui ne leur plaisent pas. J’ai l’impression qu’on revient aux années 50. »
Vera pense que les clubs ont aussi fait les frais de l’effet olympique. « Il y a eu beaucoup de pression parce qu’ils ont essayé de donner une bonne image de la ville avant les JO. Ils ont tort : plein d’hommes aimeraient s’amuser avec nous ! », plaisante-t-elle. Résultats dans quelques mois.
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