Réalisée il y a près de dix ans, la série documentaire en huit épisodes de Jean-Xavier de Lestrade, Soupçons, évoquant le procès de Michael Peterson, accusé du meurtre de sa femme et condamné au terme d’une longue procédure, se bouclait sur une note inachevée, ouverte à toutes les spéculations. Comme si le téléspectateur ne pouvait […]
Réalisée il y a près de dix ans, la série documentaire en huit épisodes de Jean-Xavier de Lestrade, Soupçons, évoquant le procès de Michael Peterson, accusé du meurtre de sa femme et condamné au terme d’une longue procédure, se bouclait sur une note inachevée, ouverte à toutes les spéculations. Comme si le téléspectateur ne pouvait se satisfaire d’un verdict plein d’incertitudes, dont le film lui-même s’était donné la peine de mettre en lumière les zones d’ombre. Nourri de multiples indices recueillis par le documentariste, Soupçons jouait de son statut ambivalent : à la fois film impartial et objectif, consignant les étapes du procès, et film engagé dans une intimité partagée avec l’accusé, son avocat et sa famille, il se déployait à la couture de la neutralité et du parti pris. Surtout, sans la résoudre lui-même, il restait suspendu à la question de l’opacité d’un condamné qu’il aurait voulu innocenter sans pouvoir livrer de preuves imparables. Le film assumait l’idée que son auteur pouvait s’attacher ouvertement à un homme, fût-il coupable de meurtre, fût-il, même, innocent.
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Plutôt que la culpabilité de Peterson, ce que Soupçons affirmait, c’était l’empathie de Jean-Xavier de Lestrade : une empathie qui avait l’honnêteté de reconnaître ses limites, imposées par l’absence de certitudes sur ce qui s’était passé au pied de l’escalier de la maison de Peterson, où l’on avait retrouvé le 9 décembre 2001 son épouse ensanglantée, dont tout donnait à croire qu’elle avait été bousculée par son mari, seul présent dans la maison à l’heure du crime.
Le regard à double face de de Lestrade, filmeur et ami, interrogateur et confesseur, se retrouve aujourd’hui dans Soupçons – La dernière chance, qui poursuit la saga Peterson sans qu’il n’en ait évidemment prévu le surgissement. Ce volume 2 survient en réalité après un rebondissement judiciaire. Alors que Peterson purgeait sa peine à perpétuité, son avocat tenace, David Rudolf, a pu obtenir un nouveau procès. Une enquête parallèle a révélé que l’un des personnages clés du procès de 2003 – un expert scientifique spécialisé en sérologie – avait manipulé les analyses de sang des traces et taches retrouvées sur le crâne et les habits de la défunte.
Grâce à la révélation de la supercherie, l’avocat de Peterson espérait casser le jugement et libérer ainsi son client. C’est à partir de ce retournement que le second film de Jean-Xavier de Lestrade amorce son récit, à nouveau tourné à Durham, en Caroline du Nord, comme un saut dans le temps et l’inconnu d’une issue heureuse à portée de main. Proche du premier film, par le soin qu’il accorde aux ambiances tendues de chaque audience, aux regards qui s’échangent ou s’évitent entre les acteurs du drame, Soupçons – La dernière chance creuse aussi, en accentuant ses traits à l’écran, la relation d’amitié construite, dans l’épreuve et dans le temps, avec Peterson et ses proches.
Cette dimension affective traverse le film de bout en bout, incarnée par l’avocat, mais aussi et surtout par les deux filles de Peterson, magnifiques de courage et attachées par des liens indéfectibles à leur père, lâché par d’autres. Jean-Xavier de Lestrade, si prompt à filmer les tribunaux (depuis son film Un coupable idéal, oscar du meilleur documentaire en 2002), prouve ici combien la part théâtrale de la mécanique judiciaire reste un « petit jeu » comparée à la capacité qu’ont les proches à en encaisser le prix. Oscillant entre les plaidoiries et les plaintes, entre les preuves judiciaires et les épreuves intimes, le film restitue la vérité des témoins-acteurs d’un procès insoutenable, qu’ils vivent dans leur chair et dans la retenue de leurs affects ébranlés.
Filmer un récit familial comme une épopée tragique, sur une durée aussi longue, permet d’identifier les stigmates du temps sur les visages, les esprits et les corps. Outre les filles, passant du statut d’adolescente à celui de jeune femme, le corps vieillissant de Michael Peterson rappelle combien les combats judiciaires sont une course perdue contre le temps. Le film fascine autant par l’effet de cette marque imprimée sur un visage creusé et un corps fracassé que par les mystères insondables qu’ils continuent de cacher.
La dernière chance de Peterson, finalement libéré sous caution, n’est pas pour autant son dernier mot. Au terme d’une révision d’un procès biaisé par un manque de preuves criant, il manque encore celle de son innocence. Tous les éléments de l’enquête, nourrie d’indices à la fois précis et improbables (la théorie de l’agression par une chouette, par exemple, qui expliquerait pourquoi la défunte aurait du sang sur le crâne…), ne suffisent pas à établir la vérité sur une affaire décidément très étrange, à la mesure de Michael Peterson, personnage aussi lumineux à l’écran qu’opaque à nos yeux.
C’est dans cette zone floue et grise d’un diagnostic incertain que se déploie la puissance du film. Tout en assurant, par ses images et sa patience, de son attachement pour un condamné, Jean-Xavier de Lestrade ne triche jamais, ni avec le téléspectateur, qu’il ne berne pas, ni avec Peterson, son ami, mais surtout le « personnage », riche de son ambivalence, d’un documentaire hanté, tiraillé entre la vérité que l’on espère et les soupçons que l’on regrette.
Soupçons – La dernière chance documentaire de Jean-Xavier de Lestrade. Mercredi 30 janvier, 20 h 55, Canal+. Disponible en DVD le 5 février (Éditions Montparnasse), environ 15 €
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