Deux fois par semaine dans la matinale de France Inter, l’humoriste se paie l’invité du jour : Nadine Morano qui l’engueule, Jean-Luc Mélenchon qui la coupe ou Henri Guaino qui encaisse. Rencontre avec une kamikaze.
Il est 8h54. Sophia Aram entre dans le studio de la matinale de France Inter. L’invité du jour, Louis Gallois, ancien président de la SNCF aujourd’hui aux commandes d’EADS, montre des signes d’inquiétude. L’humoriste va entamer sa chronique dans une minute. Elle a la réputation de ne pas vraiment ménager ceux qui sont en face d’elle. Louis Gallois se détend. Ce mercredi 18 janvier, la chronique porte sur des règlements de comptes dignes d’une cour de récré entre divas de l’UMP, telle Chantal Jouanno qui compare les caprices de Rachida Dati, privée d’investiture à Paris, à ceux d’une enfant gâtée privée de Carambar. Sophia Aram s’en prend aussi à Brigitte Barèges, députée UMP du Tarn-et-Garonne (elle avait dit à l’Assemblée à propos du mariage gay : « Pourquoi pas avec des animaux ?! »). Louis Gallois sourit avant de réprimer un fou rire. Il ne partage apparemment pas les vues de l’élue de la Droite populaire. Le président d’EADS n’est pas un bon client pour Sophia Aram. Elle n’a aucune envie de taper sur un pdg qui, oiseau rare, ne confond pas compétence avec arrogance.
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Cela fait deux ans que Sophia Aram exerce deux fois par semaine, le lundi et le mercredi, ses talents à l’antenne de la radio publique. Les incidents n’ont pas manqué. Le dernier en date, une empoignade avec Nadine Morano, outrée d’être prise en flagrant délit de vulgarité, qui a débordé sur l’horaire du sacro-saint flash de 9 heures et a fait le tour des médias.
A la suite de votre prise de bec avec Nadine Morano, elle est allée déclarer urbi et orbi que Philippe Val, le directeur d’antenne, lui avait présenté ses excuses au nom de la station. Quelle est votre version ?
Sophia Aram – Elle ment ! Philippe Val l’a appelée, c’est normal lorsqu’il y a un clash en direct, mais pas pour s’excuser ! Il m’en a parlé ensuite sans la moindre acrimonie et ne m’a jamais demandé de mettre un bémol à mes chroniques. Nadine peut revenir quand elle veut, c’est toujours un plaisir (pour moi, en tout cas) de tailler une bavette avec cette enfileuse de perles de culture.
Quels sont les invités les plus difficiles ?
Marine Le Pen a une stratégie d’intimidation. Elle s’est assise à côté de moi, à touche-touche, et me regardait dans les yeux pendant que je lisais mon papier. J’ai conclu ma chronique par un « Vous me faites peur, Marine Le Pen ! » Elle a rétorqué : « Ce n’est pas de moi que vous devriez avoir peur, mais des trafiquants de drogue. » Quand je lui ai demandé ce que venaient faire les dealers dans cette histoire, elle m’a répondu : « C’est simple : dans un débat, il faut toujours avoir le dernier mot. »
Quant à son père, j’étais là lors de sa dernière prestation en tant que président du FN. Il est parti littéralement fou de rage. Depuis, je reçois des mails incendiaires de l’extrême droite assortis de menaces de mort qui me valent une protection policière. Lorsque je suis annoncée quelque part, les endroits sont sécurisés. Ce sont les risques du métier. Si l’on tape mon nom sur Google, on tombe en première page sur l’occurence : « Sophia Aram, juive ». Avec en contenu des joyeusetés du genre : « Les Juifs se sont toujours enrichis aux dépens de leurs hôtes en les montant les uns contre les autres. » Quand j’ai commencé sur France Inter, Laurent Fabius était l’invité et Patrick Cohen présentait. Sur le site d’Inter, en tête des commentaires, on trouvait : « Fabius, Cohen, Aram, le service public est tombé aux mains du lobby juif. » C’est d’autant plus cocasse que je suis par mes deux parents d’origine marocaine. Mais bon, même si je ne suis pas juive, j’assume complètement vis-à-vis des crétins la judaïté qu’ils m’attribuent.
Avec les autres, ça se passe comment ?
S’il est impossible (j’ai essayé plusieurs fois) de dérider Jean-François Copé, qui cultive le genre poisson froid, Henri Guaino, que j’avais allumé sur le discours de Dakar, a bien pris les choses. Je crois qu’il aime les gens qui écrivent. Après l’émission, il est venu nous voir, Benoît Cambillard et moi (son compagnon, avec qui elle écrit ses pièces et ses chroniques – ndlr), nous a demandé comment on travaillait, bref, c’était détendu. Claude Guéant, lui, file avant ma chronique, il a toujours autre chose à faire. Il m’a promis de rester la prochaine fois. Xavier Bertrand aussi est plutôt réceptif : la dernière fois, on parlait de cette histoire atroce d’implants mammaires, et quand j’ai suggéré qu’on devrait proposer le même produit pour les testicules des surmâles, il a opiné du chef.
Et à gauche ?
Hollande est vraiment un type sympa, gentil, drôle, j’espère que ce ne sont pas toutes les qualités nécessaires pour ne pas être élu… J’ai « juste » un peu de mal avec Cécile Duflot qui n’aime pas trop que je l’allume « juste » sur ses tics de langage, et aussi avec Mélenchon qui m’interrompt tout le temps ! Mais bon, ça donne des trucs plutôt rigolos, et j’aime bien les concours de grandes gueules. Il ne le prend pas mal quand je lui dis : « Tais-toi, Méluche, t’as eu ton temps de parole, maintenant tu me laisses causer ! » En revanche, je l’ai vexé un jour où il était reçu avec Laurent Wauquiez, dont je faisais l’éloge, pourtant un rien ironique, de sa plastique impeccable à la Ken de Barbie. Soigneux de sa mise et de sa personne, le petit Jean-Luc a été déçu que je n’y aille pas de mon petit compliment aussi sur lui…
Vous êtes née dans une cité ?
Oui, en 1973, à Trappes, où j’ai vécu vingt ans avec mes parents marocains et mes six frères et soeurs. Mais je n’ai aucune raison de faire du misérabilisme. J’ai eu une enfance heureuse, on ne vivait pas dans une tour mais dans un immeuble de quatre étages entouré de verdure où tout le monde se connaissait. On jouait au foot avec les enfants des voisins, j’ai eu une scolarité sans problème. On est loin de la caricature caillera.
Après le bac, je me suis inscrite aux Langues O, où j’ai fait une maîtrise d’arabe et aussi de maltais. Je dois être l’une des deux ou trois spécialistes françaises du maltais. Si un jour j’ai besoin de me recycler… Pendant mes études, en dehors des cours de théâtre – ma soeur aînée m’avait initiée à la culture en m’emmenant dès l’âge de 10 ans voir des films de Woody Allen et de Fellini -, j’ai enchaîné les petits boulots. J’ai été pionne dans mon lycée de Trappes et j’ai même vendu des canapés chez Ikea. J’en garde un souvenir impérissable. Surtout à cause des lourdauds qui me disaient : « Il a l’air bien ce canapé, vous voulez pas l’essayer avec moi ? »
Comment avez-vous commencé sur scène ?
De fil en aiguille – à propos, j’ai aussi été habilleuse pour des défilés de mode. Je côtoyais Jamel qui m’a branchée sur Nagui, puis j’ai fait un peu de télé avec Arthur. Il m’a fait tourner un pilote pour une émission au Stade de France. C’était pour le trophée Andros, des courses de voitures sur glace. On n’avait aucune accréditation, j’étais déguisée en orange, je suis passée sur l’écran géant, un triomphe. A TF1, en revanche, on a fait un bide, et l’émission n’a pas vu le jour. Par ailleurs, j’écrivais avec Benoît. On a monté une pièce qui s’appelait Du plomb dans la tête. On a tourné dans des petits lieux, payés au chapeau, et c’est devenu un vrai succès. A priori, le thème n’était pas drôle : une instit de maternelle harassée se tire une balle dans la tête. Celle qui la remplace sort d’un IUFM et n’a jamais vu un enfant en 3D. Sa pédagogie se résume en une phrase : « Hop là, nous vivons !, hop là, nous mourrons ! » Mais ce que ça raconte surtout, ce sont les délires des parents pour qui la compétition sociale commence en primaire et qui mettent une pression insupportable sur les enfants et les profs. Tous les mardis soir, les salles étaient bourrées d’enseignants. J’ai présenté un extrait du spectacle sur France Inter, au Fou du roi de Stéphane Bern. Le réalisateur est venu me voir après et m’a proposé une chronique. J’ai commencé avec Olivier de Kersauson, j’étais terrorisée, mais finalement, tout s’est bien passé. Vous connaissez la suite ; après l’éviction de Stéphane Guillon et Didier Porte, Val m’a contactée, et nous y voilà.
Dans Crise de foi, vous vous en prenez frontalement à Dieu. Pas de problème ?
Jusqu’ici, tout va bien. Je suis une athée fondamentaliste. Aujourd’hui, à l’initiative de Paris Match, j’ai fait un dialogue croisé avec Franz-Olivier Giesbert, qui vient de sortir un livre en forme de profession de foi, Dieu, ma mère et moi. Ses tentatives d’évangélisation sont passées sur moi comme l’eau sur mes plumes de vilain petit canard…
Recueilli par Alain Dreyfus
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