À l’heure du texto, du mail ou de Twitter, le philosophe Jean-Claude Monod repense l’acte d’écrire aujourd’hui, obsessionnel.
Tête baissée sur son smartphone, plongé dans de secrètes cogitations nées des messages qui l’assaillent, notre interlocuteur nous néglige, écoute d’une oreille distraite nos mots inutiles, efface symboliquement notre corps présent. Qui n’a pas subi cette offense, dont la banalité illustre un changement de paradigme dans nos manières d’exister socialement ? L’empire des messages nous a tous cannibalisés : par leur profusion, ils nous ont transformés en bêtes écrivantes, en monstres de la connection permanente, au risque de l’indifférence à l’autre. L’écriture et l’indifférence ?
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Penser les transformations que l’extension de cet empire des messages « impose subrepticement à nos façons de vivre, de penser, d’aimer, d’être avec les autres » : tel est le programme de Jean-Claude Monod dans Ecrire à l’heure du tout-message. Par le biais d’une « phénoménologie du message », le philosophe cherche à saisir le sens de la puissance de dispersion d’une sollicitation répétée : écrire, recevoir, répondre à des messages, tout le temps. « Que devient notre présence aux autres et à nous-mêmes si nous sommes toujours reliés, connectés à un ailleurs qui semble plus vivace, plus scintillant, plus séduisant que tout ici ? », se demande-t-il.
Plutôt que de la dénoncer, l’auteur prend acte de cette transformation radicale des conditions de circulation des messages, « dans un vaste éventail de formes, des plus soignées aux plus déstructurées ». Monod saisit la métamorphose et la démultiplication de l’écriture : pas l’écriture appartenant à l’espace littéraire, mais celle épousant des formes mineures, sans aspiration artistique ; cette écriture qui « s’envoie, s’oublie, s’envole ». Sous la couche d’une apparente superficialité, des horizons de sens se dégagent, l’air de rien. Comme si un simple statut sur Facebook relevait d’une modalité nouvelle de la parole écrite, par-delà ses insuffisances.
Flottant autour de quatre points – « envoi, réception, objet, répondre » -, le livre prend le parti de l’errance dialectique : à la théorisation figée d’une révolution de la société écrivante, l’auteur préfère les lignes de fuite, les hypothèses ouvertes. Sa pensée mobile et instable s’ajuste, par petites touches, à la profusion et au chaos de nos nouvelles manières d’écrire. Pour, sur fond d’une insignifiance toujours menaçante, affirmer la puissance du message comme « modalité de la rencontre » et comme possibilité « d’une complicité pour rien c’est à dire d’une fraternité ».
Ecrire à l’heure du tout-message, c’est croire, en dépit de tous ceux qui le contredisent, en la vitalité des mots, qui s’échangent comme les biens les plus précieux, les seuls qui nous restent.
Jean-Marie Durand
Ecrire à l’heure du tout-message (Flammarion), 256 pages, 19 €
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