Après avoir sillonné la France pendant des années et dérushé 400 heures d’interview, Mr Rocket livre en 26 x 5’ une vision thématique de 30 ans de hip-hop français. Un vision globale d’un village local.
De Libération jusqu’au Nouvel Obs, votre documentaire provoque un engouement étonnant pour ce sujet souvent ostracisé dans les médias. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
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Je suis très surpris dans le sens où le projet a été long et chaotique. J’ai commencé à l’âge de 30 ans et j’approche de la quarantaine… Finalement, c’est une belle allégorie de mon sujet : au début, les mecs dansaient sur des cartons, aujourd’hui ils jouent à Bercy. Quand j’ai commencé, je ne savais pas où j’allais, je ne savais pas filmer, et aujourd’hui j’ai des articles partout. J’aurais au moins fait ça pour le hip-hop, cette culture qui me tient depuis si longtemps.
Comment tout cela a commencé ?
Le déclic a été rapide. Un soir, je suis allé voir DJ Premier au Bus Palladium et lorsqu’il est arrivé, ça a été l’émeute, tout le monde s’est jeté sur lui ! Deux jours plus tard, je discutais devant le magasin Urban Music avec Dee Nasty, des tas de types sortaient du magasin devant nous mais personne ne le calculait. Pourquoi ce n’était pas l’émeute comme au concert de Primo ? La réponse est que personne ne sait qui il est, parce que personne n’a vraiment raconté cette histoire française. Quelques heures plus tard, chez un ami, on se passait des documentaires comme Rappatack ou Writers (respectivement sur le rap et sur le graffiti – ndlr), mais on avait la flemme de se lever pour changer les disques. On s’est dit : « Pourquoi personne n’a fait un docu qui raconte tout, le graffiti, la danse, le rap, les DJ… ?« . Ca a fait tilt, je me suis dit que j’allais le faire et je suis parti, fleur au fusil. Tout le monde m’a dit que j’étais fou !
Fou et seul…
Totalement. Je suis parti tout droit, sans boite de production, et j’ai commencé à emmagasiner des rush. Ce qui m’a aidé, c’est le casting qui grossissait. Quand les mecs voyaient que j’avais untel ou untel, ils voulaient y être aussi. Oxmo m’a fait ce compliment qui m’a touché : « Tu as tout le monde ! C’est à qui ne sera pas dans ton docu ! ». Et puis il y a eu un effet boule de neige : tu interviewes untel, il appelle untel… Le hip-hop est un petit milieu.
Et aussi un beau panier de crabes…
Grave, mais ça fait aussi son charme… Parfois, je compare ça au village d’Astérix. C’est une culture underground, une poche de résistance, un petit village d’irréductibles : on adore notre truc, on s’embrouille entre nous, mais on finit tous par faire la fête ensemble. Et dehors, il y a les autres, les Romains. Mais ça ne nous n’empêche pas de vivre avec eux : Astérix s’embrouille parfois avec les Romains, mais ça ne l’empêche pas d’aller à Lutèce, en Egypte, en Amérique, où il y a toujours des amis.
Une bien belle allégorie…
J’aime bien. Le hip-hop, c’est un peu l’enfant caché du paysage culturel : on le sort quand on en a besoin, on le cache quand il faut, il déchaîne les passions. Quand y a les émeutes, c’est à cause du rap, mais quand NTM fait Bercy tout le monde trouve ça génial ! Il y a ce coté ambivalent, amour haine, en France. Pourtant, on a beau le mettre de coté, le cacher, il est toujours là, depuis 30 ans. Et puis il n’a pas besoin de grand-chose pour exister : un beatbox, un stylo, une feuille, un bout de lino… Je crois que ça se voit dans le film.
L’intérêt du docu tient aussi au fait que ce sont les acteurs eux-mêmes qui parlent.
Je crois en effet que ce qui captive les gens, c’est que ce sont les gens du hip-hop qui se racontent avec leur sincérité brute. J’ai choisi de ne pas mettre de commentaire ni de voix off, car ils le racontent mieux que moi. Personne ne connaît mieux l’histoire d’Akhénaton ou de Solo qu’Akhénaton et Solo. Et puis ce sont des langages, des manières de s’exprimer qui disent beaucoup.
La province est également très présente, alors que le hip-hop -le rap en particulier- a tendance à se penser en comité parisien…
La première fois que je suis allé à Lille avec ma caméra, les mecs m’ont dit : « Qu’est-ce que tu fais là ? Personne ne vient jamais nous voir ici ! T’es malade !?« . Pourtant, à Lyon, à Bordeaux, à Rennes, tous vivent ce truc. D’ailleurs, ils sont parfois un peu éloignés des préoccupations des parisiens, ils ont un côté non industriel, presque artisanal ; ils collaborent avec des Parisiens ou avec des Provinciaux, mais avec une certaine simplicité. Je crois qu’ils sont même contents de ne pas être à Paris, ils n’ont aucun complexe vis-à-vis de ça.
26 x 5 minutes, ça fait 130 minutes. Or, vous avez filmé pendant des années. Vous devez avoir un paquet de rushes fascinants, non ?
J’ai 400 heures de bande ! J’ai même filmé 50 Cent en train de se changer dans les loges de Bercy, mais son vigile était plus impressionnant que moi et c’est désormais lui qui a la cassette… J’ai beaucoup de choses en stock mais j’ai aussi des tas d’idées, j’aimerais faire un DVD, voire plusieurs. C’est amusant parce qu’au départ je ne me rendais pas compte : je galérais, je traversais la France, je fraudais le train, je me faisais arrêter quand je filmais des graffeurs… Quand j’ai décidé de dérusher, j’ai compris. Je me souviens de la première cassette, c’était une interview de Solo. J’ai halluciné sur ce que je venais de faire, sur ce qu’il me donnait dans l’interview. J’ai fait un teaser, je l’ai mis en ligne, ça a cartonné immédiatement.
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