Alors que la technologie se banalise, les vrais geeks trouvent-ils encore leur place ? Slashdot, site pionnier de la communauté, est en train de chanceler
Aujourd’hui, le geek est devenu un personnage de la culture populaire, un héros de séries, une sorte de croisement entre le schtroumpf à lunettes et le schtroumpf bricoleur. La technologie, autrefois réservée aux ingénieurs et aux bidouilleurs, s’est démocratisée, est passée dans le domaine public : tout le monde manipule des gadgets numériques, Facebook et Twitter font la une des journaux. Reste-t-il alors encore un terrain pour les vrais geeks ? Symbole de ce délitement, un de leurs derniers bastions est en train de chanceler : Rob Malda, rédacteur en chef de Slashdot.org, la bible de la communauté, vient d’annoncer qu’il démissionnait de son propre site, qu’il avait fondé en 1997, après y avoir posté « plus de 15 000 histoires ».
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Cet agrégateur de news à dominante technologique a aujourd’hui quarante millions de pages vues et cinq millions de visiteurs uniques par mois. 114 000 histoires environ y ont été postées, pas toutes high-tech d’ailleurs : le massacre de Columbine y a été débattu, comme le 11 Septembre ou l’ouragan Katrina.
Rob Malda, au surnom fleurant bon le nerd (Cmdr Taco) a été plongé dans la marmite technologique dès son plus jeune âge. Quand il était au collège, » la punition préférée de ma mère était de débrancher mon clavier et de l’enfermer dans son coffre », raconte-t-il. Dans son dernier message sur Slashdot, il explique avoir créé ce site au nom parfaitement geek (slashdot est l’écriture en toutes lettres de « /. ») pour une raison simple : « Partager les histoires sur lesquelles je tombais avec un petit groupe d’amis. »
Grâce à son mode de fonctionnement alors unique, Slashdot a été un véritable pionnier de l’Internet communautaire. Son principe, qui semble aujourd’hui évident, était alors novateur : les internautes postent des news et des résumés d’articles, qui, s’ils sont sélectionnés par l’équipe du site, servent de base à des commentaires et des discussions en ligne. Son système complexe et consciencieux de modération et de notation par les internautes lui a valu une réputation de sérieux et lui a permis d’éviter injures, trolls et brèves anecdotiques.
Slashdot a fédéré une puissante communauté à l’influence énorme. Rob Malda explique : « Slahsdot est lu par des ingénieurs purs et durs et des milliardaires ; par des administrateurs systèmes et des PDG ; par des collégiens et des bureaucrates. Ce qui rassemble tant de gens, c’est que nous sommes des nerds. » La popularité du site a même donné son nom au « slashdot effect » (mot de l’année 2009 pour l’éditeur Oxford University Press), soit la saturation d’un site quand un autre conseille son adresse.
Qu’est-ce qui a pu pousser Rob Malda à quitter ce site populaire ? Dans son dernier message, il laisse entendre que l’époque où le geek régnait librement sur le monde numérique est terminée.
« Mon titre a changé plusieurs fois : sur ma première carte de visite on pouvait lire : ‘Mensonges et désinformation’. Aujourd’hui, c’est ‘Rédacteur en chef de Slashdot.org' ».
Le business a pris le pas, on ne rigole plus avec la technologie, devenue un énorme enjeu économique. De plus, il y a quinze ans, trouver des pairs pour discuter et échanger n’était pas une chose aisée. Slashdot remplissait parfaitement sa mission de forum où experts et novices se retrouvaient pour partager leurs connaissances.
Aujourd’hui, il n’est plus besoin de chercher longtemps pour connaître les innovations d’Android, savoir ce qu’est le DPI ou apprendre les bases de Linux. Outre les blogs et les sites spécialisés, se sont multipliés des agrégateurs de news et de liens soumis par les internautes, comme Digg, De.licio.us ou Wikio, aux systèmes de modération moins complexes que Slashdot.
« De Kuro5hin à Digg ou Reddit, des dizaines de sites font pareil que Slashdot, avec plus ou moins de succès », reconnaissait déjà Rob Malda en 2007.
Depuis, Facebook a fait apparaître son bouton « J’aime » et surtout Twitter se charge de propager les informations à la vitesse de l’éclair, rendant obsolètes agrégateurs et fils RSS. « L’Internet a changé de façon spectaculaire depuis que j’ai commencé ici, et c’est une des raisons pour lesquelles je pars, » conclut-il. Signe des temps, il a rejoint le nouveau réseau communautaire Google+, où il échange déjà infos personnelles et tech avec plus de 7 000 membres.
Anne-Claire Norot
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