L’actionnaire majoritaire de la radio a décidé de limoger son fondateur et pdg historique, Pierre Bellanger. Avec lui, c’est toute l’antenne qui est menacée. En une semaine, jeunes auditeurs, rappeurs et politiques se sont mobilisés pour défendre un certain esprit de liberté.
« C’est Fukushima ! », sourit Julie Rambaud, la responsable des relations presse de Skyrock. Le portable collé à l’oreille, elle accueille les journalistes au siège de la radio, situé 37 bis, rue Greneta, dans le IIe arrondissement de Paris. Nous sommes le mercredi 13 avril et il est effectivement question de radioactivité. Dans la rue, en bas de l’immeuble de Skyrock, une petite centaine d’adolescents a répondu à l’appel à la mobilisation lancé par les animateurs de la station.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
[inrockstv 63206]
La veille, un conseil d’administration de la société Nakama, la holding qui possède Skyrock, a débarqué Pierre Bellanger : AXA Private Equity (AXA PE), l’actionnaire majoritaire du groupe, élimine le fondateur et pdg de la radio numéro 1 chez les moins de 25 ans. Bellanger reste président non exécutif. A l’aube, précédé de sa réputation de cost-killer, Marc Laufer, le nouveau directeur général, s’est vu refuser l’entrée dans les locaux de la radio. « Je tiens à ma vie », déclare-t-il ensuite pour expliquer son premier et bref contact avec Skyrock. « C’est n’importe quoi », soupire l’un des vigiles.
12h Des artistes arrivent pour témoigner de leur soutien, provoquant chaque fois un joyeux chahut, vite tempéré par les hommes de la sécurité de Skyrock. Il y a Sexion D’Assaut, Nessbeal, Mokobé du 113, Kenza Farah, Sinik… Ces artistes doivent leur succès à leur talent mais aussi à Skyrock, ce qu’ils reconnaissent volontiers. Ensemble, ils représentent plusieurs millions d’albums vendus.
Au premier étage de l’immeuble où se trouvent les studios, c’est l’effervescence. Les rappeurs, leur crew, des auditeurs, des salariés de la station, quelques journalistes circulent entre les murs gris. Il se dégage une douce odeur de haschich. « C’est une dinguerie », lâche un gamin de Savigny. Fred Musa, l’animateur de l’émission Planète rap, s’est isolé. Julie Rambaud court dans tous les sens. Laurent Bouneau, directeur des programmes et n° 2 de la radio, discute au téléphone dans son bureau, la mine défaite.
Le coup porté aux historiques de la station est dur. Radio libre devenue radio commerciale, Skyrock réalise des bénéfices mais pas assez au goût de l’actionnaire majoritaire qui détient 70% des parts. La mauvaise année 2010 a fini de les décider à revoir leur politique. La riposte s’organise dans l’improvisation.
14h20 A l’antenne, la radio passe et repasse des messages alarmistes : « Skyrock, radio libre en danger de mort. A tout moment, Skyrock peut disparaître. La liberté de toute une génération est aujourd’hui menacée à tout jamais. » La rédaction a ouvert une page Facebook pour rameuter ses partisans. Ironie du sort, c’est sur Facebook que la mobilisation prend le plus d’ampleur. Mais c’est aussi Facebook qui a largement entamé l’audience de la plate-forme Skyblog, créée par Pierre Bellanger. A la mi-journée, le site de L’Express assure que la banque d’affaires de Jean-Marie Messier possède un mandat de vente de la radio. Pierre Bellanger aurait signé ce mandat… Incompréhension dans les rangs. [On sait désormais que Pierre Bellanger envisage de s’associer avec le Crédit agricole pour devenir actionnaire majoritaire du groupe, NDLR]
Bellanger, lui, a passé la nuit à la radio dans son bureau du 5e étage. Malgré l’insistance des journalistes, il refuse de se montrer. Laurent Bouneau attaque : « On se mobilise pour lui en espérant que la décision puisse changer. » Le teint pâle, Bouneau défend le bilan. Derrière lui, les nombreux disques d’or obtenus par des artistes tous plus célèbres les uns que les autres Alicia Keys, Lauryn Hill, Eminem… Un mannequin d’Al Pacino dans Scarface le toise. « In this country, you gotta make the money first. Then when you get the money, you get the power », disait le gangster de Miami… Aujourd’hui, l’argent et le pouvoir sont du côté d’AXA PE.
15h L’heure de la conférence de presse. Toujours pas de Bellanger à l’horizon. Bouneau s’y colle, assisté des quelques artistes présents. Morceaux choisis :
« En soutenant Pierre, on soutient la liberté. » « Cette nouvelle France qu’on défend, jeune et multiculturelle, elle a toute sa place. » « C’est la radio de la jeunesse qui est sanctionnée. »
D’un conflit entre deux actionnaires, le problème de Skyrock devient, par l’habile communication de ses cadres, une affaire de société, donc un sujet politique. Julie raccroche avec la préfecture, qui s’inquiète du nombre de jeunes rassemblés devant la radio. Une centaine pas plus, sans aucun débordement. « François Hollande vient ce soir à Planète rap, informe la sémillante communicante. On devrait avoir Lang, Bayrou, Wauquiez… » C’est le temps politique. A la manoeuvre, Malek Boutih, membre du Parti socialiste, ancien de SOS Racisme et directeur des relations institutionnelles de Skyrock. Isolé dans les étages, il fait jouer ses contacts et invite les personnalités politiques à apporter leur soutien.
Bellanger, de son côté, a contacté l’Elysée pour tenter d’obtenir des appuis. Dehors on prend son mal en patience mais on espère toujours pénétrer dans les locaux. Ça drague, ça chambre. Les journalistes entrent sans problème, reléguant dehors les jeunes auditeurs. « Je suis de RMC ! », tente l’un d’eux, sans succès. « Et moi de Gulli TV », renchérit un autre, provoquant l’hilarité générale.
20h50 Hollande se fait attendre. Prévu à 20h30, il n’est toujours pas là. Les membres de la sécurité sont à cran : « Putain, c’est Madonna le truc, ou quoi ? » Quelques instants plus tard, voici le candidat à la primaire socialiste. Autour de lui, Colonel Reyel, le rappeur invité de Planète rap, son équipe, des auditeurs, des journalistes. L’accueil est chaleureux, François Hollande dans son rôle, mais adroit :
« Les manières de l’actionnaire ne sont pas correctes (…). Je viens apporter mon soutien au travail de liberté entrepris par la radio. »
Puis, à l’antenne, il s’adresse au patron d’AXA, Henri de Castries, qui fut l’un de ses camarades à l’ENA : « Il faut regarder différemment la situation de Skyrock. Il y a peut-être eu une décision trop rapide, et il faut la revoir. » « Un grand moment de radio », confiera plus tard Pierre Bellanger.
23h La tension retombe. Devant la radio, on ne compte qu’une petite dizaine de personnes. Pierre Bellanger s’apprête à passer sa deuxième nuit sur place.
8h30 Jeudi 14 avril. Quelques courageux ont bravé le froid matinal et sont déjà devant la station. Dans les couloirs, tout est calme. Fred Musa et son équipe s’apprêtent à reprendre l’antenne. On attend Benoît Hamon, porte-parole du PS. « Faut qu’on lui repasse le son où Martine Aubry se plante sur un titre de NTM, c’était dans Le Petit Journal », rigole Fred. On scrute les premiers articles de presse sur « l’affaire Skyrock ». Julie n’apprécie guère sa photo dans Libé, mais se réjouit de l’article du quotidien « avec qui les relations ont été difficiles, notamment lors du procès de Pierre«
De jeunes auditeurs du 7-8 pénètrent dans le studio. D’abord timides, ils se lâchent : « Skyrock, c’est plus qu’une radio, c’est un mode de vie, on peut pas vivre sans Sky ! » Le ton est donné. Et toujours pas de Bellanger. Une conférence de presse devrait se tenir à 15 heures. « Il y aura une annonce », souffle-t-on.
12h30 Accompagné d’un huissier, le nouveau directeur général, Marc Laufer, se présente à nouveau devant la radio. Nouveau refus. « A demain ! », dit-il en partant. La liste des soutiens politiques s’allonge. Benjamin Lancar, Jean-Luc Mélenchon, Rama Yade doivent venir. On parle même de Christine Boutin, dont le nom ne suscite guère d’enthousiasme en interne.
15h20 Pierre Bellanger accueille à son étage les nombreux journalistes venus assister à la conférence de presse. Costume sombre, chemise blanche, la voix légère mais l’air grave, il prend la parole. Assis derrière son bureau, il multiplie les bons mots : « Je préfère Cut Killer au cost-killer. » Il en appelle à la responsabilité des pouvoirs publics, détaille les résultats de l’entreprise et annonce qu’il se porte acquéreur de l’ensemble du groupe. Il en détient 30% aujourd’hui.
L’homme a du panache. L’émotion est palpable. « C’est une crise positive, assure-t-il. Je ne suis plus dans un débat d’actionnaire, je suis dans un débat de société. » A la fin de son intervention, son équipe l’applaudit longuement. On improvise un cocktail sur la terrasse. Des salariés montent des étages inférieurs et viennent lui serrer la main.
A l’écart, Malek Boutih et Laurent Bouneau débriefent la conférence. « Il aurait dû insister plus sur la dynamique de nos chiffres, 2005, 2006, 2007 », murmure Bouneau. « Il se passe quelque chose », se félicite Boutih. Dehors, les jeunes sont moins nombreux que la veille :
« Ils sont racistes d’arrêter Skyrock, moi je pense que c’est la faute de Sarkozy, il est en train de virer plein de monde, là », explique l’un d’eux.
17h30 Voici Benjamin Lancar, président des jeunes de l’UMP. Pas vraiment le genre de la maison. L’accueil est poli. Suivront Jean-Luc Mélenchon et Rama Yade. L’audience de Skyrock représente plusieurs millions de jeunes auditeurs. Pourtant, tous ces politiques l’assurent, ils n’ont rien à vendre. Au micro, Rama Yade explique : « J’ai grandi avec Skyrock ». « Tous les soutiens sont les bienvenus, explique Fred.
Nous avons des auditeurs de gauche et de droite, c’est important d’accueillir tout le monde. » Tous montent ensuite, chacun leur tour, saluer Bellanger. C’est Malek Boutih qui fait les présentations. Les propos de Mélenchon ont touché le fondateur de Skyrock. A l’antenne, l’ancien socialiste a proposé de créer une coopérative ouvrière, comme en son temps au Parisien libéré, que Claude Bellanger, le père de Pierre, avait fondé avec ses camarades à la Libération. Mélenchon poursuit : « Le public auquel vous vous adressez c’est… » ; Boutih : « …la plaque sensible, personne les tient… » ; Mélenchon : « Voilà ! » ; Boutih : « En plus, ils sont idéalistes ! » Et des rêves, ils en ont. Comme choper le portable de Rama Yade. A la sortie de l’ex-secrétaire d’Etat, Diallo, un jeune rappeur du XIXe, improvise un petit jeu de séduction avec la belle Rama. Les rires fusent, les potes filment avec leur portable. « Si, si, la famille ! »
Vendredi 15 avril La page Facebook compte 460 000 fans. Jean-Marie Messier, dirigeant de la banque chargée du mandat de vente, se rend à Skyrock. Objectif ? Amorcer une médiation pour trouver une issue au conflit. L’animateur Difool nous accorde quelques minutes au téléphone. Il dit sa fatigue mais tient à remercier tous les soutiens. Les politiques et « surtout les auditeurs ». Il prévient : « Ça serait un très mauvais signal si ça finit mal. Il faut se méfier des feux qui couvent. »
Simon Piel
{"type":"Banniere-Basse"}