A Berlin, Vans célèbre la femme dans le milieu du skate et met en lumière une communauté mondiale de skateuses militantes.
« Quand j’étais ado dans les années 1990, j’étais la seule fille dans le skatepark, se souvient la skateuse professionnelle Lucy Adams. C’était une pratique largement dominée par les hommes, et en tant que femme je me sentais exclue, jamais prise au sérieux.”
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Si les choses commencent à bouger aujourd’hui, c’est en partie grâce à elle. Elle appartient à une génération de skateuses connectées à travers le monde par les réseaux sociaux. “Un like, un commentaire sous une vidéo YouTube, et les liens se développent. Aujourd’hui, des filles des quatre coins du monde se serrent les coudes”, poursuit Lucy.
All it took Lucy Adams was a second on a board, and she was hooked forever. Discover more stories on https://t.co/KQ6urla2kE pic.twitter.com/DLnqRvUHoK
— VANS Europe (@VANS_Europe) April 4, 2019
Cette sous-culture grandissante a récemment fait l’objet d’une résidence pluridisciplinaire tournée vers la femme à l’initiative du chausseur Vans, la House of Vans à Berlin en mars dernier. Là ont eu lieu, entre autres, des workshops invitant des filles de tous âges à fabriquer leur propre skateboard et à en apprendre les bases. “La transmission est essentielle dans l’esprit du skate”, dixit Helena Long, également skateuse professionnelle et égérie de la marque. L’année précédente, Vans avait lancé toute une édition spécialement pour l’Inde, et poursuit un tour du monde qui ira de Saint-Pétersbourg à Shanghai en passant par São Paulo.
Lizzie Armanto puise dans ses racines californienne pour développer un art ondulant, entre le surf et le skate
Comme on le remarque en observant les figures de proue de cette génération – hyper-connectées et hyper-ancrées dans leur environnement immédiat –, des styles bien distincts apparaissent partout. Lizzie Armanto puise dans ses racines californienne pour développer un art ondulant, entre le surf et le skate. Yndiara Asp, brésilienne, possède une élégance des plus fluides. Et Mami Tezuka, du Japon, est saluée pour son ultra-précision. Quel point commun ? Une ode au béton et à la rue, permettant un dépassement de soi, mais aussi un art symbolisant la liberté et le mouvement.
Une résistance à l’hégémonie
Le rapport entre petites roulettes et engagement social ne date pas d’hier : dans les années 1950, le “surf de trottoir” naît en Californie, lancé par des surfeurs qui voulaient étendre leur pratique à la ville. En plein baby-boom, à l’aube du capitalisme effréné où l’époque est normée et sexiste, une telle activité devient alors une véritable provocation.
Pourquoi cet engouement ? Précisément parce que le skate est l’antithèse de la limousine
Vers la fin des années 1980, le skate ressurgit, au pic d’un capitalisme clinquant marqué par la globalisation et la surconsommation. Il se lie à des scènes indépendantes, comme les Beastie Boys en musique ou le cinéma d’Harmony Korine et Larry Clark. Aidée par le jeu best-seller de Tony Hawks sur Nintendo, figure du milieu, cette culture se retrouve propulsée dans le mainstream, massivement reprise et popularisée. Comment oublier le Sk8er Boy d’Avril Lavigne ?
Pourquoi cet engouement ? Précisément parce que le skate est l’antithèse de la limousine. A une époque où règnent la figure du golden boy, le mythe du self-made-man et la concurrence carnassière, le skate, lui, tourne le dos à la rivalité. “La compétition n’est pas centrale, l’effort est valorisé et la comparaison directe, évitée, avec l’idée qu’un environnement encourageant est plus joyeux… ainsi les allées deviennent des vagues d’asphalte…”, écrit l’écrivain spécialiste F. Vivoni.
Combattre une communication sexiste
Et aujourd’hui ? Les skateparks seraient des sortes de safe spaces (lieux où l’on se sent en sécurité), où l’on mène une activité solitaire mais entourée par une communauté – une métaphore de la vie actuelle ? Pour Helena Long, c’est presque une forme de spiritualité : “Tu es ton propre maître et tu progresses en fonction de tes envies, c’est toi face à toi-même, mais en groupe.” Quoi de plus étonnant en période #MeToo, dans des villes ultra-sécurisées et une société ubérisée ? Reprendre possession de ses déplacements sans contrainte financière ou dégât environnemental, se réapproprier le mobilier urbain : la vogue de la pratique dévoile une génération fermement opposée aux valeurs néolibérales avec lesquelles elle a été élevée.
Hormis cette pensée égalitaire, une autre facette moins reluisante du skate concerne le fait que son industrie est encore largement dominée par les hommes, ce que l’on perçoit dans une communication sexiste encore présente. “En contraste avec la majorité des athlètes hommes, toujours montrés en train de pratiquer le sport, la femme est présentée comme un objet, en mettant l’accent sur son physique. Sa pratique est secondaire. Car le skate ne vise pas l’égalité mais le goût populaire d’où découle le ‘elle est douée… pour une fille”, dit Spencer Linford, journaliste et skateur.
Pourtant – et fort heureusement –, aujourd’hui, les collectifs naissent et font plus de bruit que jamais : Shred The Patriarchy ou Brujas sont des gangs de filles féministes qui se réapproprient leur corps et la ville par le biais du skate. Chacune milite de façon 3.0 tout en s’impliquant dans sa communauté locale. Si, pour citer Michel de Certeau, ce sont les pas qui écrivent la ville, celle-ci fait un ollie dans l’imaginaire collectif.
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