Son coup de pied sauté avait buzzé pendant deux semaines : le « ninja », un autonome de trente ans un an soupçonné d’être policier, a été condamné à un an de prison dont six mois fermes.
Le “ninja” n’est pas un policier transformiste mais un autonome de trente ans. Ce lundi, Grégory B. comparaît devant le tribunal correctionnel de Paris pour des faits commis le 16 octobre lors de la manifestation contre la réforme des retraites. Alors qu’un quinquagénaire veut empêcher un casseur de défoncer la façade d’une banque, Grégory B., le visage dissimulé, saute et lui assène un coup de pied dans le dos.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Une vidéo de la manif sauvage et de cette action précise, tournée par l’agence Reuters, se retrouve sur tous les blogs et sites d’information.
Commence alors un tourbillon médiatique : on soupçonne “le ninja” d’être un policier en civil provocateur. En fait non, c’est bien Grégory B., il le reconnaît devant le tribunal. Sur des photos prises une heure avant, les services de police avaient d’ailleurs pu l’identitifier grâce à ses vêtements. Encadré par deux gendarmes, il s’explique :
“J’ai vu monsieur intervenir. La situation était tendue, il risquait de se faire lyncher. Je n’étais pas là pour agresser des passants. J’ai voulu lui faire peur, le faire fuir.“
Le président du tribunal ironise : “c’est pour son bien que vous lui donnez un coup de pied?” “Pourquoi n’avez vous pas utilisé vos mains?” demande la juge assesseur. “Ca prend plus de temps. C’était pas un coup qui frappe, plutôt un coup qui pousse.”
La victime s’est constituée partie civile. Bertrand De Quatrebarbes rencontre pour la première fois son agresseur à visage découvert. Condamné à plusieurs reprises depuis 2003 pour violence, port d’arme, dégradations, transports de produits explosifs, refus de prélévement, Grégory B. a reçu sa dernière peine le 1er mars. Il vit de petits boulots et du RSA, change souvent d’adresse.
La partie civile n’a visiblement pas gardé une dent contre l’auteur du coup de pied :
“Je ne pense pas que le débat sur les retraites ait besoin de casseurs, c’est pour ça que je suis intervenu. Sur le moment je n’ai pas perçu qu’il ait cherché à me défendre, mais je suis content que ce soit le cas.”
Bertrand de Quatrebarbe explique avoir porté plainte sur proposition de la police, “pour qu’on trouve qui était le casseur” et parce qu’il “craignait qu’on prenne le premier venu pour en faire un coupable”. Expliquant que le coup de pied ne l’avait pas blessé, simplement projeté contre la vitrine, il ne demande un euro de dommages et intérêts pour le préjudice corporel. Et 500 euros pour le préjudice moral (la violence, la peur provoquée), qu’il reversera au Secours Populaire.
Deux gardes à vue
L’étrangeté de l’audience tient surtout aux circonstances de l’arrestation. Présenté par les syndicats policiers, voulant se défendre des accusations d’infiltration, comme un “militant d’extrême-gauche”, Grégory B. est arrêté une première fois le 28 octobre. Plusieurs sources policières, y compris la Préfecture de police de Paris, le présentent alors comme le “ninja” présumé, identifié grâce aux images, avant de redevenir prudente.
En réalité, Grégory B. est arrêté ce jour-là pour une autre affaire de dégradations, datant du mois de mars. Ses avocats, Maîtres Bedossa et Devonec, s’indignent : leur client a également été entendu sur le coup de pied lors de cette garde à vue, ce dont ils n’ont pas été prévenus.
“Cette garde à vue entache la procédure”, estime Maître Bedossa, qui soulève la nullité. Le parquet parle d’une audition “pendant un temps de repos”. Ce n’est pas le seul vice de procédure dénoncé par la défense.
Relâché et mis en examen pour l’autre affaire, Grégory B. est arrêté à nouveau quelques jours plus tard, le 5 novembre. Dans l’attente du procès de ce lundi, il passe un mois à Fleury-Mérogis, en détention provisoire.
Deux ans de prison requis
Un coup de pied donc, c’est-à-dire des violences légères, normalement passibles de 750 euros d’amende au tribunal de police. Mais avec la circonstance aggravante de dissimulation du visage, cela devient plus sérieux. Grégory B. est également poursuivi pour dégradation d’un bien privé en réunion, en l’occurrence la façade de la banque. Pour la procureure, “Monsieur B. vient pour empêcher un passant d’empêcher le casseur de casser”. Il serait donc complice.
A cela s’ajoute le refus de prélévement ADN, de prise d’empreintes et de photos. Le prévenu met en avant son opposition au fichage. L’avocate de la partie civile voudrait en savoir plus sur ses convictions politiques, mais il refuse de s’étendre sur le sujet.
La procureure s’en charge pour lui, en détaillant le fruit des perquisitions : un tract sur le prélévement ADN, le fascicule “Face à l’outil antiterroriste, quelques conseils pratiques” diffusé par des groupes anarchistes ou autonomes. Le président du tribunal, avant elle, avait évoqué les livres, vêtements, jumelles et caméras retrouvés dans le squat où habiterait Grégory B. et dans un box dont il gardait la clé.
“Monsieur B. est très certainement quelqu’un qui a des convictions politiques […] dans le détail desquels il ne m’appartient pas d’entrer”, résume le parquet, tout en faisant l’inverse. La procureure requiert deux ans de prison ferme pour l’ensemble des faits et deux mois pour le refus de prélévement ADN, qui doit être examiné séparément.
L’avocate de Grégory B. s’indigne : “S’il n’y avait pas eu cette photo, l’intervention de Mélenchon et de Thibaut, on n’en serait pas là. Il n’y a pas de raison que GB, parce qu’il a été pris en photo, paie plus que les autres. On veut empêcher certains de penser ce qu’ils pensent, de vivre comme ils vivent.” Maître Devonec renchérit : “Il y a quand même une petite disproportion entre le fait d’être depuis un mois à Fleury et que le parquet demande 23 mois supplémentaires et le fait que la victime n’ait aucune blessure.”
Résultat : un an de prison dont six mois fermes et les dommages et intérêts demandés par la partie civile. Malgré l’agitation médiatique et l’existence de photos assez nettes, le casseur de la banque, lui, n’a jamais été retrouvé.
{"type":"Banniere-Basse"}