Charline Vanhoenacker, François Morel et Patrick Pelloux ont rejoint le mensuel. Malgré ce que pouvait laisser craindre la mort de son fondateur en 2016, le titre poursuit son développement.
Train Paris-Caen. Catherine Sinet entrevoit la chevelure brune de François Morel quelques sièges plus loin. Sans hésiter, elle se lève pour se présenter au comédien. Après un passage en revue de leurs amis communs, le chroniqueur de France Inter est invité à venir donner des “coups de boule” dans Siné Mensuel. Cette arrivée en entraîne une autre. Patrick Pelloux, médecin urgentiste et ancien membre de Charlie Hebdo, est lui aussi embarqué dans l’aventure.
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C’est tout le paradoxe. Malgré le décès en 2016 de Siné (Maurice Sinet), son jovial fondateur, le mensuel satirique, qui s’apprête à fêter ses 10 ans, n’a jamais paru aussi vivant. “Je pensais qu’après sa disparition, les ventes allaient chuter terriblement. Ça n’a pas été le cas. Il y a toujours des râleurs qui estiment que c’était mieux au temps de Siné mais on continue quand même”, raconte Catherine Sinet dans les locaux de la rédaction, devant une couverture du journal où l’on voit Trump en Oncle Sam dire “I fuck you”.
Aucun conflit avec Charlie
Alors que Charlie Hebdo est l’objet d’une captation politique depuis les terribles attentats de janvier 2015, Siné Mensuel apparaît comme moins marqué. En rejoignant la rédaction, Charline Vanhoenacker dit réaliser un rêve : Siné était le dessinateur qu’elle préférait dans Charlie. Avant qu’il ne soit licencié en 2008.
Depuis, la chroniqueuse vedette d’Inter s’est d’ailleurs un peu détachée de la lecture de Charlie, dont elle pointe le passif et qui a “peut-être un poil plus d’idéologie dorénavant”. Et d’ajouter : “Je ne suis pas certaine que mon édito sur la laïcité serait passé dans Charlie. J’ai envie de croire que oui.”
Siné a été viré de Charlie Hebdo suite à une chronique évoquant une possible conversion au judaïsme de Jean Sarkozy, un article jugé antisémite par Philippe Val, directeur de l’époque. Le journal a été condamné par la suite pour licenciement abusif. François Morel, lui, veut désamorcer les conflits.
“Ce n’est pas contre des journaux comme Charlie Hebdo ou Le Canard enchaîné que j’écris dans Siné Mensuel. Il y a une communauté d’esprit entre tous ces gens-là. Même s’il y a eu des différends à certains moments, il n’y a pas de vraie différence philosophique.”
Gratter des papiers manquait à Patrick Pelloux
Patrick Pelloux a préféré prendre ses distances après l’attaque qui a frappé l’hebdomadaire : les plaies sont encore trop vives. S’il manifeste son plaisir de retravailler dans un journal, il confesse son angoisse : la peur de perdre, à nouveau, une équipe qu’il apprécie. Mais gratter des papiers lui manquait et Siné Mensuel est venu combler ce désir. “Dans tout mon malheur et dans ma vie de merde, il y a ce truc-là qui est vachement bien”, soutient-il.
La ligne du journal, c’est de rigoler Catherine Sinet
Siné Mensuel est composé pour moitié de dessins, pour moitié de chroniques, de reportages et d’enquêtes qui abordent aussi bien la politique que l’environnement ou la culture. “La ligne du journal, c’est de rigoler”, indique Catherine Sinet. Patrick Pelloux, qui tient des chroniques sur la santé sociale, affirme que c’est pour lui un grand bol de liberté.
“C’est un journal totalement atypique, avec des caricatures pour faire marrer les gens. Je trouve que c’est quelque chose d’extrêmement moderne et important pour les lecteurs. Ça vaut le coup d’écrire des papiers pour eux.” Une liberté que revendique également Charline Vanhoenacker. “J’aime écrire dans Siné car c’est là où je peux le plus me lâcher, c’est là où on est le plus libre. On peut repousser ses limites.”
Siné Mensuel vit sans publicité, sans mécène
Pour François Morel, “le journal parle d’aujourd’hui”. Il apprécie son caractère insolent et revendicatif, “qu’il faut défendre”. “C’est essentiel qu’il y ait cet esprit frondeur qui peut se créer, cela prouve que l’on est dans une démocratie, ce n’est pas rien”, appuie le comédien. Patrick Pelloux enfonce le clou : “Les Français doivent se rendre compte qu’acheter un journal, c’est protéger la démocratie.”
Depuis deux mois, Siné Mensuel est disponible en ligne, au même tarif que le format papier. “Ça a été un long débat. Siné, lui, ne voulait pas en entendre parler”, commente Catherine Sinet, épouse du dessinateur. Elle explique ce choix par une volonté de rendre accessible le journal au plus de monde possible et insiste sur le fait qu’elle ne croit pas à la gratuité des contenus sur le web : “Tout travail mérite salaire.”
Siné Mensuel vit sans publicité, sans mécène, seulement grâce aux lecteurs. La très grande majorité ont entre 25 et 45 ans. Les nouvelles recrues du journal reflète cette dynamique. “Je pense que l’on va dépasser les 100 000 ventes par mois et que l’on pourra faire de la publicité avec des avions sur les plages cet été…”, plaisante Patrick Pelloux. S’il semble peu probable de voir un jour les dessins de Jiho ou de Willem flotter dans le ciel, leur avenir sur le papier semble assuré.
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