Pour le dessinateur, les accusations d’antisémitisme n’étaient qu’un prétexte de Val pour se débarrasser de lui.
Avez-vous été surpris parla violence de la querelle entre vos détracteurs et vos soutiens ?
Siné – Complètement. Je n’en reviens toujours pas. La querelle dépasse la guéguerre entre Val et Siné. Personne ne sait même plus comment ça a démarré.
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Comment l’expliquez-vous justement ?
Je ne sais pas, je crois qu’il y a un vrai ras-le-bol généralisé, les gens en ont plein le dos des donneurs de leçon. Franchement, il faudrait un psychanalyste pour éclaircir tout ça. Je suis en tout cas le plus étonné de tous. Ce que je sais, c’est qu’internet m’a sauvé la peau. Sans internet, j’étais viré avec perte et fracas. Les médias n’ont pas pris parti pour moi, c’est même plutôt l’inverse. Je suis passé l’autre jour à la télé, dans l’émission de Paul Amar : il m’a assassiné en direct, l’enfoiré. Il m’a encore fait chier sur l’antisémitisme. Du coup, j’ai refusé d’aller sur le plateau de Michel Field qui voulait faire pareil. Tous les coups sont pourris. J’en ai marre. Tout le monde me tombe dessus avec l’antisémitisme, c’est ridicule, c’est le seul argument qu’ils ont. Ils sont même arrivés à faire signer la ministre de la Culture contre moi. Ils m’ont comparé aux écrivains antisémites du XIXe siècle, c’est n’importe quoi. Ce sont des grands malades, franchement. Les médias sont des vrais chiens de garde. Plus ils sont cultivés, plus ils sont méchants. Le peuple, heureusement, ne suit pas. Je crois que cet acharnement a énervé du monde. Les prolos, ils sont de mon côté. Quand les élites appellent à voter oui, les Français votent non. On n’est quand même pas complètement abrutis. C’est un peu ce qui se passe là.
Vous avez le sentiment que les “élites” vous en veulent ?
Oui, mais ce sont les élites du côté du manche, comme BHL. Moi aussi j’ai des soutiens d’intellectuels, comme Michel Onfray, Michel Warschawski, mon correspondant à Jérusalem, ou Raoul Vaneigem, le situationniste numéro 1, qui écrit un papier dans le premier numéro de Siné Hebdo.
« Philippe Val n’osait pas me rentrer dans la gueule en direct parce que je lui faisais un peu peur. »
Le rôle du journaliste Claude Askolovitch a-t-il été crucial selon vous dans le déclenchement de l’affaire ?
Evidemment. Philippe Val n’osait pas me rentrer dans la gueule en direct, parce que je lui faisais un peu peur. Du coup, il a prié son copain Claude Askolovitch de le faire pour lui sur RTL. Mon intime conviction, c’est que Val l’a appelé pour lui dire de me descendre en trouvant un prétexte quelconque. Ils ont mis plus de huit jours, car j’ai fait une seconde chronique après celle où il y a la phrase qui m’est reprochée. Personne n’avait remarqué qu’il y avait une phrase soi-disant antisémite dans la première. Ils se foutent vraiment de la gueule du monde. Ils ont mis huit jours pour essayer de trouver un truc, en lisant ligne par ligne un texte. Ils se sont accrochés à une phrase et ont tout orchestré, téléphoné à tous leurs potes, pour essayer d’avoir ma peau.
Votre différent avec Val date de quand ?
Ça fait au moins quinze ans. Dès qu’il a pris Charlie Hebdo, on ne pouvait pas se voir en peinture. Je n’ai pas les mêmes idées que lui. On est d’accord sur rien. Sur l’Europe, sur la Palestine… Il prétend que e suis homophobe, n’importe quoi. Il donne des leçons comme s’il était un patron de droit divin. C’est un petit monsieur qui chante mal et qui n’a aucun talent. Avant, dans le duo Font et Val, c’était Font 1 qui avait le talent, pas lui. Il a séquestré le journal, alors que personne n’a voté pour lui. Aucun collaborateur n’estime qu’il a les compétences pour être le directeur. Mais par contre, il se comporte comme un patron d’entreprise.
Charlie Hebdo, c’est quoi aujourd’hui pour vous ?
C’est comme le PS qui n’est plus socialiste. C’est une dérive générale, comme toute la France qui vire à droite.
Mais Val n’est pas de droite quand même.
Moi, je le vois comme un mec de droite. Ce n’est pas l’extrême droite, c’est le modèle du Modem. A mon avis, il est plus à droite qu’à gauche. On s’est toujours opposés frontalement. Il m’appelait tout le temps, avec son avocat, pour me demander de modifier des expressions. Un jour, j’avais dû changer l’expression “sale type”. En général, je m’exécutais. Mais c’était une bagarre continuelle. Pour déconner, j’avais écrit à propos du film Le Secret de Brokeback Mountain que “les cow-boys n’ont plus besoin de chevaux, ils se chevauchent entre eux”. Moi, ça me faisait rire, mais Val trouvait ça homophobe. Mais j’étais aussi traité d’antiféministe, parce que je dessinais des trop gros nichons. Il avait oublié qu’on était un journal d’humoristes. C’est un emmerdeur. Ses éditos sont illisibles.
« Je n’ai reçu aucun soutien de la rédaction de Charlie. Parce qu’ils sont terrorisés, ils sont sous la table. »
Comment avez-vous ressenti le manque de soutien de vos collègues de Charlie ?
Je n’ai reçu aucun soutien de la rédaction. Parce qu’ils sont terrorisés, ils sont sous la table. Chacun s’écrase parce qu’ils pensent qu’ils ne trouveront pas de boulot ailleurs. C’est vrai que les dessinateurs n’ont pas tellement d’ouverture s’ils partent de Charlie. Ils ont interdiction de fumer, on peut comprendre ça au Figaro, mais là, franchement, Val a viré tous les cendriers, et personne ne moufte.
En même temps, il applique la loi.
Mais merde, qu’est-ce que c’est ce truc ? Chez moi, on fume. On n’est pas obligé de se plier à la loi, quand même ! C’est fou ! Charlie, c’était un bastion anti-loi. Moi, je traverse en dehors des clous exprès.
Y a-t-il eu selon vous des pressions de Jean Sarkozy sur Philippe Val ?
Mais non, c’est du bidon. Aucun avocat représentant Jean Sarkozy n’a menacé qui que ce soit. Val a inventé ce truc-là pour me faire plier et que je présente des excuses. Il m’a dit qu’il avait eu quatre fois l’avocat qui le menaçait d’un procès, c’est complètement faux, et je le sais par quelqu’un de proche de Val. Jamais il n’a reçu le moindre coup de fil. Jean Sarkozy ne s’est jamais manifesté. Il s’est peut-être mis en colère mais il n’a jamais envoyé de lettre ou exprimé de menace. C’est un vrai traquenard.
Vous trouvez qu’il y a des tabous à Charlie ?
On ne peut pas toucher à BHL, sacré, ou au fils de Sarko. Arrêtons le massacre. L’avocat de Charlie est l’avocat de Clearstream, si ça ne choque personne, eh bien bravo. Moi, ça me bouleverse. Quand on dit ça à Val, il écume, il devient tout rouge, il perd ses moyens. Si quelqu’un du journal écrit ça, il est viré. Comme si quelqu’un parle de son ancien pote Font, pareil. Il y en a des tabous à Charlie.
Siné Hebdo propose quoi en face ?
Charlie, c’est un torchon, où travaillent encore des mecs bien qui gagnent leur croûte mais qui vont disparaître. Siné Hebdo, ça sera ce qu’aurait dû toujours être Charlie Hebdo. Je vais essayer de faire renaître l’esprit de Charlie, l’esprit de Cavanna, de Choron. Le pauvre Cavanna, il pleure dans sa campagne en se disant qu’on a tué son enfant : un parricide. La virevolte de Charb, cosignant un texte pour me condamner, m’a aussi sidéré. J’ai dit aux gars de faire une grève générale, mais ils me disaient tous qu’ils ne pouvaient rien faire. Qu’ils crèvent tous.
« Val savait que sans moi, Charlie allait perdre 20 000 lecteurs. »
Vous vous sentez trahi par vos amis ?
C’est une déception humaine très forte, un peu inexplicable. Tout d’un coup, plus personne. Je n’allais jamais à Charlie, car sinon j’allais casser la boutique. J’étais ostracisé, le mouton noir. Je le savais. Ce que j’ai vraiment trouvé dégueulasse, c’est cette minable accusation. Ils me virent et ils ne me filent même pas dix balles, après quinze ans de service, c’est dingue. Je m’amusais bien à Charlie, quand même, tant que j’arrivais à défendre ma page, même en sachant que mes jours étaient comptés. Val savait que sans moi, Charlie allait perdre 20 000 lecteurs.
Vous définissez-vous encore comme un anar ?
Oui, de plus en plus. Je conteste toutes les formes d’autorité. Je veux que ça soit le peuple qui gouverne. On n’a pas besoin de patrons. Val est du côté du manche. Il veut être un débatteur, un homme sérieux qu’on invite à la élé, moi j’ai envie de baisser mon froc et dire : allez tous vous faire foutre. C’est une différence essentielle entre lui et moi. Val est islamophobe surtout, il n’y a que les musulmans sur lesquels on peut taper avec lui, pas les autres, c’est un peu gros. Moi, je ne fais pas de différence entre les religions, elles s t toutes l’opium du peuple.
Où placez-vous vos limites ?
La limite, c’est le pognon et l’avocat qui la définissent. Si j’avais les moyens de me payer tous les procès, je taperais volontiers plus fort. La seule limite, c’est l’avocat qui nous dit qu’on chie dans la colle, du coup, on s’assagit. Dans ma tête, je n’ai pas de limites.
Propos recueillis par Anne Laffeter et Jean-Marie Durand
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