Le portrait autobiographique et théorique du grand anthropologue.
Dès les premiers plans du portrait que Pierre Assouline consacre à Claude Lévi-Strauss – un montage fluide d’entretiens, d’archives privées, photos et films de sa collection personnelle, le tout uniquement porté par la voix de l’anthropologue –, une évidence s’impose : la figure tutélaire du structuralisme n’aura jamais aussi bien servi la philosophie qu’en s’en éloignant.
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En sortant de la chambre noire, des positions de repli et de surplomb, auxquelles sa formation le destinait, pour aller “courir le monde” à la rencontre des Bororo ou des Nambikwara… Délaissant volontiers les bancs de l’université de São Paulo où il enseignait la sociologie depuis 1935, il passe de longs mois auprès de ces peuplades d’Amazonie, dont il tire une expérience de l’altérité radicale, alors même que l’ethnologie n’en était qu’aux balbutiements.
“Les sociétés dites primitives ne le sont pas plus que nous”
“Les sociétés dites primitives ne le sont pas plus que nous, mais elles le sont en ce qu’elles souhaitent rester dans l’état qu’elles s’imaginent avoir été celui de leur création. Elles abolissent le temps. (…) Moins que la différence de croyances, de coutumes, de règles sociales, on voyait surgir un certain fonds d’humanité commune entre elles et nous.”
A partir de cette intuition, il jettera plus tard les bases d’une nouvelle méthode, l’anthropologie structurale : une science permettant d’organiser et de rendre accessible “l’effroyable diversité et multiplicité des apparences qui sont nos données brutes”.
Le retrait aristocratique d’une époque qu’il n’aimait pas
A l’image de son ouvrage le plus célèbre, Tristes tropiques, dont Lévi-Strauss révèle la genèse et la construction musicale, le film mêle volontiers la narration autobiographique aux aspects théoriques de son œuvre, dont la portée scientifique ne cesse de rayonner, dessinant au fil des propos le caractère dual et parfois contradictoire de l’auteur.
Immersion empirique et puissance théorique, sensibilité artistique et inflexion rationaliste, indépendance vis-à-vis des institutions et attachement infatué aux rites de l’Académie Française, emprise dans le siècle, que ses travaux sur les mythes, la pensée sauvage ou les structures de la parenté n’auront cessé d’éclairer, et détachement, apolitisme déclaré, retrait aristocratique d’une époque qu’il n’aimait pas. Ce qu’il nommera en somme le “regard éloigné”…
Le Siècle de Claude Lévi-Strauss documentaire de Pierre Assouline. Mercredi 6, 22 h 45, Arte
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