De la vente d’Adidas à la mise en examen de Stéphane Richard, actuel PDG d’Orange et ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy, retour sur 20 ans d’affaire Tapie.
Énième rebondissement dans l’affaire Tapie : l’actuel PDG d’Orange et ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde, Stéphane Richard, a été mis en examen ce mercredi après avoir été entendu par les enquêteurs lors de son placement en garde à vue lundi. Alors que Jean-François Rocchi, l’ex-président du Consortium de réalisation a été placé en garde à vue lundi matin. Stéphane Richard doit à son tour s’expliquer sur le recours à l’arbitrage en 2008 pour régler le contentieux qui oppose Tapie au Crédit Lyonnais depuis le début des années 1990. Comment l’affaire Tapie est-elle devenue une véritable affaire d’Etat ? On reprend tout ici pour que vous ne perdiez pas le fil.
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• Les principaux acteurs
Bernard Tapie : en 1992, Pierre Bérégovoy, fraichement promu Premier ministre par Mitterand, soumet la candidature de Bernard Tapie au poste de ministre. Le Président de la République dit oui mais à une condition : l’homme d’affaires connu pour son engagement politique au sein du PS dans les Bouches-du-Rhône doit laisser de côté son business, incompatible avec sa possible mission au gouvernement. Avant de prendre les rênes du ministère de la Ville en décembre 1992, Tapie revend ses entreprises, dont la plus connue, Adidas, achetée deux ans plus tôt. Et charge le Crédit lyonnais de la mise en vente. Le début d’un conflit politico-financier de 20 ans.
Le Crédit lyonnais : au début de l’affaire, le Crédit lyonnais est un établissement bancaire public avec lequel Bernard Tapie a déjà eu l’occasion de traiter. Chargée de l’expertise et mandatée pour la vente, la banque s’aperçoit que la valeur d’Adidas pourrait dépasser les 2,085 milliards de francs (315,5 millions d’euros) estimés par son futur ex-propriétaire. En revendant immédiatement la société à l’industriel Robert Louis Dreyfus via des sociétés offshores, la banque fait d’importantes plus-values sur le prix fixé par l’homme d’affaires. Sans en dire un mot à Tapie. La vente est finalisée en février 1993. En parallèle, le Crédit lyonnais organise la liquidation judiciaire du groupe Tapie un an après. En 1995, Bernard Tapie découvre les ficelles du plan financier, le dénonce et réclame 229 millions d’euros de plus-values de cession au Crédit lyonnais, via le Consortium de réalisation. Puis 990 millions d’euros pour « montage frauduleux » en 1998. De son côté, le Crédit lyonnais, très gourmand, enchaîne les acquisitions et les prêts à risque et finit avec des millions de pertes.
Le Consortium de réalisation : que se cache-t-il derrière cette mystérieuse appellation ? Une structure créée par l’Etat en 1995 afin de liquider le passif du Crédit lyonnais. A l’époque, le CDR est présidé par Jean-François Rocchi. Bernard Tapie traitera directement avec lui de ses différends judiciaires avec le Crédit lyonnais. L’organisme public est finalement condamné à payer 135 millions d’euros de dommages et intérêt en 2005. Une décision révoquée par la Cour de Cassation l’année d’après. C’est de nouveau le statut quo entre le CDR et Tapie. Mais deux ans plus tard, le ministère de l’Économie, dirigé au moment des faits par Christine Lagarde, autorise Bernard Tapie à porter l’affaire devant un tribunal arbitral. Un mode alternatif de réglement des litiges habituellement choisi pour sa discrétion, sa facilité et sa rapidité… sans passer par l’Etat. Il est composé de trois juges : Pierre Estoup, Jean-Denis Bredin et Pierre Marzeaud qui décideront de dédommager Tapie à hauteur de 403 millions d’euros. C’est le CDR, donc l’Etat, qui paie la note.
La polémique bouillonne (vraiment) à partir de là : pourquoi Christine Lagarde a-t-elle fait le choix de l’arbitrage privé alors que l’argent en jeu était public (vu le statut du CDR) ? Quels liens entretiennent Bernard Tapie et les juges arbitres ?
Christine Lagarde : interrogée en mai par la Cour de justice de la République (CJR) au titre de témoin assisté dans ce qui est devenu depuis « l’affaire Tapie », l’actuelle chef du Fonds monétaire international n’est pas revenue sur sa décision d’avoir recouru à l’arbitrage. Lagarde assume. Elle échappe par ailleurs à sa mise en examen pour « complicité de faux et détournement de fonds publics » demandée par Jean-Louis Nadal. En 2011, cet ex-procureur général près la Cour de cassation a sévèrement mis en doute les choix de l’ancienne ministre… Dans un rapport, il estimait qu’elle avait « constamment exercé ses pouvoirs pour aboutir à la solution favorable » à Bernard Tapie et demande des éclaircissements à la CJR. Après deux jours d’audition le mois dernier, la directrice générale du FMI est pour l’instant à l’abri.
Ce qui n’est pas le cas de son ancien directeur de cabinet, Stéphane Richard placé en garde à vue ce lundi. Ce n’est pas non plus le cas des juges arbitres du dossier Tapie : une mise en examen pour Pierre Estoup, de larges soupçons sur Jean-Denis Brandin, et des perquisitions au domicile de Pierre Mazeaud.
Pierre Estoup : A 86 ans, il est mis en examen pour « escroquerie en bande organisée » le 29 mai. Ce magistrat à la retraite est accusé de conflit d’intérêts avec Bernard Tapie. D’après les révélations du sites d’information Mediapart, Pierre Estoup aurait déjà travaillé pour Bernard Tapie. Or, il a arbitré le conflit entre Bernard Tapie et le Crédit lyonnais, sans informer de ses liens avec l’homme d’affaire et son avocat, Me Maurice Lantourne. Tapie nie. Les enquêteurs auraient également saisi un livre dédicacé par Bernard Tapie en 1998 au domicile de Pierre Estoup, selon l’Express.
Et aussi…
• Jean-Louis Borloo : il n’a pas (encore) été convoqué par la justice mais comme d’autres dans l’affaire, l‘actuel président de l’UDI a eu des liens avec Bernard Tapie. Et c’est aussi le prédécesseur de Lagarde à la tête de Bercy après l’élection de Nicolas Sarkozy. Est-il mêlé au choix de l’arbitrage qui a finalement favorisé son ancien client ?
Claude Guéant : secrétaire général de l’Élysée sous Sarkozy, il est lui aussi soupçonné d’avoir influencé l’ouverture de la procédure d’arbitrage, via le ministère de l’Économie. Les enquêteurs ont passé son domicile et son bureau au peigne fin à la recherche de preuves. Guéant a rencontré plusieurs fois Tapie. Ce dernier assure que l’éminence grise de Nicolas Sarkozy ne connaissait rien au dossier. Idem pour son adjoint, François Pérol. Peu après la victoire de Bernard Tapie, les deux hommes se seraient en tout cas rencontrés.
Le ministre de l’Economie et des Finances, Pierre Moscovici, a réitéré ce lundi la décision de Bercy selon laquelle l’Etat allait se constituer « partie civile » dans le volet non-ministériel de l’Affaire Tapie « pour défendre ses intérêts et ceux du contribuable ». Un statut qui lui permettrait de faire appel pour obtenir l’annulation de l’arbitrage de 2008.
• Les dates-clés
15 février 1993 : Bernard Tapie vend Adidas pour 315,5 millions d’euros, prix fixé par l’homme d’affaires. Entre temps, le Crédit lyonnais s’est fait de l’argent sur la vente du groupe à Robert Louis Dreyfus, via des sociétés offshores.
30 septembre 2005 : des années de procédure ont passé avant que la cour d’appel de Paris ne rende sa décision : le Consortium de réalisation est condamné à payer 135 millions d’euros d’indemnités à Bernard Tapie. La Cour de cassation casse finalement cette décision.
25 octobre 2007 : le choix de l’arbitrage est acté. Les parties en cause – Tapie et le CDR – ont recours à une procédure privée en accord avec Bercy.
11 juillet 2008 : victoire pour l’homme d’affaires. Le CDR lui doit 403 millions d’euros de dommages et intérêts dans le cadre de l’affaire Adidas avec le Crédit lyonnais. Bercy ne fait pas appel et assure que Bernard Tapie ne touchera que 20 à 50 millions d’euros pour « préjudice moral ».
4 août 2011 : Christine Lagarde est dans le viseur des juges. La Cour de justice de la République ouvre une enquête visant l’ancienne ministre de l’Economie pour « complicité de faux et détournement de fonds publics ». Au même moment, Christine Lagarde vient tout juste d’être choisie pour succéder à Dominique Strauss-Kahn à la tête du FMI.
24 janvier 2013 : Le Monde révèle que des perquisitions ont été effectuées chez Bernard Tapie, puis Stéphane Richard – actuel PDG d’Orange et directeur de cabinet de Lagarde à l’époque. Même procédure chez les trois juges arbitres: Pierre Estoup, Jean-Denis Bredin, Pierre Mazeaud.
27 février 2013 : Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée pendant la procédure d’arbitrage, fait à son tour l’objet de perquisitions. La justice cherche la preuve d’une possible intervention de l’Elysée dans l’affaire Tapie.
23 mai 2013: après la perquisition de son domicile en mars, la directrice générale du FMI est auditionné devant la Cour de justice de la République sur les raisons d’un recours à l’arbitrage dans le dossier Tapie. Pas de mise en examen, seulement un statut de témoin assisté dans l’affaire.
29 mai 2013 : l’un des trois juges arbitres, Pierre Estoup, est placé en garde à vue à Paris. Même chose pour l’avocat de Bernard Tapie, Maurice Lantourne. Les deux hommes sont soupçonnés d’avoir eu des liens professionnels de longue date, inconnus lors de l’arbitrage. Le lendemain, Pierre Estoup sera mis en examen pour « escroquerie en bande organisée ». Il est soupçonné d’avoir favorisé l’arbitrage en faveur de l’homme d’affaires.
4 juin 2013: selon Médiapart, Pierre Estoup aurait déjà travaillé pour Bernard Tapie avant d’arbitrer le dossier qui l’oppose au Crédit lyonnais. Ce dernier dément tout liens avec le magistrat retraité.
10 juin 2013 : le PDG d’Orange, Stéphane Richard, est placé en garde à vue.
12 juin 2013: Stéphane Richard est finalement mis en examen pour « escroquerie en bande organisée » dans l’affaire Tapie.
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