Yves-Marie Le Bourdonnec, l’artiste-boucher d’Asnières, affirme que les éleveurs anglais sont les meilleurs du monde. Et selon lui, les Français feraient bien de les imiter, s’ils veulent tout simplement survivre. Bloody shocking interview.
A chaque ouverture du Salon de l’agriculture, c’est la même rengaine : les consommateurs paient leur bifteck de plus en plus cher, quand les éleveurs, eux, crient famine. D’où vient ce mystère ?
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Yves-Marie Le Bourdonnec – En France, les éleveurs sont une espèce en voie de disparition. Si rien n’est fait, d’ici quinze ans, il faudra importer la quasi-totalité de notre consommation de viande bovine. Le processus est largement enclenché : même des chaînes comme McDonald’s, Buffalo Grill ou Hippopotamus ont du mal à se fournir dans l’Hexagone. Avant, ils faisaient 100% de viande française, aujourd’hui, ils font venir de plus en plus de congelé de l’étranger. En fait, notre modèle de production est obsolète.
La viande française coûte beaucoup trop cher à produire. Nous avons de belles races à viande, les blondes d’Aquitaine, les limousines, et beaucoup d’autres encore, issues de terroirs très variés. Mais pour que de tels animaux viennent à maturité, bons pour l’abattoir, il faut les pousser jusqu’à 30, 40 mois ! Autant de temps pendant lequel l’éleveur va devoir les nourrir. Notamment avec des céréales, pour qu’ils fassent du gras. Le gras, c’est ce qui donne le goût à la viande. Pour finir un bovin chez nous, on peut avoir besoin de lui donner jusqu’à 2 tonnes de maïs ensilage ou d’autres céréales, mélangées avec du soja importé. Si le prix des céréales augmente, comme c’est le cas actuellement, patatras, c’est encore plus cher et la marge diminue d’autant. Un élevage rentable aujourd’hui en France, c’est quasi mission impossible. Nos éleveurs ne tiennent que par les subventions. Si les paysans français veulent vivre de leur métier, ils doivent révolutionner leurs façons de faire. Faire comme les éleveurs anglais par exemple.
C’est une blague ?
Pas du tout. Après la crise de la vache folle, les Anglais ont complètement remis à plat leur système d’élevage. Et aujourd’hui ils sont tout simplement devenus les meilleurs éleveurs du monde. Les Anglais pratiquent les races mixtes : un croisement entre vaches laitières et races à viande. Ça donne des animaux avec une viande saignante, tendre et goûteuse, exactement le goût mondial du moment. Mieux encore, ces vaches parviennent à maturité dès 20 mois ! Presque deux fois moins de temps que les races à viande françaises ! En plus, ces vaches précoces ont une bien meilleure capacité de fixation des protéines végétales : en gros, elles font du gras avec de l’herbe. Et l’herbe, c’est bien plus écolo que les céréales, très coûteuses en énergie et en eau. Pensez à tous nos champs de maïs irrigués et subventionnés dans le sud-ouest de la France. C’est une absurdité écologique et économique. L’éleveur anglais aujourd’hui peut vivre sans subventions, il est rentable et, croyez-moi, sa viande est excellente. Bien sûr, les races anglaises sont standardisées, moins glamour que nos magnifiques vaches-cartes postales de terroir. Mais les anglaises, elles, permettent à leurs éleveurs de gagner de l’argent.
Alors quoi, il faudrait abandonner nos Aubrac, nos bazadaises tamponnées VBF (viande bovine française) pour les remplacer par des black angus ou des hereford venues d’outre-Manche ? Mais en vous écoutant, Jeanne d’Arc serait devenue végétarienne !
Pas forcément. Nous avons plein de races mixtes en France qui permettraient à nos éleveurs de relever le défi. La pie noire en Bretagne, la blonde des Pyrénées dans le Sud-Ouest, la salers du Cantal et bien sûr la normande. De toute façon, soit l’élevage français s’adapte, soit il meurt. Pester contre les marges des grandes surfaces ne sert pas à grand-chose, pas plus que d’exiger du consommateur qu’il avale à tout prix du steak made in France. Nos éleveurs doivent parvenir à produire de la qualité, mais moins cher et en quantité. Les Anglais leur montrent le chemin.
Propos recueillis par Anthony Orliange
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