Cette semaine, le hashtag #SiLesNoirsParlaientCommeLesBlancs était l’un des plus discutés sur Twitter. Des milliers d’internautes ont inversé les préjugés racistes et infériorisants auxquels sont confrontés les noirs et ont révélé le racisme encore inhérent à la société française.
Ce mardi, Jade Mendouga, alias @supremenyx sur Twitter, a initié le hashtag #SiLesNoirsParlaientCommeLesBlancs afin d’ironiser sur la persistance des préjugés sur les noirs en France. Fille d’un Camerounais et d’une Française, cette étudiante en langues à Dijon a tweeté « C’est tes vrai cheveux ? Je peux toucher ? Ils sont super lisses, on dirait des poils de chiens »#SiLesNoirsParlaientCommeLesBlancs ». Alors qu’elle a assuré à l’AFP qu’elle voulait simplement « lancer un débat et rigoler avec les copines sur Twitter », son tweet a été relayé plus de 3 500 fois et son hashtag massivement repris.
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Ramenés trop souvent à leur couleur de peau, les Français noirs sont encore la cible de représentations fantasmées. La société dominante continue à véhiculer des préjugés racistes reposant sur un paternalisme déculpabilisé ou assimilant l’Afrique à un seul pays, un seul peuple et une seule langue.Tout ceci alors que les Français noirs sont quasiment invisibles dans les médias, en politique ou au cinéma.
« Regarde c’est moi en safari en Europe.. J’avais envie de tous les adopter » #SiLesNoirsParlaientCommeLesBlancs pic.twitter.com/RVLssddfce
— Alexandra (@caribbeaanb) February 16, 2016
Tu parles l’européen? Allez dis moi un truc en européen s’il te plaît, j’ai jamais entendu! #SiLesNoirsParlaientCommeLesBlancs
— hell no (@breflesgars) February 16, 2016
« Je viens de voir le Titanic. .. c’est affreux je savais pas que ton peuple avait autant souffert » #SiLesNoirsParlaientCommeLesBlancs
— jaja (@supremenyx) February 16, 2016
« Cette initiative sur Twitter montre qu’y compris ceux qui pensent avoir ‘une bonne conscience’ et ne se sentent pas racistes ont en réalité des préjugés racistes », assure Pascal Blanchard, historien spécialiste du fait colonial et auteur de La France noire (2011, La Découverte). Pourquoi ce racisme ordinaire perdure-t-il et souffre-t-il encore d’une cruelle banalisation, en 2016 ?
Un racisme qui ne dit pas son nom
Pour l’historien Pap Ndiaye, auteur de La condition noire. Essai sur une minorité française (2008, Gallimard), le racisme n’est aujourd’hui plus fondé sur l’existence de races hiérarchisées, mais sur des différences culturelles jugées irréductibles.
« Nous sommes passés d’un racisme biologique dominant jusqu’aux génocides de la Seconde guerre mondiale, à un racisme culturel qui attribue à chacun non pas une race spécifique mais une culture spécifique, présentée comme inapte à un métissage et à l’intégration dans la société française. »
Très banalisé aujourd’hui, cette discrimination culturelle n’est pas toujours perçue comme raciste, car elle n’évoque aucune hiérarchisation de races. « C’est une sorte de de racisme euphémisé. »
Un déni de la question noire
Selon Pap Ndiaye, les discriminations et préjugés subis par les noirs sont invisibilisés et passés sous silence au nom de l’universalisme républicain, aveugle aux minorités.
« La république s’est construite avec l’idée que les citoyens ne peuvent être distingués, y compris par leur couleur de peau. Se référer à la couleur de peau est perçu comme une réhabilitation des idéologies honteuses du passé. Il ne faut surtout pas parler des discriminations liées à son teint en France, elles mettent mal à l’aise tant à gauche qu’à droite. »
D’autant que « la France se représente encore trop souvent comme blanche, estime Pap Ndiaye. Lors de la perte de l’Empire il y a une cinquantaine d’années, l’ancienne France coloniale s’est repliée sur l’Europe. Comme la décolonisation a coïncidé avec la construction européenne, l’identité française s’est redéfinie autour du modèle européen et blanc. Alors que la France se colorait avec l’immigration, sa représentation politique se recentrait sur l’espace européen. » Depuis, la France a tendance à nier son passé colonial, dont elle est pourtant encore très imprégnée.
Chaque préjugé a une histoire encore vivace
En effet, beaucoup de préjugés racistes nés lors de l’esclavage et de la colonisation sont encore prégnants aujourd’hui, comme le cliché affirmant que les noirs ont la musique dans la peau, qui remonte à l’esclavage des noirs pour la production du coton. « Pour arriver à ‘faire travailler’ les esclaves noirs dans les champs de coton, il fallait une musique qui leur permette de trouver un rythme dans le travail, explique Pascal Blanchard. Le blues vient de là. »
Quant à l’autre cliché sur la prétendue « sexualité débridée » des noirs, il remonte à la mobilisation de soldats noirs lors de la Première guerre mondiale.
« Vingt ans avant le début de la guerre, les noirs étaient présentés comme des cannibales ou exhibés dans des zoos humains, affirme Pascal Blanchard. Mais à l’aube de la Grande guerre, la France a dû mobiliser les Afro-Antillais et les tirailleurs sénégalais, qui devaient désormais être vus comme les sauveurs de la République. Pour rassurer les populations face à leur présence en France, l’Etat a fabriqué des dizaines de milliers de cartes postales et de dessins de presse où l’on voit des noirs avec des femmes blanches et des petites filles blanches, pour prouver qu’ils sont sympathiques et ‘pas dangereux’. A partir de ce moment, l’opinion publique va surtout retenir la proximité entre les ‘noirs’ et la femme blanche, alors que dans les colonies, les couples mixtes étaient interdits et inimaginables. »
Des préjugés antérieurs à la colonisation
Toutefois, même si l’esclavage et la colonisation ont généré profusion de préjugés racistes pour justifier la domination coloniale, beaucoup ne sont en rien liés à la colonisation, assure Pascal Blanchard.
« Il y a aussi des préjugés sur les noirs dans les sociétés polonaise et russe, qui n’ont pourtant pas eu d’empire colonial. Certains préjugés racistes sont d’ailleurs antérieurs à la période coloniale. Des enluminures au Moyen-Age dans les vitraux en Allemagne montraient par exemple des noirs associés au diable et au mal. La couleur noire était celle des ténèbres, des monstres. »
« Etre noir en France, c’est toujours avoir à s’excuser pour sa couleur »
Mais pour Pap Ndiaye, ce racisme anti-noir est moins préoccupant que les discriminations de la vie quotidienne.
« Du point de vue de la vie des personnes, une insulte est pénible et éventuellement douloureuse, mais a moins d’impact que le fait de ne pas trouver un travail, un logement, ou d’être contrôlé pour délit de faciès. La question des discriminations est vivace en France, même si elle ne prend pas la même forme qu’aux Etats-Unis, où la violence physique y est beaucoup plus répandue. »
Dans un article de Libération paru en juillet 2015, des Français noirs expliquaient ainsi le « défi quotidien » que représentait le fait d’être noir en France. « On nous demande quelle langue nous parlons, ce que nous mangeons. Nous sommes un fantasme exotique aux yeux des autres. Nous ne sommes jamais assez Français. Etre noir en France, c’est toujours avoir à s’excuser pour sa couleur, c’est avoir à faire face à des insultes et des brimades, c’est travailler plus dur que les autres pour avoir droit à la même chose. »
« Si les stéréotypes perdurent, c’est qu’ils ont une utilité sociale »
Ces préjugés racistes et discriminations ne perdurent d’ailleurs pas seulement en raison d’un fond raciste, mais surtout parce qu’ils ont une utilité sociale. Les discriminations auxquelles font face les populations issues de la diversité, mais aussi les femmes ou encore les ruraux permettent à certains – les hommes blancs bourgeois de plus de cinquante ans – de garder leurs privilèges et de ne pas partager le pouvoir, affirme Pascal Blanchard.
« Chacun veut défendre son pré-carré et ses avantages sociaux, économiques, politiques ou culturels. Théoriquement, nous sommes très ouverts à l’égalité. Mais dans la pratique, dans le parlement français, il y a seulement 7 à 8 % de personnes issues de la diversité sur deux générations. Et 26 % de femmes, ce qui place la France au 48e rang mondial, derrière le Soudan, l’Angola ou la Bolivie, qui a même dépassé la parité avec 53 % de femmes. »
Le hashtag #SiLesNoirsParlaientCommeDesBancs peut ainsi « rappeler à l’ordre les privilégiés qui oublient les déséquilibres de notre temps ». Et engager une prise de conscience, pour peut-être satisfaire la demande exprimée en 2008 par Pap Ndiaye au nom de la minorité noire en France: « nous voulons être à la fois Français et noirs, sans que cela soit vu comme suspect, ou étrange, ou toléré à titre de problème temporaire en attendant que l’assimilation fasse son oeuvre. »
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