Un énième rapport est paru sur la situation des mineurs isolés étrangers. Sans famille et souvent sans papiers, ces jeunes ont fuit leur pays. Au centre d’accueil de Boissy Saint-Léger (Val-de-Marne), on s’emploie à les faire régulariser. Et à leur redonner quelques repères.
Le Centre Stéphane Hessel ou Centre d’accueil et d’orientation pour les mineurs isolés demandeurs d’asile (Caomida) est situé juste à côté de la gare de Boissy Saint-Léger, en banlieue parisienne. Terminus du voyage pour les 33 pensionnaires.
Pas question de se faire la malle en Grande-Bretagne. Ceux-là veulent s’installer en France. Un juriste est là pour les aider dans leur démarche. Ici, à la différence des foyers classiques, les travailleurs sociaux sont formés pour les demandes d’asile.
[attachment id=298]En cette fin de matinée, d’habitude, tout le monde est à l’école. Mais aujourd’hui, c’est férié. Certains discutent au foyer, au rez-de-chaussée de cet ancien hôtel. Jouent aux échecs. Les Afghans avec les Afghans. A la cantine, c’est pareil. Naturellement, les groupes se forment en fonction des pays d’origine.
« Il suffit de suivre l’actualité pour savoir qui on va accueillir« , explique Zine-Eddine M’Jati, le responsable du Centre. L’année dernière, il y a eu la guerre civile au Tchad. En ce moment, on a six Tchadiens. Ces dernières années, on a accueilli beaucoup de Sri Lankais, de Soudanais. » En ce moment, neuf Afghans vivent au Caomida…
On estime entre 6 000 et 8 000 le nombre de mineurs isolés étrangers (MIE) vivant en France. La plupart se concentre en Ile-de-France. Une population difficile à comptabiliser, en constante augmentation. En France, on ne peut pas expulser un mineur. « Ca, tous les pays l’ont compris », commente le directeur du Centre.
« La marge d’erreur de l’expertise d’âge est de 18 mois »
Pour être admis au centre, il faut être mineur, isolé, étranger, et réellement demandeur d’asile. Moyenne d’âge : 16 ans et demi, 17 ans. « C’est assez logique, justifie Zine-Eddine M’Jati. Seuls les plus résistants sont capables de faire le voyage jusqu’en Europe. »
Il n’y a que quatre filles en ce moment. « En moyenne, elles représentent un quart de l’effectif. On en voit de moins en moins, déplore le directeur, parce qu’elles se retrouvent dans des réseaux dans lesquels on les pousse à se déclarer majeures. »
Certains gaillards, eux, paraissent avoir largement consommé leur majorité… En cas d’absence de papier d’état civil ou de contestation, l’expertise médico-légale est pourtant « de plus en plus systématique », selon Pierre Henry, directeur de l’association France Terre d’asile. Le test s’appuie sur un examen osseux et sur des critères comme la pilosité. Mais il est sujet à controverse et jugé totalement dépassée : « La marge d’erreur est de 18 mois… »
Mohammed a 17 ans. Il est Somalien, élancé, souriant. Quatre mois qu’il est en France, deux mois au centre, un mois qu’il apprend le Français au Centre. Quand il aura un niveau suffisant, il intégrera une classe de FLE (Français Langue étrangère) dans un établissement du département. Il se débrouille assez bien pour raconter son histoire : « Là-bas, c’est trop dangereux pour moi. C’est la guerre. Si je reste, soit je fais la guerre, soit je me fais tuer. » Il mime un pistolet avec les doigts.
Son voyage n’a duré que quinze jours. Un record quand d’autres arrivent après des mois d’errance. Un homme l’a aidé. Pas un passeur, affirme-t-il. Quelqu’un à qui ses parents ont vendu une maison, là-bas en Somalie, en échange d’un billet d’avion. Quand il pourra travailler, il espère pouvoir envoyer de l’argent à ses parents et à ses deux petites sœurs. Pour l’heure, il est inquiet, il n’a pas eu de contact avec eux depuis qu’il est en France.
Redonner des repères
A Boissy, il n’y a pas que l’aspect administratif à traiter. Il faut aussi soigner le traumatisme par un suivi psychologique. Accompagner ces jeunes « vers la résilience ». « Ce sont des enfants qui ont subi des violences, physiques et psychologiques, qui ont parfois été enrôlés dans des milices ou vu leurs parents se faire assassiner. Sans compter les violences qu’ils ont pu subir pendant le voyage. Il faut essayer de les apaiser. » Souleymane, 17 ans, a fui la Guinée Conakry après que sa mère a été tuée dans une manifestation.
L’équipe du centre a monté une pièce de théâtre : un procès fictif. Mohammed joue l’avocat. Les éducateurs, les prévenus. « On échange un peu les rôles », explique Tiffanie Siharath, éducatrice spécialisée. Mi-écrite, mi improvisée, la pièce permet de leur faire comprendre « ce qu’est la justice en France, qu’il y a des droits et des devoirs. »
L’occasion aussi de prévenir les actes de délinquance de ces jeunes déstructurés. « Certains ne comprennent pas pourquoi ils sont là. » Le problème, c’est que « les bêtises » peuvent coûter cher. Compromettre, par exemple, l’obtention du statut de jeune majeur qui permet à ceux dont la procédure de régularisation est en cours de continuer à être pris en charge au-delà de leurs 18 ans.
[attachment id=298]Tout est prétexte à apprentissage donc. Et à donner des repères à ces adultes en devenir. On mange à un heure fixe, on rentre à 18 h. A l’heure du déjeuner, tout le monde met la main à la pâte. Filmon, l’Erythréen, sort des barquettes du four. Chacun se sert et débarrasse son assiette. « Certains vont bientôt partir, il faut les préparer à l’autonomie », commente l’éducatrice qui supervise les opérations.
Manque de cohérence dans la prise en charge
Dans la vaste problématique de la prise en charge des mineurs isolés, le Centre Stéphane Hessel fait figure de privilégié. Géré par l’association France Terre d’asile, il est le seul qui soit financé par l’Etat.
Ces dernières années, les groupes de travail sur le sujet se succèdent. Le rapport de la sénatrice Isabelle Debré, présenté la semaine dernière, est bien accueilli par les associations. Mais elles ne se font pas d’illusions non plus. « Ce rapport est une bonne chose. Il ne se cantonne pas uniquement à la métrop Isabelle Debré parle bien de mineurs isolés étrangers et non de mineurs étrangers isolés, le terme consacré.
« Mais y a-t-il enfin le début de la possibilité d’application de telles propositions? » Là est la « vraie question » pour le directeur de France Terre d’asile. « Tout le monde se renvoie la patate chaude. Il faut un schéma d’accueil cohérent et la répartition des compétences financières entre l’Etat et les départements. Et que l’Etat finance l’accueil des mineurs isolés. »
L’année dernière, 73 % des mineurs du Centre ont obtenu leur régularisation, statut de réfugiés ou carte de séjour. « Il y a quelques refus, mais à la fin, on arrive à obtenir une régularisation », développe Zine-Eddine M’Jati.
Malgré les conditions difficiles dans lesquelles vivent souvent ces jeunes, aucun ne veut repartir. « Quand on leur propose de les faire rentrer chez eux, raconte le directeur, ils nous disent : Vous croyez que j’ai fait quatre mois de voyage pour repartir chez moi ? »
Aujourd’hui, c’est férié, mais il y a deux nouveaux arrivants. Des Afghans de 17 ans. D’ici un an et trois mois – c’est la durée moyenne de la procédure- ils peuvent espérer être régularisés.