Auteure d’un excellent premier roman, L’Abandon des prétentions, Blandine Rinkel, 26 ans, est membre du collectif Catastrophe avec qui elle sortira un livre et un disque le 7 septembre.
Avez-vous une scène de sexe préférée en littérature ?
Blandine Rinkel – Dans Nexus, quand Henry Miller pénètre dans un club après une longue phase de solitude et qu’il est soudain envahi par la chaleur des masses de corps surexcités, “babouins en rut se laissant couler dans les entrailles du Nil”, inconnus dans la nuit qui hurlent, s’embrassent, s’étreignent dans une fièvre collective qui prend à la lecture comme si, devant son livre, on s’adonnait aux préliminaires d’un gang-bang.
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La littérature peut-elle vous exciter ?
Evidemment, souvent. Mais pas le genre “littérature érotique” – ou alors du type Miller, quand ça reste sauvage, inclassable. J’ai bizarrement découvert la masturbation en lisant Michel Houellebecq.
Quel est le mot le plus sexy pour vous ?
“Délicatesse” : on entend fesse, caresse, lèche, délices, en même temps qu’un charme pudique est préservé.
Y a-t-il une langue plus sexy qu’une autre à vos yeux ?
L’anglais, surtout l’accent de Cambridge, mais je n’en suis pas fière, c’est sans doute un vieux fantasme lié à la concomitance de ma découverte du sexe et de The Divine Comedy.
Avez-vous une icône érotique parmi les écrivains ?
Hélas oui, je suis terriblement sapiosexuelle, excitée par l’intelligence. J’ai longuement bassiné mon copain avec mes fantasmes aberrants sur Robert Musil, Virginia Woolf ou même Edgar Morin. Des figures plus actuelles aussi, innommables ici. Sinon, Childish Gambino, Glenn Gould. Le sexe comme une musique entêtante.
Les images vous excitent-elles ?
Moins que les mots ou la musique, mais certaines, oui. Souvent des images où l’excitation monte avec une infinie discrétion – deux corps qui se frôlent et s’attardent sans que l’on sache si c’est volontaire ou non ; un morceau de peau qui dépasse trop d’un vêtement ; le regard d’un timide à qui quelqu’un plaît ; une nuque.
Y a-t-il un fantasme que vous n’avez jamais compris ?
Celui d’être étranglée, frappée, violée, dont on dit qu’il est partagé par la “plupart des femmes” et dont je n’ai personnellement pas le début d’une intuition. Et, bien sûr, les souris, les hamsters et autres œufs que certaines s’enfoncent dans le vagin (?!).
Aimez-vous parler de sexe ?
Pas directement. Je préfère de manière générale l’indirect au direct, précisément parce que je le trouve plus érotique. La pudeur est excitante.
Est-ce votre mère, à laquelle votre roman est consacré, qui vous a expliqué les rapports sexuels ?
Etrangement, elle me parlait surtout de tendresse, “tu verras, tu trouveras peut-être ça répugnant, alors il faut que ce soit tendre”. Jusqu’à ma première fois, je n’avais pas tout à fait compris que “faire l’amour” était couramment défini par le fait de pénétrer ou d’être pénétré(e), je croyais que l’expression désignait une somme de caresses et des coups de langue excités sur toutes les surfaces de peau imaginables – ce qu’elle désigne d’ailleurs aussi.
Pourriez-vous écrire une scène de sexe dans un roman ?
Erotique sans doute, de sexe je ne crois pas. Encore une fois, je préfère l’indirect et aussi parce que trois fois sur quatre, c’est décevant : le mot “bite” tue la libido.
Un vêtement sexy pour vous ?
La robe d’Alizée dans le clip transpirant Moi… Lolita. Les pantalons taille haute pour les hommes. Les chemises larges et sans soutien-gorge pour les femmes.
Qu’est-ce que veut dire sexy pour vous d’ailleurs ?
Que ça suggère des situations sexuelles possibles. La suggestion, l’appel à l’imagination, davantage que la mise en valeur d’un corps donné. Je ne suis pas fanatique des “corps sexy” donnés dans la culture dominante, les bustes musclés, les seins galbés, j’ai du mal avec les types de physiques du porno. La virilité n’est pas ambiguë, la féminité souvent cliché. Ça me trouble davantage quand les genres s’interpénètrent.
Vous intéressez-vous aux évolutions des rapports sexuels dans le temps ?
Oui, quelle sexualité pour les enfants des soixante-huitards, par exemple ? Dans le dernier rapport des Archives of Sexual Behavior sur les rapports des moins de 30 ans en 2016, il est dit que le nombre de partenaires et de coïts a légèrement baissé depuis vingt ans en même temps que les sexualités minoritaires, LGBT par exemple, ont explosé.
La plus haute liberté devenant celle de pouvoir choisir ce qu’on veut, notamment sur internet. Aujourd’hui, on sent le désir d’une sexualité ajustée, appropriée, libre mais plus forcément libérale, comme si on commençait enfin à vouloir échapper, y compris sur ce plan, à la logique du marché. Ce qui, je crois, en dit pas mal sur l’époque, sur la transition politique que l’on traverse.
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