Ils ne pensent qu’à ça, ne vivent que pour ça. Simple obsession du plaisir ou pathologie grave qu’il faudrait soigner ? Actifs, assumés ou repentis, des sexooliques se racontent. Article extrait du spécial sexe.
Le parallèle entre capitalisme et dépendance sexuelle semble encore accru lorsque le sexoolique revêt le costume du chasseur, ce qu’il est souvent, surtout quand il évolue dans les hautes sphères du pouvoir. Sur le sujet, le témoignage lucide et cru de Vincent, dans l’essai de Sandis et Dumonteix, est assez édifiant. Ce quadragénaire a développé son addiction au contact d’hommes politiques pour lesquels il jouait les « rabatteurs de filles ». « Les politiques ont un trait commun, raconte-t-il, l’adrénaline. Après un meeting, quand vous avez harangué la foule, quand vous avez été acclamé, vous êtes comme une rock-star à la fin d’un concert… Explosé de fatigue et en même temps prêt à bondir sur tout ce qui passe. (…) C’est le moment où certains politiques deviennent des bêtes de sexe. Ils ont besoin de se décharger, au sens le plus littéral du terme. (…) Quelques-uns ont pris l’habitude de préparer leur troisième mi-temps, celle d’après-meeting. En montant sur l’estrade, ils commencent par mater les premiers rangs. (…) Dès que nos cadors politiques repèrent une femme qui leur plaît, ils demandent à un collaborateur d’aller lui parler pour la convaincre de le rejoindre en fin de soirée. C’est à des gens comme moi qu’on demandait ce genre de service. (…) Chez nous, le sexe et la politique ont toujours été liés, depuis la féodalité. Quand on a du pouvoir, on imagine très vite qu’on les a tous… »
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A force de recruter des filles traitées « comme de la chair à saucisse » pour le compte de ses patrons, Vincent ne s’est très vite plus contenté des miettes que les lions lui abandonnaient : il s’est mis à chasser pour son propre usage.
« J’ai fini par ne plus pouvoir m’en passer (…) Je les consommais de façon indigne, en trois minutes dans les toilettes, debout dans les loges, avec une fellation dans la voiture… J’en voulais toujours plus. »
Un scandale et une accusation de viol portés sur son mentor (« Il ne s’agit pas de DSK ») lui font prendre conscience de la folie ambiante. Il finit par démissionner et quitte la France pour tenter de changer de vie et s’en sortir.
« Le sujet va ressentir du dégoût et du plaisir, du malaise et du bien-être »
Si Vincent se demande encore comment il a pu sombrer dans un tel engrenage, pour nombre de dépendants, la réponse, quoique variable selon chacun, développe quelques schèmes communs. A l’origine, on trouve souvent un traumatisme au moment de la construction sexuelle, entre l’enfance et l’adolescence. Il peut s’agir d’une exposition précoce à des images pornographiques, d’une éducation trop stricte entraînant une grande frustration, de situations ambiguës, de gestes déplacés, de viol. « Ces traumas plus ou moins graves engendrent une vulnérabilité à l’endroit de la sexualité. Le sujet va ressentir à la fois du dégoût et du plaisir, du malaise et du bien-être », précise Jean-Benoît Dumonteix.
Jolie blonde pulpeuse aux yeux de biche, Natacha, 25 ans, a connu une période où elle se masturbait plusieurs fois par jour, et ce dès son plus jeune âge. Au cours de notre conversation, elle confiera du bout des lèvres avoir subi des attouchements sexuels quand elle avait 6 ans. « Je ne sais pas si cela a un lien, mais aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours éprouvé le besoin de me caresser, de me toucher. Quand j’ai rencontré mon premier amoureux à 17 ans, le sexe a pris une dimension quasi mystique qui décuplait les sensations et la frénésie de nos rapports. Je pouvais faire l’amour six à sept fois dans la nuit avec ce garçon que j’aimais. Mais, la semaine suivante, je recherchais d’autres partenaires dans des fêtes. J’étais insatiable, j’avais toujours besoin de sentir le désir des hommes, et de reconstruire mon image, qui me paraissait souillée sans que je comprenne pourquoi. A vrai dire, je ne sais pas si c’était tant une sex qu’une love-addiction. »
Si les propos de Natacha étonnent – la plupart des dépendants sexuels créent une frontière étanche entre leur couple et leurs pulsions addictives qu’ils assouvissent en général hors de la sphère amoureuse -, moins surprenante est la dimension affective que la dépendance sexuelle peut parfois revêtir chez les femmes, si l’on en croit Sandis et Dumonteix. Les femmes seraient moins sensibles aux stimuli pornographiques que les hommes et davantage centrées sur la séduction compulsive comme effet miroir.
Quoi qu’il en soit, addiction purement sexuelle et double dépendance (sexuelle et affective) mettent à jour une faille narcissique à travers la quête éperdue de partenaires. A cela s’ajoute une logique de la dépense, dirait l’écrivain Georges Bataille, voire de la décharge, hormonale, physique, érotique : une énergie courant en pure perte, un peu comme ce long travelling en plan-séquence dans Shame, où Brandon, pour évacuer les tensions, sort faire un footing. Nocturnes foulées, au rythme d’un prélude de Bach dans Manhattan giflé.
Nathalie Dray
Les Sex-Addicts – Quand le sexe devient une drogue dure de Florence Sandis et Jean-Benoît Dumonteix (Hors-Collection), 270 p., 19,50 €
Un extrait du numéro Inrocks Spécial Sexe disponible en kiosque et en ligne ici