Quatre étudiants rennais ont été condamnés à de la prison ferme par le tribunal correctionnel suite à une altercation avec le gérant du « Baggelstein » de Rennes. A l’origine de l’incident : une campagne de com’ sexiste et homophobe.
Il faut se pincer très fort pour être bien sûr(e) de ne pas halluciner à la vue de la campagne de communication de la marque de bagels Bagelstein largement relayée sur les réseaux sociaux. L’affichette, qui reprend les codes de la rubrique « petites annonces » d’un journal, fait dans la « blague » sexiste et homophobe.
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Au rayon « conseil« , l’enseigne écrit « Un homme amoureux ne brisera jamais le cœur d’une femme. Mais son cul peut-être« . Ou encore : « Il ne faut pas jouer avec le cœur d’une femme mais plutôt avec ses seins, elle en a deux« . L’établissement « donne » également une « pouffe en bon état. A peine utilisée. Peu de conversation », cite un certain Jacques, 81 ans publicitaire : « J’en ai marre de ces gay-là ». Et relaye l’avis de recherche d’un tiers en quête d’ »un gourmand(e) prêt à s’occuper de mon trou« . Ambiance.
Implanté à l’université Rennes 2, le Comité Féminismes est l’un des premiers à avoir dénoncé l’affichette sur les réseaux sociaux, puis dans un communiqué. Jeudi 26 mai, quatre jeunes hommes, sympathisants du Comité, étudiants à Rennes 2 et Rennes 1, et âgés de 19 ans pour trois d’entre eux, 24 ans pour le quatrième, participent à une manifestation contre la loi Travail, à Rennes. Aux alentours de 17h, ils décident de faire un détour par l’enseigne Bagelstein, située en plein centre-ville.
De un à trois mois de prison ferme
Selon un communiqué émis par la suite par le Comité, ils lisent les affichettes à haute voix devant la clientèle, avant d’être pris à partie par la serveuse, fille du gérant, puis par ce dernier :
« Les propos et les gestes du gérant étaient très agressifs, nos camarades se sont faits insulter et menacer, il voulait clairement en découdre pour se venger de la mauvaise publicité qui avait été faite contre son restaurant sur internet. Celui-ci a profité du premier prétexte pour agresser physiquement l’un d’entre eux, et la BAC est arrivé immédiatement, prévenue par le personnel. Elle a interpellé nos quatre amis, sans prendre en compte la violence du gérant. »
Contacté par nos soins, Patrick Quentin, 56 ans, gérant de la franchise rennaise, raconte avoir demandé aux quatre étudiants, qui collaient des autocollants anti-sexisme sur les tables, de bien vouloir sortir de son établissement. Devant leur refus d’obtempérer, il « saisit l’un d’eux, le plus vindicatif, par le bras ». Ce dernier lui aurait asséné un coup de poing au visage. « Je me suis accroché à lui et nous avons roulé au sol, explique-t-il, « et à ce moment-là, la BAC est passée ». Les quatre étudiants sont arrêtés. Patrick Quentin porte plainte. Le tribunal correctionnel de Rennes les condamne à des peines de prison ferme allant de un à trois mois. Ils sont immédiatement transférés au centre pénitentiaire de Vezin.
Pourtant, aucun des quatre étudiants n’a de casier judiciaire. « C’est tout simplement inacceptable », assène Jennifer Cambla, l’avocate de l’un d’eux, au téléphone, « Franchement, je n’y ai pas cru. Il n’y avait que deux témoignages dans le dossier : celui de la prétendue victime et celui de sa fille. Ce qui est très étonnant puisqu’il était 17h et qu’il s’agit d’une rue très passante de Rennes. Il devait y avoir du monde ! » Pour elle, c’est « un message fort envoyé par la justice pour faire peur aux manifestants, endiguer le mouvement« .
« Voir des gamins prendre de la prison, bien sûr que ça m’emmerde ! »
Une opinion partagée par Hugo Melchior, doctorant en sciences politiques à Rennes 2, militant d’Ensemble, le mouvement de la gauche radicale de Clémentine Autain, qui a déjà fait l’objet de trois arrêtés préfectoraux lui interdisant de se déplacer dans le centre-ville de Rennes les jours de manifestations :
« Ce sont des peines pour l’exemple. Et ça fonctionne. Les gens commencent à être lassés, à avoir peur, à vouloir se protéger. Personne n’a envie d’être arrêté ou de finir en prison. »
Celui qui a lancé une pétition en ligne pour protester contre cette décision de justice dénonce le climat de « violences policières » qui règne à Rennes.
« Ces jeunes n’ont pas un profil violent. Ils ne se bagarraient pas. Ils sont juste passés par Bagelstein pour dénoncer des blagues graveleuses. Ils avaient la tête découverte, ils n’y allaient pas du tout dans l’intention d’en découdre. C’est tragique et c’est symptomatique de la politique de tolérance zéro pratiquée actuellement à Rennes. »
Patrick Quentin, lui-même, est abasourdi devant les proportions qu’a prises l’affaire. « Il y a tellement de bazar, de casse dans le centre-ville que la justice a voulu donner un exemple. Voir des gamins prendre de la prison, bien sûr que ça m’emmerde ! Je ne m’attendais pas à ça. » Le gérant, qui précise être « végétarien et pratiquer la méditation depuis des années », ne comprend pas non plus pourquoi son enseigne est spécifiquement visée, dans la mesure où la campagne de com’ est nationale et donc appliquée dans tous les établissements de la marque strasbourgeoise.
« Chez Bagelstein, on m’a dit « on ne va pas les exciter davantage, on fait le dos rond, on ne dit rien, et ça va passer« . Mais moi on me boycotte ! Je ne vais pas pouvoir faire mon chiffre d’affaires si ça continue ! Et ma fille est en dépression. Elle ne mange plus. » lâche-t-il, la gorge serrée.
Jennifer Cambla a fait appel mais n’a pas beaucoup d’espoir : « Le temps qu’une date soit arrêtée, ils auront purgé leurs peines… »
Vous avez dit « humour » ?
Au siège de Bagelstein, on brandit sans surprise le droit à l’humour. Le co-fondateur de la marque, Gilles Abecassis, explique ainsi à Buzzfeed être « sarcastique » :
« Peut-être que c’est maladroit – après plein de gens trouvent nos blagues géniales. Mais de là à donner des mandales à un mec… Là ils ont 20 ans, c’est un non-respect total du travail d’autrui. Ils ne connaissent pas du tout la marque, notre communication. »
« Les blagues » : c’est là l’identité de l’entreprise monté en 2011, qui a assis son succès sur « l’auto-dérision » et le « buzz » selon Les Echos, qui en brossaient le portrait en 2015.
Réponse d’une des porte-paroles du Comité Féminismes de Rennes 2, étudiante en histoire de l’art :
« A partir du moment où les propos sont discriminants, sont violents, on ne peut pas en rire. On ne peut pas tout faire passer sous couvert d’humour, alors que l’humour participe de la domination, de l’oppression. »
La polémique est loin d’être terminée. A Nantes, Bagelstein a déployé une campagne de com’ qui surfe sans complexe sur l’affaire Denis Baupin, et donc 100% malaise, pour teaser l’ouverture prochaine d’une nouvelle enseigne :
Eh dis donc @Mrbagelstein très drôle de faire de la com’ sur les agressions sexuelles de #Baupin ! pic.twitter.com/3xrtuCL9E6
— Mince, t’es grosse ! (@G_A_E_L_L_E_) 3 juin 2016
Contacté par Buzzfeed, Gilles Abecassis juge cette polémique « ridicule« . Selon lui, « on est en train de partir dans un état totalitaire dans lequel on ne peut plus parler de rien. » Et d’enfoncer le clou:
« Si l’on y voit du sexisme, il faut que tout le monde arrête de parler de tout. On se moque du sexisme et d’un mec qui fait du harcèlement. Notre positionnement est simple. On se moque de tout le monde et surtout de la rapidité avec laquelle on oublie les choses. Ce qu’on nous demande, c’est de ne parler de rien. Il faudrait qu’on ferme notre gueule et qu’on rase les murs. »
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