L’essor de la réalité virtuelle ne pouvait échapper à l’industrie du sexe, qui a toujours été à la pointe de l’innovation : notre plongée dans le porno immersif.
Vous entrez dans une pièce circulaire, blanche et lumineuse, couverte de bâches de plastique. Vous flottez en son centre, et autour de vous se forment des volutes au gré de l’air qui circule dans les bâches. Dans chaque direction où porte votre regard apparaissent bientôt des hommes et des femmes, de toutes couleurs, de toutes corpulences, approchant, nus. Sans jamais rien dire, ils s’allongent, s’enlacent, s’embrassent, se caressent, se tiennent, par les pieds, par les mains, par les sexes. Ils changent de position, et vous aussi, passant parfois au-dessus d’eux, parfois en dessous, jusqu’à ce que la bulle où vous évoluez se trouve entièrement tapissée de leurs corps. Ils ne sont plus sept, ni douze mais des dizaines. A baiser tout autour de vous. Ils vous regardent droit dans les yeux, et pour un peu, vous pourriez les toucher…
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Cette expérience, nous l’avons vécue en enfilant un casque de réalité virtuelle et en y visionnant le très beau court métrage (12 minutes) de Michel Reilhac, intitulé Viens ! :
“J’ai conçu ce film comme un poème tantrique, avec l’idée que la sexualité est d’abord une expérience spirituelle”, précise le réalisateur pionnier, autrefois directeur du cinéma d’Arte, d’où il démissionna en 2012 pour se lancer dans la brèche VR (acronyme de “Virtual Reality”), alors tout juste ouverte par la société Oculus Rift et son premier casque vendu par souscription sur Kickstarter. Tourné à Paris, montré à Sundance en janvier, et faisant depuis le tour des festivals avant d’être rendu disponible en VOD, Viens ! n’est pas pornographique au sens masturbatoire du terme ; il est plutôt conçu comme une invitation au plaisir et à “l’ouverture vers l’intimité de corps normaux et pas normés, sans fausse pudeur mais sans voyeurisme”.
Ce n’est pas tout à fait le cas des deux films courts produits par Dorcel, et lancés en grande pompe cet hiver, avant une nouvelle fournée à l’automne. Nous les visionnons dans le bureau de Ghislain Faribeault, viceprésident de la division média : pas le lieu le plus intime du monde, donc. Et pourtant, dès les premières secondes de la “version soft” (téléchargeable gratuitement sur leur site), une impression de réalité nous saisit. Nous ne sommes plus dans un bureau mais bien sur un plateau de tournage X, entouré de jeunes femmes dévêtues nous invitant à la luxure. En dépit du jeu caricatural, qui brise un tantinet le pacte de croyance, l’effet est sidérant, beaucoup plus qu’avec les dispositifs 3D qui se contentaient de changer la texture des peaux, de les rendre plus plastiques.
Puis débute la “version hard” : désormais allongé, la caméra (en fait, les caméras : quatorze GoPro permettant une prise de vues à 360 degrés) sur la tête, forcément immobile (contrainte technologique pour l’instant indépassable), nous laissons les Dorcel Girls Anna Polina et Jessie Volt s’occuper de notre entrejambe, tandis qu’à gauche et à droite d’autres filles s’encanaillent. Derrière ? Un paravent noir – contrairement à Viens !, ici tout l’espace n’est pas utile. Mais à nouveau, bien que l’on ait déjà vu moult scènes identiques en POV (“point of view”), l’effet est saisissant.
On ne regarde plus par le petit trou de la serrure : on est dans la pièce. Et le cerveau y croit, tout en sachant que le corps est ailleurs. “La réalité virtuelle brise le quatrième mur, le spectateur n’est plus protégé derrière un écran, comme dans un flattie (terme utilisé par les virtualistes pour décrire les films classiques, en 2D – ndlr). Il est immergé et, via le regard ou la parole (grâce au son binaural, – ndlr), la qualité de présence des corps est décuplée”, explique Michel Reilhac.
Mais bien vite, la température monte, de la buée vient obstruer notre regard, le point et la netteté se font plus aléatoires, et des aberrations visuelles apparaissent (en petite quantité toutefois : le produit a été soigné) … “Pour l’instant, nous sommes limités par la technologie, justifie Ghislain Faribeault. Tourner ce genre de films reste compliqué, il y a des tas de contraintes : distance à respecter entre les acteurs et la caméra, nécessité du planséquence pour ne pas briser l’immersion, inconfort pour le comédien… Mais ça évolue très vite, et nous avons des tas d’idées de scénarios exploitant au mieux la VR. Des POV féminins, ou une balade en fauteuil roulant en compagnie d’infirmières. Le marché est en maturation et on va se lancer vraiment à la rentrée. C’est le truc le plus stimulant qui soit arrivé à l’industrie depuis des lustres !”
La fin de l’année va en effet être déterminante pour le secteur, pas seulement pour le X, comme souvent pionnier, mais pour toute l’industrie du cinéma, des jeux vidéo (cette dernière étant la plus porteuse), et d’autres qu’on n’imagine pas encore. Dorcel envisage ainsi de sortir le porn du foyer, et compte s’associer avec des hôteliers pour mettre à disposition casques et films – une sorte de Love Hotel virtuel –, tandis que les peepshows moribonds pourraient trouver là une source de renouveau. Les fabricants d’objets et de vêtements connectés ne sont enfin pas les derniers à s’exciter, imaginant déjà associer le toucher à l’expérience visuelle et auditive (et sans doute, à terme, olfactive et gustative). Bienvenue dans la Matrice.
{"type":"Banniere-Basse"}