Explorer notre relation culturelle au sexe et à sa représentation : voilà ce qui motive le travail de Samantha Roddick, artiste, activiste et fondatrice de la célèbre boutique érotique Coco de Mer, qui présente cette année sa première exposition photo. Elle puise son inspiration chez Carlo Mollino, architecte et designer italien – non pas dans ses […]
Explorer notre relation culturelle au sexe et à sa représentation : voilà ce qui motive le travail de Samantha Roddick, artiste, activiste et fondatrice de la célèbre boutique érotique Coco de Mer, qui présente cette année sa première exposition photo. Elle puise son inspiration chez Carlo Mollino, architecte et designer italien – non pas dans ses réalisations artistiques, mais dans les milliers de photos érotiques que ses proches découvrent à sa mort, pour lesquelles il invite des inconnues à poser pour lui. Samantha Roddick et ses mannequins recréent les poses de Mollino, encastrées dans des cadres-autels faisant lien avec le thème religieux de honte sexuelle, en adoptant le regard de l’artiste solitaire sur le corps féminin comme archétype érotique, dépossédé d’humanité. Elle raconte son procédé.
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La plupart d’entre nous connaissent Carlo Mollino via ses créations design. Qu’est ce qui vous a poussée à vous intéresser à cette facette moins connue ?
Samantha Roddick – Carlo Mollino est un génie de la création. J’adore la versatilité de son talent, mais avant tout je suis attirée par l’omniprésence de la sexualité dans tout ce qu’il a créé. Ses Polaroid érotiques sont comme un coup d’œil dans sa vie privée, ce qui a attisé ma curiosité : pourquoi, lui qui était architecte, n’a t-il jamais vécu dans sa propre maison, choisissant de rester chez ses parents jusqu’à sa mort ? Pourquoi n’a-t-il jamais eu de vraie relation ? Et pourquoi se sentait-il seulement à l’aise en compagnie de prostituées ? Ses clichés ont fait naître tellement de questions. Cela fait vingt ans que je travaille autour du sujet du sexe. Au-delà du simple acte physique, je m’intéresse à ce que notre attitude collective devant l’acte sexuel dit de notre société, et j’ai trouvé que Mollino apportait un éclairage sur la honte sociale liée au sexe, le fait d’être déconnectés émotionnellement et la douleur qu’éprouvent beaucoup d’hommes lorsqu’ils sont rejetés par les femmes.
Votre boutique érotique Coco de Mer est connue pour sa promotion positive du sexe, axée sur le jeu et le plaisir. Votre exposition s’attache plutôt à dénoncer quelque chose de négatif. Quelle est votre position par rapport à ces deux perceptions ?
Mon exposition est le point culminant de tout ce que j’ai appris à Coco de Mer. En vérité, j’ai aussi créé Coco de Mer à la suite d’une perception négative. Je trouvais l’industrie sexuelle offensive, entrer dans un sex-shop traditionnel était comme aller à un Mcdonald’s pour les vagins – il n’y a pas d’esprit, pas de séduction. A l’époque, les seules choses que vendaient les sex-shops étaient des sex toys inutilisables fabriqués à partir d’un plastique qui ne serait même pas utilisé pour des jouets pour chiens. Il n’y avait nulle part où je pouvais acheter des produits qui reflétaient ma sensualité, ma vulnérabilité ou mon amour des beaux objets. Alors j’ai fondé Coco de Mer, et j’ai dû créer ou commander la plupart des produits qu’on proposait.
Au fil des années, ma perception a changé en raison des innombrables conversations que j’ai eues avec les clients sur leurs secrets sexuels, leurs craintes, leurs échecs et leurs désirs. On pense souvent que les femmes sont les plus vulnérables au sein d’une relation sexuelle, mais les hommes sont tout aussi fragiles et n’ont pas d’espace social où exprimer leur vulnérabilité. Quand j’ai découvert Carlo Mollino, j’ai trouvé qu’il était un des meilleurs exemples visuels du point de vue sexuel de l’homme blessé. Je ne voulais pas le diminuer – après tout, il a transformé sa blessure en génie créatif. Je considère mes pièces comme une forme d’alchimie visuelle : je convertis la honte sexuelle qui émane des photos en harmonie sexuelle, par les broderies dorées qui entourent les images qui représentent la connexion, l’union spirituelle et émotionnelle au sein du cycle de la vie. J’ai pris son énergie négative pour la convertir en positive.
Qu’est ce que ça vous a fait de voir les femmes de son point de vue ?
J’avais l’impression d’être un marionnettiste faisant jouer de très belles poupées. Je devais diriger les mannequins très précisément, pas à pas, parce que les poses ne sont pas très naturelles. C’était incroyable de voir les compositions de Mollino prendre vie devant mes yeux. Les mannequins étaient mes amies, voir leurs corps se sublimer était une très belle expérience. Elles ne se reconnaissaient pas toutes dans les photos, mais j’ai trouvé que finalement il y avait quelque chose de positif dans l’objectivation : en faisant semblant d’être quelqu’un d’autre, en lâchant complètement prise, elles font une expérience inédite d’elles-mêmes, comme quand on est enfant et on se déguise avec les vêtements et le maquillage de sa mère. Ce qui est intéressant est que mes mannequins ont beaucoup aimé l’expérience, alors que celles de Mollino étaient apparemment très mal à l’aise. Il y a une explication simple : ce n’est pas ce que vous faites, mais le type d’énergie qui vous guide qui rend l’expérience positive ou négative.
« Samantha Roddick – Hidden Within » jusqu’au 1er mai à la Michael Hoppen Gallery de Londres. Pour en savoir plus sur la carrière de Samantha Roddick : biographie (en anglais).
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