A 27 ans, Anina Ciuciu est candidate aux élections sénatoriales qui se tiennent ce dimanche 24 septembre. Elle a connu les campements sauvages et la mendicité mais cet été, elle a fait l’apprentissage d’un autre monde, celui des partis politiques.
C’est une barre de béton de 7 000 mètres carrés aux airs de squat d’artistes posée sur les rives de la Seine. Le « 6B », à deux pas de la gare RER de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) a tout d’un lieu parisien branché : street art dans la cage d’escalier, ateliers où s’empilent les installations d’art moderne et tables bricolées en palettes de bois. Ne le dites pas à Gérard Larcher et ses collègues sexagénaires mais c’est ici qu’une jeune femme de 27 ans d’origine rom mène campagne pour les sénatoriales prévues ce dimanche 24 septembre.
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Anina Ciuciu a un rêve parmi d’autres: entrer au Sénat. Il y a vingt ans, elle a quitté avec sa famille Craiova, en Roumanie, parcouru 1 600 kilomètres jusqu’à un campement sauvage en Italie avant d’atteindre la France, Lyon, le Doubs puis la banlieue de Paris.
“Je veux rendre leur fierté à ceux qui sont obligés de baisser la tête. »
« Nous avons vécu dans un bidonville dans des conditions inhumaines, contraintes de mendier. Mes parents se sont sacrifiés pour que nous puissions aller à l’école comme les autres petites filles. Ma mère m’a toujours dit de cacher que j’étais romni. Elle avait honte pour nous. Aujourd’hui, je veux rendre leur fierté à ceux qui sont obligés de baisser la tête. »
Jeune candidate cherche parti politique
Partout, Anina mène ses combats contre le racisme, contre les violences policières, pour un accès à l’école et à la santé: dans sa vie professionnelle – l’élève avocate au barreau de Paris boucle un stage chez Amnesty international à Londres – dans son engagement associatif et maintenant dans le monde politique.
Nous construisons #NotreAvenir en plusieurs points! #Sénatoriales2017 https://t.co/iAKSiyMaP9
— Anina CIUCIU (@anina_ciuciu) September 14, 2017
En juin dernier, la sénatrice écolo de Seine-Saint-Denis, Aline Archimbaud lui fait part de son intention de ne pas briguer de second mandat. L’élue lui propose de prendre sa succession. “J’étais réticente mais les militants autour de moi pensaient que les sénatoriales pouvaient constituer un levier pour porter nos actions”, assure la jeune candidate. Le plus difficile reste à faire: trouver un parti pour l’accueillir.
Aline Archimbaud prend les devants. Elle contacte Alexandre Aïdara, référent de La République en marche pour le 93. “Anina avait un parcours intéressant. Et puisque notre mouvement est ouvert à toutes les candidatures, j’ai commencé à discuter avec elle », raconte ce relais du président. Les discussions achoppent rapidement sur la place que souhaite occuper la jeune femme: la tête de liste. Celle-ci est promise à Patrick Toulmet, très proche d’Emmanuel Macron.
“On a déjà remporté une victoire: montrer qu’on peut prendre en main notre destin politique”
Le porte-à-porte se poursuit. Le PCF décline. Ses listes sont bouclées. Le PS accepte de s’unir à Europe Ecologie-Les Verts et renvoie la responsabilité d’intégrer Anina Ciuciu à ses alliés écologistes. Entre-temps, la pression médiatique est montée à son maximum. 300 personnalités nationales et locales signent un appel aux formations politiques « de l’arc écologiste et progressiste ». Les articles « bientôt une sénatrice rom? » se multiplient sur le web.
« Anina est une personnalité très intéressante mais elle nous a été imposée par la presse. J’ai même reçu un appel de 13h15, l’émission de France 2 qui voulait suivre ‘la candidate écologiste aux sénatoriales’ alors que rien n’était encore décidé », s’agace Aurélien Berthou, secrétaire départemental EELV.
Or, les écolos détestent qu’on leur impose un candidat. Nicolas Hulot défait par Eva Joly lors de la primaire de 2011 peut en témoigner. Le 20 août, les militants tranchent. Nettement. Anina Ciuciu recueille trois fois moins de voix. Qu’Aline Archimbaud ait donné son parrainage à Emmanuel Macron pour la présidentielle n’a rien arrangé à l’affaire.
Deux semaines et quelques centaines d’euros pour faire campagne
L’intéressée ne décolère pas: « C’est l’expression d’un conservatisme et d’un repli des appareils politiques. En deuxième position sur la liste PS-EELV, Anina aurait eu de grandes chances d’être élue » Au lieu de ça, la jeune femme se retrouve sans parti pour la soutenir. Tant pis. In extremis, Anina Ciuciu dépose sa propre liste. « J’ai connu bien pire dans ma vie, dépassé des obstacles plus grands », lâche-t-elle.
Aujourd’hui, elle refuse de commenter la décision d’EELV et se concentre sur un travail de titan: convaincre une majorité des 2 300 grands électeurs de Seine-Saint-Denis de voter pour elle. Le temps, deux semaines de campagne, a manqué. L’argent aussi avec un budget inférieur à mille euros. Qu’importe. « C’est le début d’un mouvement qui va grandir. On a déjà remporté une victoire: montrer qu’on peut prendre en main notre destin politique », s’enthousiasme la candidate. Dimanche, peu avant 20 heures, Anina Ciuciu saura si elle continue son combat sous les tags du « 6B » ou sous les ors du Sénat.
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