Immense acteur, Serge Merlin fait entendre en maître passeur la voix unique de Thomas Bernhard. Eblouissant.
Il y a entre Thomas Bernhard et l’acteur Serge Merlin une affinité mystérieuse. Question de sensibilité. Que ce soit dans Minetti qu’il interprétait récemment avec une précision diabolique, dans Le Réformateur – sa première incursion au théâtre dans l’oeuvre de Bernhard – ou encore dans Le Neveu de Wittgenstein, Serge Merlin restitue à chaque fois les nuances et la respiration si particulière, mélange de tension obsessionnelle et d’humour sarcastique, de l’écrivain autrichien. Sans doute cela doit-il beaucoup à la qualité d’oreille exceptionnelle du comédien, qui sait épouser à la perfection le rythme de la langue de Bernhard, mais plus profondément c’est d’entente qu’il s’agit.
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Acteur immense, Serge Merlin aborde l’oeuvre de Thomas Bernhard en connaisseur. Dans celle-ci, Extinction occupe une place à part dans la mesure où ce texte, l’un des derniers publiés par l’écrivain, concentre toutes ses obsessions, mais sous une forme romanesque jamais explorée auparavant. Sous-titré “Un effondrement”, Extinction relève à la fois de l’apothéose et de la liquidation. Serge Merlin rêvait depuis longtemps de faire entendre ce texte écrit adossé à la mort. En avril 2009, une lecture en public enregistrée par France Culture était donnée au Théâtre de la Colline.
Moment rare et puissamment émouvant qu’on a la chance de voir se renouveler puisque Serge Merlin reprend aujourd’hui ce texte essentiel, cette fois au Théâtre de la Madeleine dans une adaptation de Jean Torrent. Emporté par un rythme dense et soutenu, ce roman, qui fait plus de trois cents pages, donne l’impression étonnante d’avoir été écrit dans un seul souffle ; comme une phrase unique mue par un incessant mouvement de balancier, d’allers et de retours, d’affirmations et de contradictions. Le narrateur évoque le télégramme envoyé par ses deux soeurs qui lui annonce la mort de ses parents et de son frère dans un accident. A partir de là, il retrace l’histoire de sa vie, expliquant au passage que son “récit n’est là que pour éteindre ce qui y est décrit, éteindre tout ce que j’entends par Wolfsegg et tout ce qu’est Wolfsegg”.
Wolfsegg, c’est la propriété familiale en Autriche. Le narrateur est à Rome, ville qu’il se plaît à considérer comme le centre du monde. Et c’est de là qu’il déploie son récit sarcastique, souvent drôle, toujours impitoyable. L’incompréhension de ses parents, le père compromis avec les nazis, la mère maîtresse de l’archevêque Spadolini, les soeurs, Vienne, ses imprécations sont sans appel.
A la fois concentré et léger, intense et volubile, Serge Merlin anime de son souffle les humeurs charriées au fil de cette longue phrase infiniment emportée et déportée par les rages et les sarcasmes, mais aussi parfois curieusement apaisée. Ebloui et charmé, on ne se lasse jamais de l’écouter.
Photo : Birgitte Enguérand
Extinction de Thomas Bernhard, mise en scène Blandine Masson et Alain Françon, avec Serge Merlin, jusqu’au 18 avril au Théâtre de la Madeleine, Paris VIIIe, tél. 01.42.65.07.09. /// www.theatremadeleine.com
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