Au Sénégal, malgré les violences préélectorales, la perspective d’une transition démocratique se précise.
Au lendemain du premier tour de la présidentielle, le Sénégal mérite bien son titre d’exception démocratique en Afrique. Malgré la candidature controversée du président sortant Abdoulaye Wade, jugée anticonstitutionnelle par ses opposants, près de 52 % des électeurs ont gagné les bureaux de vote, avec pour résultat d’obliger « Gorgui » (« le Vieux », en wolof, surnom du président de 85 ans) à affronter dans un second tour Macky Sall. C’est un sacré revers pour Wade.
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Lors d’une interview accordée au Journal du dimanche juste avant le scrutin, il affichait pourtant ouvertement sa confiance : « Ma majorité est si écrasante que je pense être élu avec un fort pourcentage dès le premier tour… Une révolte des Sénégalais contre moi n’est pas pensable ! » C’était sans compter sur la majorité silencieuse, désireuse d’une alternance politique.
Une forte mobilisation de la population
La fin du règne d’Abdoulaye Wade devient de plus en plus palpable. Avant même la divulgation des résultats officiels, son équipe de campagne a confessé la tenue d’un deuxième tour. Le président sortant a finalement recueilli 34,8 % des suffrages, contre 26,6 % pour son ancien Premier ministre, Macky Sall. Les violences qui ont émaillé le processus électoral ont suscité la crainte de débordements lors du vote. Les manifestations d’opposition à la candidature du chef de l’Etat en exercice, qui ont précédé le scrutin, ont fait entre six et quinze morts en un mois. Nombre de Sénégalais redoutaient un passage en force d’Abdoulaye Wade.
Dans ce contexte extrêmement tendu, des observateurs internationaux ont été déployés sur l’ensemble du territoire. Les journalistes et les bloggeurs ont noté une forte mobilisation de la population qui s’est exprimée dans le calme. Même en Casamance, dans le sud du pays, le vote s’est plutôt bien déroulé malgré les menaces de rebelles indépendantistes de perturber le scrutin.
La retenue des Sénégalais a été saluée par l’ensemble des candidats, « fiers » de leurs concitoyens. « Ils ont donné une leçon de démocratie aux porteurs de violence », a déclaré Macky Sall. De son côté, Abdoulaye Wade a félicité son peuple pour avoir voté « dans la dignité et le calme », alors qu’il a été accueilli sous les huées au bureau de vote à Dakar. Déstabilisé, il en a oublié sa carte d’électeur sur place.
Depuis la semaine dernière, un sentiment de sérénité règne dans le pays. A Dakar, la vie a repris son cours et la perspective de débordements, évoquée en cas de réélection du Président au premier tour, s’est éloignée. Le rejet du régime en place s’est déplacé de la rue vers les urnes, pour une transition pacifique et démocratique.
Autre satisfaction, le scrutin n’a pas souffert d’irrégularités majeures. Thijs Berman, chef de la mission d’observation européenne, a jugé que « l’élection a dans l’ensemble été organisée de façon adéquate, même s’il y eut des défaillances ici ou là ». Les parlementaires européens regrettent notamment un manque de transparence et la lenteur de la divulgation des résultats provisoires officiels, sources de tensions.
Wade, en position de faiblesse
Le second tour s’annonce délicat pour Wade. Hormis les abstentionnistes, il ne dispose plus de réserve de voix. En position de faiblesse, il souhaite « explorer toutes les possibilités d’entente avec d’autres forces politiques ». Un geste interprété par ses opposants comme un aveu d’impuissance.Depuis la validation de sa candidature par le Conseil constitutionnel, l’opposition fait bloc contre le président vieillissant. Les principaux opposants ont promis de s’unir derrière le candidat le mieux placé pour le second tour. Leur mot d’ordre : « Tout, sauf Wade ». Ils ont annoncé qu’ils ne reconnaîtraient pas une éventuelle victoire de « Gorgui ».
Le principal challenger d’Abdoulaye Wade, Macky Sall, paraît bien placé pour lui succéder. « Sall a le potentiel pour rallier à lui une opposition divisée, expose Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques et spécialiste de l’Afrique. Il n’a pas beaucoup de charisme mais il est très compétent et capable d’apaiser les tensions. » Si le président Wade tombe, il estime « qu’on entrera dans la normalisation d’une alternance qui a toujours caractérisé le Sénégal ».
Pour autant, Macky Sall n’est pas un candidat idéal. Sa présente notoriété est la conséquence d’un rejet massif du Président actuel, non d’une validation de son projet politique, assez confus. S’il veut être crédible, il va devoir clarifier son programme avant le 25 mars, date du second round.
Guillaume Huault-Dupuy
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