Après la victoire de la gauche au Sénat, Bastien François, directeur du département de Sciences politiques à Paris I, conseiller régional EELV en Ile-de-France, tire les enseignements de ce changement pour les réformes longtemps différées par le PS.
Quelles leçons tirer pour la gauche du basculement du Sénat ?
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Bastien François : On est dans la continuation d’une dynamique en faveur des forces de gauche, la continuité des succès très importants aux élections locales, municipales, régionales, cantonales. C’est aussi sans doute le résultat d’une contestation de la politique du gouvernement, s’agissant en particulier des collectivités locales – la réforme territoriale, la réforme de la fiscalité locale, une certaine forme de démembrement des services publics locaux.
Est-ce que la droite peut conserver la présidence du Sénat le 1er octobre ?
Je ne crois pas. L’écart est quand même relativement important. Il faudrait que les deux ministres démissionnent. Il faudrait que la droite fasse le plein de ses voix, ce qui est loin d’être assuré. Il faudrait que la droite réussisse à débaucher un certain nombre de sénateurs de centre gauche. Cela fait beaucoup de conditions, et cela apparaîtrait vraiment comme un déni du résultat de l’élection, donc je fais le pari que la droite n’essaiera pas trop de jouer à ce jeu là.
Martine Aubry a déclaré que, si la gauche était majoritaire partout en 2012, elle pourrait mener à bien des réformes différées, comme le droit de vote des étrangers ? Est-ce vrai ?
Le Sénat peut s’y pencher tout de suite. Une proposition de loi avait été déposée par les écologistes à l’Assemblée quand Lionel Jospin était Premier ministre, et adoptée par les députés. Il suffit qu’elle soit inscrite maintenant à l’ordre du jour du Sénat, qu’elle soit votée, telle qu’elle, et on pourra instaurer en France le droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales. Dès maintenant, si la gauche en a le courage, elle n’a plus d’excuse pour retarder cette réforme.
Plus généralement, la gauche a toujours utilisé une excuse, qui était de dire il y a des réformes qu’on ne peut pas faire parce que le Sénat est à droite. Cela concernait toutes les réformes constitutionnelles puisqu’il faut un vote en termes identiques de l’Assemblée nationale et du Sénat, mais aussi la composition, le rôle, les fonctions du Sénat puisqu’on ne pouvait pas passer outre l’accord du Sénat pour modifier les règles relatives au Sénat. Il y a effectivement là un énorme chantier de réformes qui s’ouvre, voire de révision complète de la Ve République. Il est déjà très largement prévu, au moins dans les programmes des différents partis de gauche. Mais il est clair que le basculement à gauche du Sénat fait sauter un verrou important. On pourra peut-être dire un jour que le 25 septembre 2011 a été le début de la fin de la Ve République.
Vous faites confiance au PS pour mener ces réformes ?
Depuis 1981, le PS s’est coulé avec François Mitterrand assez facilement dans la logique de la Ve République, l’a même confortée. Cette logique de la Ve favorise de façon extraordinaire le pouvoir en place. La tentation des gouvernants, c’est évidemment de ne toucher à rien. Mais je crois que de plus en plus au sein du Parti socialiste on a pris conscience du fait que la Ve République était en bout de course, qu’elle était même un frein au changement, un handicap pour mener des politiques. Il suffit de considérer la faible représentativité des parlementaires. Tant qu’on restera avec un Parlement, Assemblée et Sénat confondus, qui reste un club de vieux mâles, blancs et bourgeois, il y a peu de chances qu’on puisse mener à bien des réformes extrêmement importantes. L’excuse du Sénat n’existe plus. Il faudra voir comment la future ou le futur président(e) de la République, si elle est de gauche, aura le courage de mettre en oeuvre le programme qu’ils défendent depuis les années 70.
Quelles réformes sont prioritaires à vos yeux ?
Les chantiers sont nombreux. Il faut évidemment changer la règle électorale, aller vers une proportionnalisation complète des modes de scrutin, établir le mandat unique pour les parlementaires, limiter le cumul dans le temps. Il y a un autre chantier, la valorisation du travail parlementaire. La bonne méthode, c’est qu’il faut rajouter des pouvoirs à ceux qui vont les utiliser. Donc il faudra que la gauche arrivant au pouvoir ait le courage de donner plus de pouvoir à l’opposition pour qu’elle puisse mener des missions d’investigation, d’évaluation de l’action publique.
Et puis il y a un troisième chantier qui est le plus compliqué, c’est comment « déprésidentialiser » la Ve République. Comment en revenir à un vrai régime parlementaire de responsabilité ? Dans le système français, il y a une déconnexion totale, à travers la personne du président de la République, entre l’exercice du pouvoir et la responsabilité. C’est là que cela va être le plus difficile entre les partenaires de la gauche. Parce que, malheureusement, la plupart des socialistes ont intégré la culture présidentialiste de la Vème République.
Quand on parle de la VIe République, le but ultime, ce serait un changement constitutionnel ?
La VIe République, c’est en fait un nom de code pour décrire le chantier de la démocratisation du système politique français. Cela suppose des changements constitutionnels. Par exemple, pour redéfinir les relations entre Président et Premier ministre. Il y a aussi des changements simplement législatifs, comme pour le droit de vote des étrangers ou la question du cumul des mandats. Pas besoin de modifier la Constitution pour cela. Cela passe aussi par des mesures relatives au développement de la démocratie participative, une nouvelle étape de la décentralisation en démocratisant le fonctionnement des collectivités locales. La question, c’est maintenant qu’il n’y a plus le verrou du Sénat, est-ce que la gauche aura le courage de s’engager fortement dans ce chantier ? Cela va être un des enjeux majeurs de la présidentielle et des législatives.
Propos recueillis par Hélène Fontanaud
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