Depuis mardi, une photo montrant Barack Obama, le Premier ministre britannique David Cameron et la Première ministre danoise Helle Thorning-Schmidt en train de prendre un selfie collectif pendant l’hommage rendu à Nelson Mandela au stade de Soweto en Afrique du Sud, est relayée à tour de bras sur les réseaux sociaux et les sites d’info. Décryptage.
C’est l’image qui aura marqué la cérémonie d’hommage à Nelson Mandela, qui se déroulait mardi au stade de Soweto en Afrique du Sud : Helle Thorning-Schmidt, Première ministre danoise, prenant un “selfie” – un autoportrait avec son téléphone – en compagnie de Barack Obama et du Premier ministre britannique David Cameron. En arrière-plan, Michelle Obama, l’air concentré, ne prend pas la pose avec les trois chefs d’Etat.
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Depuis mardi, tout a été dit, ou presque, sur cette photo de l’AFP, décortiquée sur les réseaux sociaux et les sites d’infos. Ou plutôt trois choses ont été répétées en boucle.
– Michelle Obama est jalouse : parce qu’elle ne participe pas au selfie et qu’elle arbore un air sérieux, nombre d’internautes en ont déduit que Michelle Obama était jalouse du rapprochement entre son mari et la Première ministre danoise. Une hypothèse que viendrait corroborer une seconde photo sur laquelle Michelle Obama s’est placée entre Barack Obama et Helle Thorning-Schmidt. Le hic ? Plusieurs médias ont à leur tour véhiculé la théorie de la jalousie. Direct Matin qualifie ainsi la mine tout au plus sérieuse de la Première dame de « visage courroucé« , le Washington Post raconte qu’Obama « touche le bras [de Thorning-Schmidt, ndlr] avant d’afficher une mine inexplicablement sombre. La Première Dame a l’air sévère –oserions-nous dire désapprobateur ? – de bout en bout », RTBF se demande « scène de ménage chez les Obama ce soir ? » et le Huff Post anglais tweete:
The Michelle Obama death stare http://t.co/J5bUqeBcwQpic.twitter.com/psIqfnw1sd
— HuffPostUK Pic Desk (@HuffPostUKPics) 10 Décembre 2013
Ou comment sur-interpréter une photo prise sur le vif au risque de frôler la désinformation. Roberto Schmidt, le photographe de l’AFP/Getty Images auteur du cliché, a d’ailleurs expliqué dans la rubrique « Making-of » du site de l’AFP:
« Les photos peuvent mentir. En réalité, quelques secondes plus tôt, la Première dame des Etats-Unis riait et plaisantait elle aussi avec tous ceux qui l’entouraient, Cameron et Schmidt compris. L’air sérieux qu’elle a l’air de prendre sur ma photo n’est que le pur fruit du hasard. »
– Personne ne connaît la Première ministre danoise : le deuxième scandale tient au fait – selon le journal danois Politiken (repris par France Inter et Rue89) – que l’identité de la blonde sur la photo de l’AFP aurait mis deux heures a être révélée alors qu’il s’agit de Helle Thorning-Schmidt, Première ministre du Danemark. « Je ne connais pas le visage de tous les chefs de gouvernement du monde et je pense, sur le moment, qu’il s’agit d’une collaboratrice d’Obama » se justifie le photographe de l’AFP. Faute avouée à moitié pardonnée.
– Un selfie à un enterrement ? : le selfie d’Obama, Cameron et Thorning-Schmidt se pose en climax de la vague de photos-souvenir avec Mandela postées sur les réseaux sociaux par différentes célébrités après la mort du leader anti-apartheid. Il ne s’agit plus dorénavant d’être présent à un événement historique mais de mettre en scène sa propre présence, même pour la Première ministre danoise qui pourrait mettre en légende de son selfie « grosse rigolade à l’hommage à Mandela <3 Barack + David #YOLO #bff #lol". Comble du web : la photo a atterri sur le Tumblr Selfies at Funerals qui, comme son nom l’indique, compile des selfies pris à des enterrements. Interrogé par le Los Angeles Times, l’auteur du blog Jason Feifer commente : « Il n’y a tout simplement personne de plus connu au monde qui aurait pu prendre une photo à un enterrement« . True.
« Les dirigeants que je capturais se comportaient en êtres humains »
Roberto Schmidt assure de son côté ne pas avoir cherché à prendre une photo dénonciatrice : « Pour moi, le comportement de ces dirigeants qui prennent ce selfie est parfaitement naturel. Je ne vois rien à leur reprocher. J’aurais sans doute fait la même chose si j’avais été à leur place. » En définitive, c’est le comportement résolument banal des trois leaders qui fascine, le fait que, justement, beaucoup auraient agi comme eux à leur place:
« Sur le moment, je me suis dit que les dirigeants que je capturais se comportaient en êtres humains, comme vous et moi, et je m’en suis félicité. Pour une fois, personne ne prenait la pose, personne n’obéissait à des directives édictées par des directeurs de la communication. Au bout de deux heures dans ce stade, au milieu de dizaines de milliers de gens qui festoyaient, plus personne, fût-ce le président des Etats-Unis, n’était capable de rester raide comme un piquet et la mine grave… » écrit Roberto Schmidt
Quant aux accusations de narcissisme dont Obama, Cameron et Thorning-Schmidt ont fait l’objet, reportons-nous à l’analyse que fait André Gunthert, chercheur en culture visuelle à l’EHESS, du selfie : « Image connectée, le selfie se présente comme une proposition d’interaction, dans un contexte conversationnel (…) [Il] est donc tout le contraire du narcissisme : c’est l’outil d’un échange social, qui se prête à la discussion, et peut d’ailleurs être commenté au second degré. » Reste à savoir si Helle Thorning-Schmidt ira jusqu’au bout de la démarche et partagera son selfie sur les réseaux sociaux…
Pour finir, le buzz entourant cette photo s’explique aussi par la popularité du « selfie », élu mot de l’année 2013 par les Oxford Dictionnaries et pratique qui tend à contaminer le monde de l’art et de la mode. Dès lors, le selfie d’Obama, Cameron et Thorning-Schmidt se pose comme l’apothéose, la cerise sur le gâteau d’un phénomène viral qui ne semble plus épargner personne, de Rihanna à votre voisine.
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