Depuis 1992, les femmes peuvent légalement se balader seins nus à New York. Pourtant, pas sûr que vous croisiez des femmes topless en vous baladant dans la Grosse Pomme cet été.
[De New York] A ceux qui viendront à New York cet été pour voir des tits en folie, suite aux brèves « insolites » qui ont tourné sur les sites d’infos français (Libé Next, Métro, Europe1, Le Point, TF1, L’Express…), rangez les jumelles : c’est peut-être légal pour les filles de se balader sans t-shirt, mais ce n’est pas entré dans les mœurs. A la rigueur, vous tomberez sur une activiste solitaire sur Broadway, ou une poignée de membres d’un club de lecture topless caché dans Central Park. Mais ce n’est pas demain qu’une New-yorkaise vous demandera l’heure les seins à l’air sur le parvis de Grand Central.
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Certes, un mémo a été distribué en février dernier aux 34 000 policiers municipaux pour qu’ils intègrent une fois pour toutes cette décision de la cour suprême de l’Etat de New York de 1992 – c’est de là que tout part – qui dit qu’une femme peut enlever le haut dès qu’un homme peut le faire, au nom de l’égalité des sexes. Ces vingt dernières années, ce sont essentiellement des artistes excentriques qui se sont approprié ce droit. Holly Van Voast, la blonde à fausse moustache de 46 ans qu’on a vu cette semaine sur toutes les photos d’agence, est à l’origine du mémo distribué aux policiers. Depuis plusieurs années, elle se balade les seins à l’air devant les restaurants, les écoles élémentaires, et la maréchaussée tombe encore dans le panneau. C’est arrivé dix fois en 2011 et 2012. Holly Van Voast se fera peut-être un petit bas de laine dans un procès avec la ville : durant les années 2000, exhiber ses rondeurs devant un policier ignorant la loi était un bon moyen d’arrondir ses fins de mois. En cas de procès, c’est la ville qui perd. En 2005, Phoenix Feeley – artiste elle aussi – s’était faite menotter parce qu’elle se baladait à demi-nue dans l’East Village en rentrant de boîte. Deux ans plus tard elle abandonnait ses poursuites contre la ville en échange d’un joli chèque de 29 000 dollars.
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Cette semaine, une « activiste topless » a convoqué les télés pour se faire filmer en train d’acheter ses tomates au marché de Union Square, au milieu des buildings. Maia Johnston avait un rappel à la loi à faire passer. Elle se serait faite virer d’un cours de yoga pour avoir enlevé le haut, alors que des hommes étaient sans t-shirt eux aussi. « L’opinion publique doit savoir qu’il est légal pour une femme d’être sans t-shirt, partout où les hommes le sont », a-t-elle répété aux caméras. Selon elle, le fait de pouvoir se balader topless est « aussi important » que « si des noirs ne pouvaient pas enlever leur t-shirt alors que les blancs le peuvent ». BTRtv a recueilli des réactions de passants. Elles sont mitigées : « bienvenue à New York » rigole l’un. « Chez moi, dans le Kentucky, on l’emmènerait au poste pour outrage » s’enflamme une autre. « Je la félicite, il faut beaucoup de courage », remarque une troisième.
Recul des plages naturistes
En ville, la population est peu au courant de la jurisprudence topless de 1992. New York a beau être une oasis permissive à la frange d’une Amérique puritaine, il y a un gouffre entre la loi et la réalité.
« Il y a tellement d’hurluberlus dans cette ville que peu de gens tiqueront de voir une fille seins nus dans la foule à Manhattan. Mais je me sentirais un peu ridicule en public, témoigne Amy, 30 ans, rencontrée à la station de métro Union Square. C’est juste pas mon truc. »
Un coin de la ville où il est socialement admis d’enlever le haut se trouve dans le Queens, à Fort Tilden, à une heure et demi de transports de Manhattan. Une plage isolée et difficile d’accès, surtout depuis la tempête Sandy. Quant aux plages naturistes de Long Island, elles ferment les unes après les autres. Sur la plage Numéro 5 de Fire Island, spot mythique de l’hédonisme new yorkais, d’énormes panneaux sont maintenant fichés sur la plage avec la mention : « maillot de bain obligatoire » depuis ce printemps. Raisons invoquées par le New York Times : la tempête Sandy a détruit les dunes, autrefois refuge idéal pour d’éventuelles parties fines ; les riverains en ont marre ; Internet a éventé le secret, et la plage est devenue ingérable pour les autorités. Il faut désormais s’en aller sur les plages du New Jersey, comme Sandy Hook.
Club de lecture
Il n’y a guère que le club des étudiantes lectrices de romans de gare seins nus et en extérieur (The Outdoor Co-ed Topless Pulp Fiction Appreciation Society), qui essaie de banaliser le topless. Chaque week-end où le soleil pointe, il se réunit dans un lieu tenu secret. Le thème de la réunion, comme le nom du club l’indique, est de lire des Stephen King les seins à l’air. La semaine dernière, les filles se sont réunies à Central Park, près de la tombe de John Lennon. Elles se prélassent, lisent et bronzent. Elles se prennent en photo. Elles rentrent chez elles… et diffusent les clichés où elles sont le plus à leur avantage sur un compte Tumblr. Si vous êtes une femme, que vous aimez le topless et que vous n’avez rien contre le fait d’avoir des photos de vos seins barboter dans l’océan numérique pour l’éternité, écrivez-leur un email. S’il vous êtes un homme, impossible d’intégrer le club, à moins d’être coopté. Si vous êtes un menteur doublé d’un connard, faites-vous passer pour une femme, et demandez-leur par email le lieu du prochain rendez-vous. Si vous êtes un journaliste masculin, l’interview se fera par mail et pas autrement. Il faut envoyer une série de questions à la fondatrice du club, la mystérieuse « A.A. ».
La nouveauté du club (cinquante membres, mais seulement une douzaine de « régulières ») est qu’il n’est pas activiste. Les filles disent n’avoir rien à prouver. Elles sont « étudiantes, avocates, biologistes, dj, secrétaires » : des girls next door de Manhattan. Elles disent qu’elles font ça avant tout par hédonisme, « pour le plaisir et pour profiter de la loi ». Donner l’exemple et rappeler aux femmes leur droit sont des raisons secondaires. « Mais ce sont des bonnes raisons, et on est contentes de tout faire en même temps. » Les relations avec la police (trois rencontres en trois ans) ont toujours été cordiales, à leur grande surprise. Certaines activistes enlèvent le haut pour contester la sexualisation à outrance du corps féminin. Pas elles :
« Nous sommes seins nus sur l’herbe, nous nous sentons libres et sexy. Notre groupe n’est pas sexuel, mais nous concédons qu’une fille sans t-shirt peut être sexy… Qui n’a pas envie de l’être de temps en temps ? », écrit leur porte-parole.
Y a-t-il une pointe d’exhibitionnisme dans tout cela ? Elles reconnaissent que « pour certaines d’entre nous au moins, ça peut ajouter un peu de piment que les passants nous voient. En tant que femmes, on nous a appris à couvrir nos seins tout le temps, alors de les laisser à la vue d’un étranger pour la première fois peut procurer un certain frisson ».
IRL, un mouvement microscopique
La presse et Internet ont eu un effet loupe mais à l’échelle de la ville, le mouvement est microscopique. Les normes sociales et les mœurs sont plus difficiles à braver que la loi, dans un pays où donner le sein à son enfant en public est jugé déplacé.
Les filles du club de lecture n’osent pas n’importe où : uniquement dans les parcs des quartiers riches et touristiques, toujours à Manhattan et pas au delà de la 100e rue. Central Park, les marches du Met ou de la New York Public Library, l’esplanade de Battery Park, les tables de jardin devant le Flatiron building. De leur aveu, les réunions tiennent davantage de la performance que de la lecture tranquillou sans arrière-pensée : « nous recherchons à chaque fois de nouvelles aventures », dixit A.A., utilisant un terme qui siérait davantage à un couple libertin. La sensation d’interdit fait partie intégrante de l’expérience.
« Le topless n’est faisable que par ceux qui n’ont pas de problèmes plus urgents à régler »
Kamilah, 35 ans, de Harlem, ne se sent pas de le faire : « Je me fais déjà assez emmerder comme ça. A Harlem j’essuie des remarques salaces plusieurs fois par semaine, et pourtant je m’habille comme un mec. Le topless n’est faisable que par une certaine catégorie de la population, plutôt blanche et riche, qui n’a pas de problèmes plus urgents à régler, et dans des endroits bien précis. »
Autre couac, les hommes ne sont pas vraiment les bienvenus au club de lecture topless. Pourquoi ? Si l’on veut faire avancer les mœurs sur le sujet, ça pourrait être logique de ne pas rester entre femmes. A.A. avance qu’elle accepte quelques hommes triés sur le volet, en toute petite quantité.
« C’est délibéré. L’atmosphère serait différente si, au lieu de 10 femmes et 2 hommes, nous avions 6 femmes et 6 hommes. Et c’est ce que ça pourrait donner si nous laissions n’importe qui joindre le club. […] Nous accueillons les femmes et les hommes, mais [le topless] est un problème de femmes, et nous aurons toujours plus de femmes que d’hommes. »
Le topless reste une affaire qui a branché quelques dizaines de femmes grand maximum sur 4 millions d’habitantes en vingt ans, entre haussements d’épaules, encouragements et réactions négatives. La Grosse Pomme n’est pas encore le Cap d’Agde. « Nous n’enfreignons aucune loi, conclut A.A. Nous allons seulement contre les habitudes. En fait, nous serions contentes s’il tout cela n’avait plus rien de transgressif. Peut-être que ce sera le cas pour la prochaine génération, dans trente ans, alors là, nous serions ravies. »
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