Pour Nelly Kapriélian, la sortie du livre de Ségolène Royal (Femme debout) est l’exemple type de la dégradation des moeurs de l’édition et de la politique.
S’il est arrivé que des critiques cinéma soient persona non grata aux projections de certains films, on oublie trop souvent qu’il est monnaie courante pour les éditeurs de pratiquer eux aussi une forme de censure soft. Nous n’avons reçu Femme debout (Denoël), le livre d’entretiens de Ségolène Royal, que le 30 janvier, c’est-à-dire trop tard pour en rendre compte dans Les Inrocks du 3 février, soit pour la semaine de sortie du livre en librairie (le 5).
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Dès qu’il s’agit de livres dits “chauds”, les éditeurs pratiquent (trop) régulièrement ce qu’on nomme élégamment un embargo, mais qui n’est qu’une forme de censure dictée par le commerce pour mieux empêcher les journalistes de faire leur travail critique, du moins le retarder, et ainsi ne pas gêner la réception marchande du livre la semaine de sa sortie. Quand les premières vraies critiques commenceront à sortir, quelques jours voire une semaine après, les ventes seront déjà bien amorcées. Il est toujours délicieux de voir des éditeurs prêts à défiler pour la liberté de la presse dans des pays difficiles pratiquer ce type d’entraves quand il s’agit de la presse de leur pays.
Parfois, ils “oublient” même carrément de nous l’envoyer, le livre, comme ce fut le cas pour celui de Jean-Marie Messier au Seuil ! Ou alors, ils consentent à offrir généreusement à un magazine le droit de publier des bonnes feuilles – bref à faire de la promotion, ce qui revient aussi trop souvent à réduire le contenu du livre à de l’anecdotique : Ségolène et Sarko, Ségolène et Aubry, Ségolène et Strauss-Khan. Car c’est à cela qu’est de plus en plus réduite la politique française : Sarkozy et Carla, Sarkozy et Rama Yade, Sarkozy et Rachida Dati…
Au-delà d’un abaissement de la politique à des guéguerres personnelles dignes de la pire sitcom, voire même d’une “loftisation” générale de la politique, on assiste à une prise en otage privée de cette politique, mise en scène par les politiques eux-mêmes. Ils s’exhibent, se confient, se répandent, s’adressent à nous comme s’ils étaient nos “potes”.
Faut-il leur rappeler que nous ne voulons pas être leurs amis ? Que cet usage d’un langage familier n’est pas une preuve de proximité avec nous ni d’authenticité ? Si Ségolène Royal s’en tire plutôt bien dans Femme debout, n’empêche qu’elle ne peut résister à recevoir la journaliste, Françoise Degois, en jean et T-shirt dans un bistrot, comme s’il s’agissait d’une copine, d’user parfois d’un franc-parler populaire qui ne veut rien dire sinon le pire (“me battre au sang”), traiter son ancien adversaire, Sarkozy, de “petit gamin”. Au jeu de la vulgarité, Sarkozy sera toujours plus fort. Qu’au moins sur ce terrain, elle le laisse gagner.
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