Avec une lettre ouverte adressée à la future présidente de France Télévision, Jean-Luc Mélenchon fustige l’émission Secrets d’Histoire présentée par Stéphane Bern et relance le débat sur les historiens de garde.
« Nous souhaiterions maintenant que le service public d’audiovisuel joue pleinement son rôle de service public, plutôt que d’être le promoteur de la valorisation de valeurs et d’idées antirépublicaines souvent très réactionnaires. » Quand il choisit de s’en prendre à quelque chose ou à quelqu’un, Jean-Luc Mélenchon n’a pas pour habitude de prendre des pincettes. Au contraire, il frappe fort, avec des mots qui ont le goût de la dynamite.
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Épaulé par Alexis Corbière, secrétaire national du Parti de Gauche, Jean-Luc Mélenchon s’en est pris ce mardi 26 mai à l’émission de France 2 Secrets d’Histoire. Selon les deux hommes politiques, le choix des sujets, tout comme leur traitement, est partial et relève parfois de la téléologie – c’est à dire la réécriture de l’Histoire. Sous couvert de service public, l’émission présentée par Stéphane Bern serait un programme monarchiste. « Nos critiques portent sur les contenus idéologiques de ces émissions, » expliquent-ils dans leur lettre ouverte adressée à la future présidente de France Télévision.
2014, c’est l’Ancien Régime
Reprenant les chiffres d’une étude réalisée l’année dernière par l’association Acrimed, qui se présente comme « un observatoire des médias », Alexis Corbière et Jean-Luc Mélenchon soulèvent que plus d’un sujet sur deux sont consacrés à la monarchie.
« Depuis 2008, France 2 a diffusé 88 épisodes différents de Secrets d’Histoire. Sur ces 88 opus, plus de 60% sont consacrés exclusivement à des monarques et leurs favorites. Sur les moins de 40 % restant, dont l’essentiel est consacré à des artistes (écrivains et peintres), ou des personnages folkloriques et très secondaires de l’histoire universelle (Mata Hari, le chevalier d’Eon, Robin des Bois, la bête de Gevaudan, etc.) seulement 5 émissions, soit 6% ( !) de la totalité, ont été consacrées à des personnalités ou des lieux liés à la République. En voici la liste précise et exhaustive : le Général de Gaulle, Georges Clemenceau, Georges Danton, la journée du 14 juillet 1789 et le Palais de l’Elysée. C’est tout. C’est peu. »
L’étude d’Acrimed donne par ailleurs du poids aux arguments du duo du Parti de Gauche. L’auteur de l’étude prend l’exemple de l’année 2014. En un an, presque uniquement des émissions sur soit un roi, soit un empereur, soit un personnage de l’Ancien Régime (nous avons pris la liberté de mettre en gras ces cas afin d’en faciliter la lecture) :
« 25 février 2014 – Nicolas II : le dernier tsar de Russie ; 28 juin 2014 – François-Ferdinand ou la fin du monde ; 14 juillet 2014 – Danton : aux armes citoyens ! ; 15 juillet 2014 – Vacances royales. Portrait des résidences du pouvoir ; 22 juillet 2014 – La Pompadour ou le roi amoureux ; 29 juillet 2014 – Agnès Sorel, première des favorites ; 12 août 2014 – Saint Louis, sur la terre comme au ciel ; 19 août 2014 – Portrait de La Castiglione, maîtresse de Napoléon III ; 25 août 2014 – De Gaulle, le dernier des géants ; non encore programmés : La Grande-Duchesse de Luxembourg ; Gloire et douleurs de Maria Callas ; Les reines de Paris; Portrait de Louis XIV dit Le Roi Soleil ; Portrait d’Anne de Bretagne ; L’irrésistible ascension de Madame de Maintenon. »
« A mi-chemin entre le reportage people et le manifeste monarchiste »
Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbière jugent aussi le traitement de l’information partisan. Ils prennent l’exemple de la dernière émission en date, un portrait du roi Louis XVI. Ils reprochent au sujet de donner plus de place aux « petites anomalies des organes génitaux » du roi capétien, plutôt qu’à certains moments sombres de son règne. « C’est le cas pour son action et sa correspondance afin de provoquer l’intervention militaire des puissances monarchiques contre la Révolution, activités qui sont au centre des accusations de trahison portées contre lui lors de son procès. »
Plus loin, ils s’interrogent sur la tenue d’un portrait historique sur Jésus, quand dans le même temps aucune des figures de la gauche socialiste et communiste n’a eu le droit au sien – pas même Jean Jaurès. « Stéphane Bern explique que ce qu’il souhaite c’est faire rêver, nous explique Nicolas Offenstadt, Maître de conférences à l’université Paris-I. L’Histoire ce n’est pas comme ça que ça marche. De fait, les émissions ne traitent pas des passages moins glamours ou plus compliqués. »
Pour décrire Secrets d’Histoire, l’historien utilise le mot d' »histotainement ». Ce terme signifie une histoire-divertissement sans analyse critique. C’est par exemple la série les Tudors où le règne du roi Henry VIII – ponctué par sa sécession avec le Pape – est montré comme une bluette. Mais c’est aussi un storytelling autour des « grands hommes » et de leurs histoires de fesses. « L’histoire comme science sociale et comme discipline intellectuelle et critique n’intéresse pas Stéphane Bern, lui, c’est le déroulement d’un roman national dépourvu de distanciation qui l’intéresse, » continue Nicolas Offenstadt, qui a publié il y a quelques mois le livre L’Histoire un combat au présent (Textuel, 2014)
« Avec cette émission « historique », à mi chemin entre le reportage people et le manifeste monarchiste, France 2 se fourvoie une fois de plus en s’asseyant sur ses missions de service public, avec comme seul objectif, de maximiser l’audience, » déplorait en 2014 l’Acrimed. L’observatoire des médias allait jusqu’à poser la question de la légitimité du présentateur de l’émission, le très médiatique Stéphane Bern.
« Je crois dans les valeurs monarchiques comme on croit au paradis »
Si d’un côté, comme le rappelle l’association, il ne possède aucun diplôme ayant à voir avec l’Histoire, l’animateur est un monarchiste notoire. Dernièrement, il expliquait au quotidien belge La Libre Belgique :
« J’assume parfaitement d’être monarchiste. Je crois dans les valeurs monarchiques, même en France, mais un peu comme on croit au paradis. Je ne pense pas que c’est accessible tout de suite. Je suis donc obligé de passer par le purgatoire de la République telle qu’elle est dévoyée aujourd’hui. »
Une interview par ailleurs reprise sur le site de l’Action Française.
Pour autant, l’orientation politique de l’animateur n’est pas un problème, ni pour le duo du front de gauche, ni pour l’historien, Nicolas Offenstadt. « Peu importe qu’il soit royaliste, répond ce dernier. Le vrai problème c’est la manière qu’il a de traiter les sujets. Il ne crie pas « VIVE LE ROI ! » – ce serait beaucoup trop simple. Par contre les émissions vont au mieux survoler des aspects économiques et sociaux ou encore les luttes sociales afin de les minimiser. Sans compter l’approche si réductrice autour des Grands Hommes. »
France Télévision aime les historiens de garde
En 2013 déjà, Stéphane Bern était épinglé par trois universitaires dans leur livre Les Historiens de Garde. A ses côtés, on trouvait notamment Patrick Buisson et Lorànt Deutsch. Les “historiens de garde” sont des “militants réactionnaires au sens propre”, précisait alors dans la préface Nicolas Offenstadt : “Parce qu’ils valorisent un passé idéalisé et fabriqué contre ce qui leur déplaît dans le présent ; mais aussi réactionnaires dans leur conception de l’histoire ; ils négligent tous les subtils progrès d’un champ de recherche qui n’a cessé de s’ouvrir.”
France Télévision a d’ailleurs déjà essuyé des attaques au sujet de ces historiens de garde, notamment après la diffusion en 2012 sur France 5 d’une série de documentaires basés sur le livre Métronome de Lorànt Deutsch. Dans Les Historiens de Garde, William Blanc, Aurore Chéry et Christophe Naudin, démontent ainsi plusieurs anecdotes historiques exposées par l’acteur de 3-0. Ils dénoncent le fait que, via ce programme, Lorànt Deutsch tente de réécrire l’histoire de France pour en faire un roman national.
Preuve que ces programmes d’histotainement sont en partie réactionnaires, suite à la polémique sur Métronome, soulevée à l’époque déjà par Alexis Corbière, le Bloc Identitaire, Rivarol ou encore l’Oeuvre Française étaient venus au secours du soldat Deutsch.
“En parfait exemple de l’anti-France cosmopolite qu’elle représente jusqu’à la caricature, la gauche corrompue, bobo et mondialiste s’en prend désormais au Métronome de Lorànt Deutsch par sectarisme idéologique et par haine viscérale de tout ce qui est Français,“ pouvait-on lire alors sur le site de l’Oeuvre Française.
Sourire bright et « discours identitaire«
Au sujet du présentateur de Secrets d’Histoire, les auteurs des Historiens de garde estiment que « derrière une image bien lisse, Stéphane Bern n’hésite pas à développer un discours très identitaire quant au rôle qu’il voudrait assigner à l’histoire, »
Nous aurions souhaité discuter de ces questions avec la boîte de production derrière Secrets d’Histoire. Mais celle-ci a décliné notre invitation. France 2 a tout de même sorti un communiqué. La chaîne « réfute très fermement toute orientation idéologique concernant les contenus de ce programme emblématique de son antenne depuis 2007.«
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