Député PS des Hauts-de-Seine et fils d’une mère qui fut apatride, Sébastien Pietrasanta s’est détourné de sa ligne légitimiste pour contester la déchéance de nationalité.
“Je suis un vallsiste, mais la déchéance de nationalité touche à l’intimité des choses, elle transforme les sensibilités et les clivages au sein du PS.” Dans la permanence dépouillée du PS d’Asnières-sur-Seine, où Sébastien Pietrasanta nous reçoit, sa voix claque comme un coup de tonnerre.
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En dépit de son look de premier de la classe – lunettes sans monture, chemise blanche et veste à rayures – et de sa réputation de timide, le député des Hauts-de-Seine, secrétaire national du PS à la sécurité et auteur d’un rapport de 90 pages sur la déradicalisation après les attentats de janvier, sait faire preuve d’autonomie de pensée et d’indépendance d’esprit quand ses convictions les plus profondes sont en jeu.
Cet ancien prof d’histoire de 38 ans a surpris quelques confrères en publiant, le 6 janvier sur son site, une puissante tribune prenant position contre la déchéance de nationalité. “C’est la première fois que je ne suis pas dans la ligne totalement officielle du gouvernement, admet-il en haussant les sourcils. Mais je veux être à l’aise avec moi-même, avec mon ressenti et mon vécu personnel.”
En défense du droit du sol
Le débat qui agite le PS en ce début d’année transcende en effet la simple question juridique et politique : “En janvier 1957, ma mère a débarqué en France à l’âge de 5 ans avec ses parents, mes grands-parents, et son frère, mon oncle.”
“Ce statut d’apatride a été celui de ma mère”
“Ayant fui l’Egypte parce que juifs, ils se sont retrouvés en France, pays des droits de l’homme, avec le statut d’apatride. Ce statut d’apatride a été celui de ma mère durant plusieurs années, avant qu’elle ne soit naturalisée française comme toute la famille”, écrit-il.
C’est donc au nom de l’égalitarisme et en défense du droit du sol que ce député légitimiste sort du rang, alors que certains membres de la majorité proposent d’étendre la déchéance de nationalité à tous les Français. Ce pas de côté, de la part d’un homme peu habitué aux coups d’éclat, en dit long sur le malaise que suscite la proposition de réforme constitutionnelle au sein du PS.
Même SOS Racisme proteste contre le gouvernement PS
“Il a dû recevoir un coup de fil de Le Guen, qui l’a certainement couvert d’insultes, comme tout le monde”, lâche Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice PS de Paris, dont Pietrasanta fut le directeur de cabinet adjoint quand elle était secrétaire d’Etat au logement.
Deux jours plus tôt, le 4 janvier, une centaine de jeunes militants de SOS Racisme manifestent devant Solférino. “Pas de discrimination dans la Constitution”, “Binationaux = Français”, lit-on sur leurs pancartes. L’événement est exceptionnel : l’association antiraciste cofondée dans les années 1980 par Harlem Désir et Julien Dray, le mentor de Pietrasanta, proteste contre un gouvernement PS – parti dont elle a souvent été la courroie de transmission.
En 1992, de manière prémonitoire, Sébastien Pietrasanta était à leur place, dans la rue, ferraillant contre une proposition du ministre de l’Intérieur socialiste Philippe Marchand. Celle-ci – finalement rejetée par le Conseil constitutionnel – visait à instaurer des “zones de transit” dans les aéroports pour retenir les étrangers demandeurs d’asile.
Au début, Sébastien Pietrasanta milite à la gauche du PS
L’histoire familiale de l’adolescent de 15 ans a-t-elle joué un rôle dans sa présence à cette manifestation antiraciste ? Ses parents – elle ingénieure en informatique, lui médecin généraliste – l’accompagnaient en tout cas ce jour-là.
“Discret”, “timide”, “pudique” et “travailleur”
Le jeune Asniérois attrape alors le virus de la politique : il s’engage à la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL, petite sœur de SOS Racisme) puis au Parti socialiste en 1994, où il milite dans le courant de l’aile gauche fondé par Jean-Luc Mélenchon et Julien Dray, la Gauche socialiste (GS). Ceux qui l’ont côtoyé le décrivent comme quelqu’un de “discret”, “timide”, “pudique” et “travailleur”.
Le vendredi soir, il assiste assidûment aux formations thématiques. Il retient celle de Didier Daeninckx sur les rouges-bruns – le sujet de sa thèse d’histoire porte sur les mouvements de jeunesse de Doriot, Déat et Bergery –, et se souvient des conseils de Mélenchon : “Soyez exemplaires dans vos sections pour devenir incontournables, asseyez-vous au premier rang, levez-vous quand vous intervenez !”, mime-t-il en souriant.
Le terrain, plus que les grands débats
Mais les envolées lyriques et la dialectique marxiste ne sont pas son fort. “Ce qui était frappant chez lui, c’était sa passion du militantisme de terrain”, se souvient l’ex-ministre de l’Ecologie Delphine Batho, qui militait avec lui à la FIDL.
“Il avait une caractéristique, c’est qu’il ne se perdait pas dans de grands débats idéologiques, relate Julien Dray. Il avait une bonne perception de la réalité, c’est comme ça qu’il s’est implanté dans le 92, sans flonflon, avec méticulosité.” Son élection à la mairie d’Asnières en 2008, une ville de droite depuis cinquante ans, témoigne de son efficacité.
Pietrasanta assiste aux adieux de Mitterrand
Le 17 mai 1995, François Mitterrand fait sa visite d’adieu au PS après avoir transmis les rênes du pouvoir à Jacques Chirac. Pietrasanta est là avec sa sœur, au milieu de centaines de militants, la rose au poing. Le premier président de gauche de la Ve République s’adresse à la jeune génération dans un discours improvisé, et lui passe le flambeau.
“Ça m’a marqué car je m’éveillais à la politique”, se souvient aujourd’hui le trentenaire. L’homme à la rose se serait-il opposé à la déchéance de nationalité ? Vingt ans après le décès de ce dernier, le député préfère botter en touche : “Je ne fais pas parler les morts !” Comme Manuel Valls, Pietrasanta n’est pas du genre à se recroqueviller sur les totems du passé.
“La rupture d’égalité ne passe pas chez lui”
A l’instar de beaucoup de protagonistes de la Gauche socialiste, Pietrasanta opère un recentrage politique dès le milieu des années 2000. “Il s’est aligné sur les positions économiques et sociales de François Hollande, mais il a gardé une sensibilité particulière par rapport au racisme”, juge Emmanuel Maurel, leader de l’aile gauche du PS, avec qui il siégeait de 2004 à 2010 au conseil régional d’Ile-de-France.
Pour son pire ennemi, Manuel Aeschlimann (un proche de Nicolas Sarkozy), redevenu maire d’Asnières en 2014, cela confirme sa “réputation de girouette”. Ses amis politiques comprennent pour leur part sa dissidence : “Etant passé par le moule de SOS Racisme, la rupture d’égalité ne passe pas chez lui”, nuance Yann Galut, député PS qui l’a connu à la commission des lois de 2012 à 2014.
A l’Assemblée, où la réforme sera débattue à partir du 3 février, il bataillera pour trouver une “sortie par le haut” : “Je ne comprends pas que la question de l’indignité nationale ne soit pas une mesure consensuelle entre nous tous. C’est ce que je défendrai, et je ne serai pas le seul.”
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