L’union entre Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan, pourrait bien causer la scission entre le maire et ses habitants. Après un week-end du 1er Mai rythmé par des manifestations contre le candidat de Debout la France, les Yerrois se sentent trahis par leur député-maire.
Un grand soleil annonce les beaux jours. Ses rayons réchauffent les briques rouges et blanches des maisonnettes yerroises, dans l’Essonne, fief du député-maire et candidat Debout la France. Elu avec plus de 75 % des suffrages aux trois dernières élections municipales, Nicolas Dupont-Aignan est en terrain conquis. Sauf que s’il a réuni 28,62 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle, la candidate pour qui il fait désormais campagne, Marine Le Pen, n’en a recueilli que 10,72 %. Malgré la quiétude apparente, rien ne va plus dans les rues parsemées de pots de fleurs, aussi brillantes que le sourire de leur maire.
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Depuis le ralliement de Nicolas Dupont-Aignan à Marine Le Pen samedi 29 avril, les journalistes n’ont jamais été aussi nombreux à Yerres. « J’ai cru que j’allais devenir folle ! Je lui avais dit au caméraman que je ne voulais surtout pas apparaître dans le champ! Je lui ai répété trois fois. Et non, rien n’y a fait. Hier soir, ma fille me dit: ‘Alors miss TF1, comment ça va?’ J’étais hors de moi », peste une quadragénaire aux cheveux blonds méchés, sweatshirt rose bonbon sous sa doudoune sans manche. Amusés, ses amis opinent.
Chez « Kiki », dans un bar qui donne sur la place du 11-Novembre, les quatre comparses ont l’habitude de débattre, s’échanger des nouvelles. A leurs côtés, Fofana, membre de la commission consultative des handicapés d’Yerres, feuillette Le Parisien du jour.
« C’est un facho! »
Quand la question du ralliement du maire à la candidate frontiste, les mâchoires se crispent. Dominique, gaillard d’un mètre quatre-vingt-cinq, monte au créneau: « Ce mec est un facho! Je vis ici depuis cinq générations! Alors oui, il a mis trois pots de fleur dans la ville, mais ça ne fait pas de lui un bon maire. » Christelle sort son paquet de cigarettes et rétorque:
« C’est un bon maire. Il a toujours fait beaucoup de choses pour moi.
– Arrête, c’est un facho, c’est tout, tranche Dominique.
– De toutes manières, je vote Marine. »
L’aveu tombe comme un couperet. « Pas toi, quand même? », lâche-t-il, le souffle coupé. Pour éviter la question, Christelle sort fumer. Autour de la table, Fofana tente de défendre son maire: « La poste était inaccessible aux handicapés. Quand j’ai fait remonter la nouvelle au conseil municipal, la mairie a tout mis en œuvre pour remédier au problème.
“C’est pas parce qu’il construit une rampe que ça fait de lui le meilleur maire de France, s’indigne Dominique en se levant de sa chaise. Ç’aurait dû être fait bien avant. La réalité, c’est que j’ai déjà vu des gens appeler les flics parce que des jeunes faisaient du skateboard. C’est n’importe quoi, on ne peut plus rien faire dans cette ville. Kiki, tu me sers un deuxième allongé s’il te plaît. »
La nouvelle divise. Si Dominique n’a pas voté au premier tour car aucun candidat ne trouvait grâce à ses yeux, il pense sérieusement à se déplacer le 7 mai pour éviter le pire. Il participera à tous les rassemblements de cette semaine, dégouté « de voir qu’en tant qu’ouvrier, on l’assimile forcément au FN ».
« Ca me convient très bien »
Au volant d’une camionnette, Dany affirme convaincu qu’il s’alignera sur le choix de son député. A 31 ans, l’entrepreneur dans le bâtiment emploie deux personnes et touche 1 700 euros par mois, à raison de douze heures de travail quotidien. Il a longtemps hésité avant de déposer un bulletin Debout la France dans l’urne. « Je voulais voter Macron, mais c’est le fils spirituel d’Hollande. Je préfère le projet porté par Dupont-Aignan et Marine Le Pen », souffle le Franco-Espagnol. Même s’il reconnaît ne pas être d’accord avec tout le programme de la députée européenne, le chef d’entreprise n’accepte plus « de payer pour les autres ».
« Cela n’a rien à voir avec les immigrés. Je ne suis pas raciste, la preuve, je suis à 50 % espagnol. Seulement, je vois tous les jours des Polonais ou autres Européens qui arrivent ici, montent leur société pour un an, ne payent aucune charge, puis retournent dans leur pays. J’en connais autour de moi qui voteront aussi pour Marine Le Pen », poursuit l’entrepreneur.
Des commerçants gênés
Peu nombreux sont les commerçants à commenter la situation. Derrière les vitrines impeccables d’une pâtisserie du centre-ville, la femme du président de l’association des commerçants avoue que sa situation ne lui permet aucun écart. Un peu plus loin, un autre commerçant semble déboussolé. « Je verrai pour qui je voterai dans l’isoloir », lâche-t-il avant de s’assurer que son nom ne sera mentionné nulle part.
Ahlem tient un bureau de tabac à Yerres depuis sept ans. Si elle n’a pas encore eu l’occasion de voter pour Nicolas Dupont-Aignan, elle est « écœurée » du nouveau ralliement du maire, pour qui elle aurait sûrement voté aux législatives. « En tant que maire, c’est quelqu’un de bien, je n’ai rien à redire. Il vient une fois par an s’assurer que tout va bien. Mais là, avec ce retournement de situation, songe-t-elle. Je me sens trahie. » Le 7 mai, ce sera blanc ou Macron, « pour faire barrage à l’autre grande dame ».
« Si Marine ne passe pas dimanche, il a tout perdu »
Odile et Pierre rentrent de balade tranquillement. Pain frais dans les bras, la retraitée de bientôt 70 ans n’en revient pas: « En tant que maire, nous le soutenons à 100 %. Mais là, ça ne passe pas du tout. » Au point que les deux retraités ne savent s’ils revoteront pour lui pour le prochain mandat en 2020. Depuis toujours, le couple a voté à droite.
Le 23 avril dernier, ils ont choisi François Fillon. Son mari renchérit: « Ce n’est pas tant pour son programme sur la limitation de l’immigration. Là où je ne suis absolument pas d’accord, c’est sur son programme économique. » L’ancien ingénieur votera Macron ou blanc, il ne sait pas encore. Pour Odile, fonctionnaire à la CAF puis mère au foyer, ce sera blanc ou abstention.
Démissions chez Debout la France, manifestations à Yerres : quand la pilule FN ne passe pas autour de Dupont-Aignan https://t.co/X7k4S3U9uc pic.twitter.com/tD1uFbZVR9
— France Bleu (@francebleu) 1 mai 2017
Dans la rue, les badauds aussi se sentent trahis. Près de 600 personnes se réunissent depuis trois jours devant la mairie d’Yerres, pour manifester leur refus d’une telle alliance. Electeurs ou non de Nicolas Dupont-Aignan, tous accusent le coup. Lunettes de soleil sur le nez, la Yerroise arrivée depuis peu dans la ville s’étonne du tumulte causé par le ralliement: « Tous les gens autour de moi ne parlent que de ça. Tous sont terriblement choquées par la nouvelle. Certains disent qu’il va tout perdre. » Des nouveaux rassemblements auront lieu en soirée cette semaine et samedi dans la journée.
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