Traversée d’une longue histoire de violences sexuelles passées sous silence, l’industrie fait face à un nombre grandissant de plaintes. En vain ?
C’est le premier jour de la semaine de la mode parisienne, ce 28 septembre, que l’enquête est ouverte : Gérald Marie, ancien directeur Europe de l’illustre agence de mannequinat Elite, est accusé de “viol et agression sexuelle ainsi que viol et agression sexuelle sur mineur” par le parquet de Paris. Cette inculpation fait suite à quatre témoignages relatant des faits qui auraient été commis dans les années 1980 et 1990, au pic de sa gloire, et gardés secrets par les victimes présumées pendant plusieurs décennies.
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Les tops Ebba Karlsson, Jill Dodd et Carre Otis affirment, toutes trois, avoir été violées par Gérald Marie pendant leur adolescence en début de carrière. Carre Otis dénonce pour sa part « d’innombrables » viols en 1986. Une plainte est également déposée par la journaliste Lisa Brinkworth. En 1998, elle infiltre le milieu de la mode en jouant la mannequin novice, pour enquêter sur les violences dans le secteur pour la BBC. Tragique ironie, elle raconte, pendant son enquête, avoir été emmenée dans une boîte de nuit par Gérald Marie. Sur place, après de nombreux propos inappropriés, il aurait tenté de l’agresser sexuellement. « Tout d’un coup, Gérald Marie s’est assis à califourchon sur moi et a simulé un acte sexuel. Je pouvais sentir son érection. J’ai essayé de le repousser. J’étais terrifiée. J’ai cru qu’il allait me violer. Tous les agents d’Elite riaient » raconte-t-elle à 20 Minutes. Son documentaire est diffusé le 23 novembre 1999 mais menacé de poursuites judiciaires par l’agence, la BBC signe finalement un accord s’interdisant de rediffuser le travail de Lisa Brinkworth.
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Le règne du silence
Dans ce milieu traversé par une longue histoire de violences sexuelles, chacun se déleste de sa responsabilité. « Les mannequins craignent de démolir leur carrière pour un combat qu’elles savent perdu d’avance », analyse le New York Times. Pourtant, depuis le mouvement #MeToo, la mode a, de façon plus ténue, commencé à regarder sa propre violence systémique.
En 2018, le groupe Condé Nast a annoncé arrêter toute collaboration avec Mario Testino et Bruce Weber. Le photographe péruvien est accusé de harcèlement sexuel quant à Bruce Weber, il est accusé d' »exploitation sexuelle » et d' »agression sexuelle ». De son côté, Anna Wintour, rédactrice en chef de Vogue, s’est engagé à n’embaucher que des modèles âgés d’au moins 18 ans et d’interdire la consommation d’alcool sur les shoots.
Des projets, hashtags et associations voient graduellement le jour, comme #MyJobShouldntIncludeAbuse, The Modest Alliance et sa charte de conduite, le “Respect Program”.
Quelques jours avant le “scandale Elite”, Emily Ratajkowski signait une lettre ouverte dans le magazine The Cut, où elle racontait avoir été violée par le photographe Jonathan Leder en 2012. Elle y dépeint une culture d’agression comparable à une forme de rançon payée au photographe en échange de la visibilité. “Je savais qu’il fallait à tout prix impressionner le photographe, qu’il me trouve la plus belle, la sexy de toutes, qu’il me préfère” confie-t-elle, peignant ainsi une relation de domination et de déshumanisation faite norme.
Des témoignages et puis, plus rien
Malgré la multiplication de prises de parole actuelles qui semblent aussi motivantes qu’urgentes, le site Business of Fashion s’interroge sur un effet de mode superficiel plutôt qu’une véritable prise de conscience par l’industrie.
Effectivement, deux ans après leur boycott très médiatique par Condé Nast, Weber et Testino semblent intouchables. Le premier a signé en 2019 un documentaire sorti en salle sur Robert Mitchum, et continue de travailler pour la presse indépendante. Quant à Mario Testino, il expose ses clichés dans diverses galeries, tire le portrait de Kim Kardashian et publie cette année un ouvrage chez Taschen.
Pour le compte Instagram Diet Prada, qui dénonce les abus dans la mode, ces collaborations “démontrent un soutien public qui discrédite l’expérience de survivant·es et permet la perpétuation d’un tel comportement.”
D’autres photographes de mode et notamment Terry Richardson et Patrick Demarchelier ont également été accusés d' »agression sexuelle » par les mannequins Charlotte Waters et Emma Appleton pour le premier et de « harcèlement sexuel » pour le second. Leurs actes semblent tolérés comme un dommage collatéral de leur talent. “A la fois Christ et criminel” pour reprendre les mots de l’historien Claude Cernuschi, ils semblent exemptés de normes et lois du commun des mortels.
Dans un milieu qui a fréquemment érotisé les violences faites aux femmes (comme la campagne inspirée par viol en gang bang chez Dolce & Gabbana), la place de la femme continue tristement de refléter les fantasmes et les non-dits de la société.
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