Depuis la mise en circulation du Bitcoin, un épais mystère entourait le créateur de cette monnaie virtuelle. Dans une longue enquête publiée cette semaine, le magazine américain Newsweek affirme avoir mis au jour son identité. L’intéressé dément.
Avec le monstre du Loch Ness et les visages des Daft Punk, c’était le mystère qui attendait d’être résolu. Dans un article intitulé « Le Visage derrière le Bitcoin » mis en ligne le 6 mars, le magazine américain Newsweek affirme avoir levé le voile sur l’identité du créateur du Bitcoin.
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Petite parenthèse pour ceux qui auraient loupé un épisode : comme nous vous l’expliquions ici, le Bitcoin est la première monnaie électronique décentralisée et anonyme. Elle s’est développée au départ dans des milieux geeks et crypto-anarchistes, aka sur le darknet, la face cachée d’Internet, non indexée par les moteurs de recherche. Son protocole Internet aurait été inventé par un certain Satoshi Nakamoto, dont on ne savait, avant le 6 mars, vraiment pas grand chose, à part qu’il s’agissait certainement d’un pseudonyme utilisé par un groupe de programmeurs.
« Dorian Prentice Satoshi Nakamoto »
Coup de théâtre le 6 mars donc avec la publication de l’enquête de Newsweek dans laquelle on apprend que le créateur du Bitcoin s’appelle réellement Satoshi Nakamoto, qu’il est Américano-Japonais, qu’il a 64 ans et qu’il a « un penchant pour la collection de modèles de trains et une carrière enveloppée dans le secret, ayant effectué des tâches classifiées pour de grosses sociétés et l’armée américaine« . Né au Japon en 1949, Nakamoto est diplômé de l’Université de polytechnique de Californie. En 1973, celui que sa famille décrit comme très intelligent, lunatique et obsédé par la vie privée, change son nom pour « Dorian Prentice Satoshi Nakamoto ».
La journaliste Leah McGrath Goodman détaille comment elle est parvenue à l’identifier en partant de ce constat : « Il y a la possibilité que ‘Satoshi Nakamoto’ soit un pseudonyme, mais pourquoi quelqu’un qui souhaite rester anonyme choisirait un nom aussi typique. »
Goodman part alors à la recherche de tous les Nakamoto vivant aux Etats-Unis. Elle en découvre un chez Ralph Lauren à New York, un autre décédé en 2008 à Honolulu, un troisième vivant au Japon et se faisant passer pour le créateur du Bitcoin sur LinkedIn. C’est en parcourant la base de données des citoyens américains naturalisés qu’elle tombe sur un Satoshi Nakamoto dont le profil pourrait correspondre à celui du créateur d’une monnaie virtuelle. Elle obtient son mail via une société commercialisant des modèles de trains.
Mais dès que la journaliste mentionne le Bitcoin, Nakamoto cesse de répondre à ses mails. Elle contacte alors son plus jeune frère, Arthur Nakamoto, qui lui répond : « Vous voulez connaître mon frère, le physicien génial ? C’est un homme brillant. Moi je ne suis qu’un humble ingénieur. Il est très concentré et éclectique dans sa façon de penser. Futé, intelligent, les mathématiques, l’ingénierie, les ordinateurs. Dites un truc, il peut le faire« . Il lâche également :
« Mon frère est un trou du cul. Ce que vous ne savez pas à son sujet c’est qu’il a bossé sur des trucs classifiés. Sa vie a été un blanc complet pendant un moment. Vous ne pourrez pas l’atteindre. Il refusera tout. Il n’admettra jamais avoir créé le Bitcoin. »
« Il s’est donné beaucoup de mal pour protéger son anonymat »
Goodman a ensuite contacté Gavin Andresen, qui a travaillé sur le Bitcoin, et a pour ce faire correspondu avec Nakamoto pendant près d’un an par mails ou messages privés sur le forum Bitcoin Talk, ce dernier refusant de communiquer par téléphone. « C’était le genre de personne qui, si vous faisiez une erreur, pouvait vous traiter de débile et ne jamais vous reparler, raconte Andresen, à cette époque ce n’était pas clair si la création du Bitcoin était légale ou non. Il s’est donné beaucoup de mal pour protéger son anonymat« . Andresen échoue lui aussi à en savoir plus sur Nakamoto : « Il n’était jamais bavard. Nous ne parlions que du code« .
L’Australien, diplômé de Princeton, a contacté Nakamoto par mail après avoir entendu parler du Bitcoin sur un blog. Pour lui, l’anonymat de Nakamoto n’est pas un problème : « Je suis un geek. Je m’en fiche si une idée vient d’une bonne ou d’une mauvaise personne. Les idées volent de leurs propres ailes ». Au sujet de Nakamoto, il précise tout de même :
« J’ai l’impression que Satoshi le faisait vraiment pour des raisons politiques. Il n’aime pas le système que nous avons actuellement et en veut un qui serait plus égalitaire. Il n’aime pas la notion de banques et de banquiers qui s’enrichissent juste parce qu’ils détiennent les clés. »
Nakamoto coupe les ponts avec Andresen après avoir appris que ce dernier s’était rendu dans les bureaux de la CIA pour discuter du Bitcoin.
L’article insiste également sur la simplicité de la vie de Nakamoto, qui est pourtant à la tête d’une petite fortune en monnaie virtuelle, qu’il n’a jamais dépensée. Pour Andresen, la raison est à chercher du côté de son anonymat: comme toutes les transactions de Bitcoins sont transparentes, en échangeant les siens en dollars, Nakamoto attirerait automatiquement l’attention des banques, de la presse et serait donc démasqué. Finalement, il n’aura pas eu besoin de récolter ses milliers de dollars pour voir son identité étalée dans la presse internationale…
Deuxième et troisième coups de théâtre
Revirement de situation aujourd’hui. L’agence de presse américaine AP affirme avoir parlé avec Nakamoto qui aurait formellement démenti être le créateur du Bitcoin. S’il confirme que plusieurs informations publiées dans Newsweek sont vraies (comme le fait qu’il ait travaillé pour la défense et que son prénom d’origine est Satoshi), il assure n’avoir « rien à voir » avec le Bitcoin et ne pas connaître Gavin Andresen. AP précise que Nakamoto se trompe plusieurs fois au cours de l’interview dans la prononciation du terme « bitcoin », l’appelant notamment « bitcom ».
Interrogée par AP, Leah McGrath Goodman affirme que son article n’est pas mensonger : « j’ai reproduit complètement mon échange avec M. Nakamoto. Il n’y a pas eu de confusion sur le contexte de notre conversation, ni sur sa connaissance de son implication dans le Bitcoin« .
Nous avons également contacté Leah McGrath Goodman et la rédaction de Newsweek afin d’avoir des précisions concernant leur article-exclusif sur le créateur du Bitcoin. Nous mettrons notre article à jour si nous obtenons des informations supplémentaires.
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