Deux ans déjà que l’Etat, c’est lui et lui seul. Sous le masque de l’hyperprésident gesticulateur se confirme une pensée d’une affligeante pauvreté, allergique au dialogue et à l’autre. Illustration en dix points clés.
En deux ans, depuis l’Elysée, Nicolas Sarkozy a moins changé la France qu’il ne l’a fixée dans ses incertitudes. Pétri de sa suffisante, quoique légitime, autorité, le Président a mis en orbite sa promesse de “rupture” à la force d’un poignet alourdi par sa Rolex. C’est la cohésion sociale qu’il fissure à coups de réformes brutales. Au lieu de rassembler, il oppose, plutôt que de fédérer, il divise. Bateleur permanent, il semble prêt à en découdre avec le premier contradicteur venu. Mais tellement sûr de son fait et sourd à la rumeur inquiète du monde, il se croit au-dessus des autres.
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Ses discours provocateurs et insultants sont la marque de fabrique d’une idéologie de la “casse”, tous secteurs confondus, des ouvriers aux universitaires. Le mépris est sa manière désinvolte de s’adresser au peuple qu’il représente. Peu importe qu’il obéisse ou non à une stratégie délibérée de communication : la seule réalité qui compte tient aux effets de sa parole sur ses auditoires, souvent affligés par tant de condescendance. De ses propos “off”, dont il maîtrise pernicieusement les usages, aux discours publics, c’est une pure rhétorique du mépris que Sarkozy déploie savamment. Ses mots révèlent sa politique, ses insultes ses actions pratiques, sa hargne sa manière de considérer les autres.
Institutions
Un des traits saillants du mandat de Sarkozy est la fameuse “hyperprésidence”, cette façon de s’impliquer dans tous les domaines du pouvoir, de prétendre tout régler lui-même, de passer tous les jours à la télévision, de lâcher des petites phrases en permanence. Il suffit de se souvenir de la hauteur, de la présence à la fois distante et médiatiquement intermittente de ses prédécesseurs pour mesurer l’ampleur du changement. Cette omniprésence, combinée à la mise en avant de ses proches conseillers (Guéant, Guaino), relègue automatiquement dans l’ombre son Premier ministre et son gouvernement.
La constitution de la Ve République désigne la politique étrangère comme le domaine réservé du Président et stipule que le Premier ministre détermine et conduit la politique de la nation. On est très loin de cette lettre et de cet esprit quand on voit Nico Ier intervenir sur les banlieues, la presse, les universités, la politique économique, la fiscalité, les parachutes dorés, la nomination des responsables des chaînes télé-radio publiques, ou morigéner tel ou tel ministre et transformer François Fillon en Premier figurant de France. Cette façon de gouverner est aussi une manière de pervertir le fonctionnement des institutions. En concentrant le pouvoir exécutif dans ses mains et celles de personnes non élues et non politiquement responsables telles que Guéant et Guaino, Sarkozy foule au pied la séparation des pouvoirs et les mécanismes de contrepouvoir qui vont avec. L’hyperprésidence, c’est le mépris du Premier ministre, du gouvernement, du Parlement, de la Ve République et, in fine, des citoyens de ce pays.
Banlieues
Sarkozy et la banlieue, c’est d’abord l’histoire d’une instrumentalisation, d’une manipulation politique au mépris des populations. Les expressions “nettoyer au Kärcher”, “racailles”, “moutons égorgés dans la baignoire”, récupérées à l’extrême droite, ont mis le feu aux banlieues et imposé la menace barbare de sa jeunesse comme le mal absolu. Dès lors, Nicolas Sarkozy a manié bâton et belles promesses. Le candidat Sarkozy s’était ainsi engagé à lancer “un plan Marshall de la formation pour tous les jeunes de nos quartiers”. “Enjeu de civilisation”, “réinventer la ville” : lors de la présentation du plan Espoir Banlieues début 2008, et comme à son habitude, Sarkozy s’emballe et empile les superlatifs à visée médiatique.
Mais, alors que les quartiers populaires subissent depuis longtemps une forte insécurité économique et sociale – taux de chômage à plus de 20 % – qu’aucun gouvernement ne s’est donné les moyens d’endiguer, la promesse de plan Marshall du Président restera lettre morte. Fadela Amara, la secrétaire d’Etat en charge de la politique de la ville, se retrouve sans moyens et bien esseulée alors que la politique de la ville, par essence, nécessite un effort interministériel impulsé au plus haut sommet de l’Etat. Exit insertion, éducation, logement, politique de l’emploi, rénovation urbaine, réforme de la fiscalité locale, redistribution des richesses, désenclavement des quartiers… Mais après tout, Nicolas Sarkozy ne s’intéresse vraiment aux banlieues que pour y expérimenter et y mettre en scène sa politique sécuritaire hautement médiatisée.
Dialogue social
“Digne”, ou pas, “du Moyen Age” (tel que dénoncé par Ségolène Royal), le dialogue social pratiqué par Sarkozy a tout d’un dialogue de sourds. La volonté affichée de développer la négociation avec les partenaires sociaux (notamment au début de son mandat) ne peut dissimuler la réalité de sa stratégie de contournement. Lorsqu’une négociation a lieu, la menace de la faire passer en force est toujours là. Les millions de Français en colère dans les rues, les grèves à répétition n’auront jamais raison de lui : il ne les entend pas parce qu’il ne veut pas reconnaître qu’il les a vues. “Désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit”, disait-il. Personne, c’est-à-dire lui. Car tout le pays s’en aperçoit largement, puisqu’il en ressent majoritairement la triste nécessité.
Justice
Que Sarkozy n’aime pas les juges est un triste fait. Mais, plus grave, son mépris pour la profession cache sa méfiance pour l’institution judiciaire elle-même. De sorte que sa politique en la matière obéit à ce que le magistrat Denis Salas appelle un “populisme pénal”, c’est-à-dire un appel direct au peuple, une instrumentalisation de l’émotion suscitée par les crimes. En épousant la colère de la victime, il cherche à discréditer les instances chargées de répondre à la violence par le droit. Outil pénal mis au service d’une vision sécuritaire des rapports sociaux, la justice sous le joug sarkozyste impose son carcan purement réactionnaire : peines planchers, rétention de sûreté, réforme de la justice des mineurs…
Comme le soulignait Robert Badinter, la rupture juridique actuelle est celle du passage d’une “justice de responsabilité” à une “justice de sûreté”. Cette vision populiste et rétrograde s’accompagne des éternels objectifs de rentabilité qui conduisent à des réductions du volume de personnel et de juridictions. Ultime corde de son arc de justicier : sa volonté affirmée de faire disparaître le juge d’instruction afin d’accroître le contrôle des procureurs par l’exécutif. Ce projet de confier les enquêtes à un Parquet dépendant de l’exécutif “modifierait en profondeur notre régime procédural”, ont ainsi dénoncé les participants aux récents Etats généraux de la justice, dont la juge Eva Joly.
Université et recherche
C’est parce que la recherche serait “nulle” qu’il faudrait la réformer, et si possible, sans que les chercheurs eux-mêmes n’aient voix au chapitre. Mieux que personne, le Président aurait ainsi trouvé la manière de faire de l’université française l’une des plus performantes au monde : en lui imposant contre son gré la culture du résultat, de l’évaluation, de la concurrence. Habité par l’idée absurde que l’université est une entreprise comme une autre, Sarkozy opère un tournant inédit dans l’organisation du monde intellectuel. Obsédé par les classements internationaux, qui souvent ne veulent rien dire, il cherche “à mettre au pas les universitaires” (selon l’expression du philosophe Marcel Gauchet) en les rendant tributaires de la gestion de leur “patron”, c’est-à-dire du président de leur université, qui, comme le directeur d’hôpital, imposera ses choix en dehors de toute collégialité.
Tout en méconnaissant totalement le monde universitaire, Sarkozy ne cesse de le prendre de haut. Et même lorsque la quasi-totalité de la communauté de ce secteur se mobilise avec une intensité jamais vue depuis des décennies, le pouvoir ne bouge pas d’un iota. Lorsque le 22 janvier, le Président se moque des chercheurs devant un parterre d’universitaires, ou lorsqu’il récidive quelques mois plus tard en réaffirmant qu’il ne changera rien à sa politique, malgré l’exaspération sur tous les bancs des facs de France, Sarkozy affiche une position maximaliste : son dédain est la marque de son incompréhension des enjeux du savoir.
Fiscalité
On peut au moins lui reconnaître une habilité de VRP politique : Nicolas Sarkozy vendrait une Rolex à un RMiste. Il est capable sans sourciller de vanter le “travailler plus pour gagner plus” et la méritocratie pour rassembler le vote populaire tout en menant une politique économique et fiscale clairement favorable aux plus riches et aux héritiers dont la loi Tepa (travail, emploi, pouvoir d’achat), ou “paquet fiscal”, est le socle. Ainsi, les études les plus récentes montrent que les gains de pouvoir d’achat sont très fortement concentrés parmi les plus hauts revenus. L’allègement des droits de successions profite à moins de 1% des Français, ce qui conduit à la reproduction des inégalités sociales et générationnelles et va à l’encontre de l’idée même de méritocratie.
Grâce au bouclier fiscal, 3500 contribuables très aisés ont touché un chèque de plus 110000 euros en moyenne. Les exonérations sur les heures sup, dispositif dont l’efficacité est loin d’être prouvée, freine l’embauche alors que le chômage explose et vide les caisses – à hauteur de plus de 4 milliards d’euros – quand la relance publique pour l’emploi serait nécessaire. Mais Sarkozy n’en a cure au moment où la crise éclaire d’une lumière crue la teneur idéologique d’une politique. Porteur d’une fausse image de pragmatique, Sarkozy est le tenant d’une politique fiscale injuste et dangereuse pratiquée par Reagan et prolongée par Bush père et fils, à l’origine de l’explosion des inégalités aux USA et de la crise financière actuelle.
Médias et culture
Les modèles économiques de la presse et des médias audiovisuels ont beau muter à grande vitesse, à la mesure du basculement vers la société numérique, un principe de réalité s’affirme pernicieusement dans les coulisses des télés, radios et journaux : la mainmise de Sarkozy sur les médias.
Dès le début 2008, sa réforme de France Télévisions annonçait clairement ce que beaucoup avaient compris depuis des années, tant il s’est toujours positionné au coeur du système dont il maîtrise à la perfection les arcanes et dont il fréquente les grands patrons (de Lagardère à Dassault, de Bouygues à Bolloré, tous sont ses amis). De la réforme de l’audiovisuel public à l’organisation d’Etats généraux de la presse, de la nomination des présidents de France Télévisions et Radio France à la manière de recapitaliser les journaux, Sarkozy tient à tout contrôler.
La méthode est toujours la même : l’abus de pouvoir, tant il néglige les travaux des professionnels, contourne les parlementaires, considère ses interlocuteurs avec une suffisance paternaliste, voire de manière faussement complice… En osant affirmer que rien ne différencie le privé et le public, il hystérise les salariés de France Télévisions, qui, comme les autres, ont dû rentrer dans le rang de leur entreprise unique, bientôt contrôlée par l’Elysée. Réceptif aux lobbies des groupes privés, dont il sert les intérêts face au secteur public, dont il ne cesse de dire du mal, Sarkozy instaure le règne du faux-semblant : en faisant valoir son intérêt pour l’audiovisuel public, il met en place les conditions de son affaiblissement, sinon de son démantèlement.
La politique culturelle, moins évidente à percevoir, relève de cette même logique du désengagement de l’Etat : au nom de la satisfaction recherchée des publics, Sarkozy met en place une politique purement libérale, où les audiences, les profits, les fréquentations sont les seuls référents. Baisse des crédits, gel des subventions, précarisation des intermittents : la culture est à sec, Sarkozy l’a dépouillée. A la gestion avare de ses crédits, il ajoute l’ambiguïté de sa
stratégie : la nomination de Marin Karmitz à la présidence d’un obscur Conseil pour la création artistique, en parallèle à l’action de Christine Albanel, la ministre en place, participe d’une technique de mise en concurrence parmi ses propres alliés. Ce parasitage pourrait effacer d’autant plus l’action d’un ministère déjà fragilisée.
Etranger
Par sa personnalité, sa pratique, son langage et son comportement, Sarkozy est un cas de figure inédit en France dans le cadre des relations internationales. Certes, il a été reconnu pour son énergie à mobiliser l’Europe au moment de la crise ou pour son obstination à organiser le G20 et on peut être beau joueur en lui accordant ces quelques succès symboliques. Mais c’est surtout par ses écarts de langage ou ses manières cavalières que notre Président bouscule les usages diplomatiques.
Souvenons-nous du fameux discours de Dakar, texte schizophrène qui commençait par condamner le colonialisme puis poursuivait en considérant de façon très ethnocentrée et paternaliste que l’Afrique n’avait pas évolué au rythme de l’histoire. Les Africains l’ont encore en travers de la gorge et il y a de quoi : de tels propos, dans la bouche d’un chef d’Etat, en 2007, sont le signe d’une grave ignorance, ou bien d’un profond mépris, ou des deux. Mépris encore quand Sarkozy envoie des piques à Obama, ou encore quand il manie (mal) le second degré en suggérant que Zapatero n’est pas très intelligent.
Il convient quand même de noter que Sarkozy fait son Tartarin uniquement avec des démocraties ou des pays non puissants. Ainsi, il a vite ravalé ses grands projets en matière de droits de l’homme (souvenons-nous, son premier discours de Président, “Je sauverais la veuve et l’orphelin partout dans le monde”) quand il s’adresse à des dictatures à gros bras et gros contrats commerciaux comme la Russie ou la Chine.
Immigration
Dans la politique d’immigration actuelle, l’étranger est transformé en pur produit comptable. Le sarkozysme se shoote aux expulsions de sans-papiers. Les 30000 expulsions par an traduisent le credo du chef : “Je fais ce que je dis.” Les quotas camouflent l’Autre mais ils ne disent rien des noms, visages, familles brisées, injustices, morts, ni de la peur, de la chasse aux enfants, des arrestations aux guichets des préfectures, de la délation…
La politique d’immigration, assumée aujourd’hui par le ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale Eric Besson, est l’incarnation ultime et tragique du cynisme et de la déshumanisation d’une machinerie d’Etat. Exigeant de tous ses rouages et de la société qu’ils participent à la traque au profit d’une politique dont les spécialistes dénoncent l’irrationnalité économique et démographique.
La seule raison d’être de ces quotas est la mise en scène du volontarisme d’un homme élu en siphonnant l’électorat du Front national. En étendant l’autonomie préfectorale en matière migratoire, cette politique met à mal l’égalité républicaine. Dernière réforme en date, la procédure de naturalisation se fera désormais à l’appréciation des préfets, rompant avec le principe constitutionnel d’égalité devant la loi.
Sécurité et police
En faisant de la sécurité le point nodal de sa politique, Sarkozy a opéré le hold-up parfait. Racolage passif, délits commis en bande, augmentation des peines pour les récidivistes… : depuis 2002 et son arrivée à l’Intérieur, il a aligné treize lois répressives. La règle en Sarkozie ? Chaque fait divers mérite sa loi. En difficulté à l’approche d’une élection ? Sarkozy ressort son costume de superflic pour reprendre la main. A l’aube des européennes, il refait le coup avec une loi anticagoule et une autre pour lutter contre les bandes.
Peu importe que même les syndicats de police estiment que cette dernière n’est pas nécessaire au vu de l’arsenal législatif déjà existant. Peu importe que la loi sur le racolage passif mette en danger les prostitué(e)s en les poussant aux marges des villes. Peu importe que la rétention de sûreté ébranle le socle de la justice en détenant préventivement. Peu importe que certaines de ces lois soient inapplicables. Car pour le chantre de la “culture du résultat” et de “la tolérance zéro”, seul compte le temps de l’annonce médiatique gonflée aux chiffres douteux. In fine, son bilan n’est pas brillant : si les atteintes aux biens diminuent, les vols avec violence et les violences aux personnes augmentent. Le Président se targue d’un taux d’élucidation de 37 % contre 25 % en 2002 ? Cette amélioration est à mettre au crédit de la politique du chiffre qui se nourrit de petits délits (fumeurs de joints) et d’arrestations de sans-papiers.
Nicolas Sarkozy détourne à son profit les moyens humains et financiers de la police au détriment de la sécurité, et de la liberté, des citoyens qui l’ont élu. Le dernier rapport de la Ligue des droits de l’homme dénonce l’augmentation depuis son élection des atteintes aux libertés publiques (fichages, vidéosurveillance, surpopulation carcérale, explosion des gardes à vue, lutte contre le terrorisme…). Dont la mise en détention de Julien Coupat est la dernière manifestation.
Serge Kaganski, Jean-Marie Durand et Anne Laffeter
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