Le candidat socialiste Lenin Moreno a remporté la présidentielle équatorienne ce 2 avril, contre l’ex-banquier de droite Guillermo Lasso. Alors que l’ère du président Rafael Correa s’achève, la « révolution citoyenne » qu’il a engagée va-t-elle s’arrêter pour autant ?
Le nouveau président équatorien s’appelle Lenin Boltaire Moreno : deux prénoms choisis en hommage à la révolution russe et aux Lumières françaises. Ce double patronage lui portera-t-il chance pour poursuivre la « révolution citoyenne » engagée en Équateur en 2006 par son prédécesseur, Rafael Correa ? Le défi est de taille. Alors qu’il a été élu au second tour avec 51,12 % des voix, cet homme de 64 ans, paraplégique depuis une agression à main armée en 1998, devra rassembler un pays politiquement divisé, et qui fait face à une dette considérable, tout en poursuivant les avancées sociales du gouvernement de coalition au pouvoir, Alianza País. Depuis 2007, celui-ci se revendique de la « révolution citoyenne », dont les référents sont le « socialisme du XXIe siècle » et la révolution bolivarienne de Hugo Chavez au Vénézuela.
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Pour faire le point sur la situation du pays andin, qui s’est doté en 2008 d’une constitution qui reconnaît les droits des communautés indigènes – 25 % de la population -, leurs langues, leurs cultures – 14 nationalités -, au même titre que les droits de la nature, nous avons interrogé la docteure en sciences politiques Marie-Esther Lacuisse, membre de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (Opalc).
Le socialiste Lenin Moreno a gagné la présidentielle équatorienne face à Guillermo Lasso, le candidat de la droite. Après dix ans de gouvernement de Rafael Correa, incarne-t-il la continuité avec la « révolution citoyenne » ?
Marie-Esther Lacuisse – Oui, puisque Lenin Moreno a été le vice-président de Rafael Correa pendant son premier et son deuxième mandat, jusqu’en 2013. C’est ensuite Jorge Glas qui a pris sa succession, et il sera probablement le vice-président de Lenin Moreno. Ce binôme incarne à la fois la composante sociale de la révolution citoyenne avec Lenin Moreno, et sa composante plus libérale avec Jorge Glas, puisque c’est lui qui a soutenu le développement de l’activité minière et extractive en Équateur ces dernières années. Le chapeau de la « révolution citoyenne » n’est donc pas si socialiste que ce qu’on veut en voir en Europe, d’autant plus qu’elle a évolué en dix ans.
Con el corazón en la mano, agradezco a todos los que en paz y armonía fueron a votar. Seré el Presidente de todos y ustedes me van a ayudar. pic.twitter.com/fGvefY21Hc
— Lenín Moreno (@Lenin) April 3, 2017
La victoire de Lenin Moreno peut-elle être interprétée comme un soutien populaire au bilan de Rafael Correa ?
C’est un soutien, mais seulement à moitié puisque Correa a été réélu en 2009 et en 2013 dès le premier tour. Ce n’est pas le cas cette fois-ci, puisqu’il y a eu un second tour, et que Lenin Moreno a gagné avec à peine 1% d’écart. Beaucoup de critiques ont été formulées à l’égard de la politique de Rafael Correa. On lui reproche son évolution, car la « révolution citoyenne » s’est éloignée du modèle initial. C’est un modèle de gouvernement qui a dix ans, les Équatoriens sont donc en demande de renouvellement. Mais celui-ci s’est révélé très limité : Guillermo Lasso, le représentant de l’opposition, est un ancien banquier assez proche des élites traditionnelles des années 1990. Il n’y a pas d’opposition qui satisfaisait complètement la population équatorienne. Le résultat de l’élection est donc mitigé en termes d’appui à la « révolution citoyenne ».
Cifras oficiales con el 94% escrutado:
Lenín: 51,07%.
Lasso: 48,93%.
Tendencia IRREVERSIBLE, más de 200.000 votos de diferencia.— Rafael Correa (@MashiRafael) April 3, 2017
Quel est le bilan de celle-ci ?
On limite souvent le bilan de Correa à son côté dirigiste, à son pouvoir exécutif fort, au manque de consultations sur les prises de décision et aux conflits générés sur les terres amazoniennes et les zones d’extraction. L’évolution de sa politique a en effet laissé peu de place aux mouvements sociaux. En revanche il y a eu des changements positifs d’ampleur en Équateur en dix ans, notamment en matière sociale, de santé et d’éducation, où le gouvernement a beaucoup fait, ce qui explique qu’il ait encore des soutiens – notamment dans les zones rurales où la « révolution citoyenne » a beaucoup investi. Ces avancées sociales ont cependant été entachées par le fait que Correa insiste sur l’ »unité nationale », dans un pays où il y a toujours eu un droit d’expression et un pluralisme forts. On touche là au défi de la prochaine présidence.
Quel est ce défi ?
Le défi pour Moreno consiste à pouvoir poursuivre la politique sociale du gouvernement, dans un contexte où la dette est importante. Suite au tremblement de terre de 2016 qui a ravagé la côte pacifique, il y a un besoin d’investissements, il faut financer les politiques publiques, mais le déficit est énorme. Moreno va donc devoir miser sur sa politique extractive, tout en prenant en compte les avis et les revendications de la population, car il pourrait déclencher un mouvement social important.
Le Venezuela de Nicolas Maduro semble avoir servi d’épouvantail à la droite pour diaboliser Rafael Correa et son héritier. Mais la situation est-elle comparable entre ces deux pays ?
Depuis dix ans la comparaison est faite. Le Venezuela et l’Équateur ont en commun un développement économique, mais la situation n’a jamais été la même. La trajectoire des deux présidents est différente. Correa est un économiste de formation, il s’est donc occupé de la partie économique du projet de « révolution citoyenne », alors que la partie politique était surtout portée par la gauche écologiste. Il n’y a jamais eu un rejet complet des investissements privés en Équateur.
De plus, Correa a été confronté au cours de ses mandats à de fortes manifestations, comme quand il a relancé l’extractivisme, ou qu’il a mis en débat une loi pour taxer les plus gros héritages, mais il n’a pas essayé de s’accaparer le pouvoir. Les Équatoriens ont de toute façon toujours renversé les présidents lorsqu’ils ne leur convenaient plus. A l’inverse, Maduro a réalisé un coup de force vis-à-vis du Parlement la semaine dernière.
Le pays semble très divisé politiquement. Même si Lenin Moreno dispose de la majorité absolue au Parlement, faut-il s’attendre à des mouvements sociaux contre lui ?
Lenin Moreno est une figure politique qui apaise, il a toujours incarné la composante sociale de la politique de Rafael Correa, c’est ce qui le rend légitime en Équateur. Il y aura sans doute des mouvements de contestation contre les résultats, c’est courant en Équateur. Mais l’hypothèse d’un mouvement social au niveau national est improbable, car le paysage social est très fragmenté. La politique de la « révolution citoyenne » n’a pas laissé d’espace aux mouvements sociaux composés dans les années 1990.
On a beaucoup critiqué Rafael Correa pour son pouvoir autoritaire et le culte de la personnalité dont il aurait fait l’objet. Il a pourtant décidé de se retirer de la vie politique, à 54 ans. Est-ce qu’il ne prouve pas ainsi qu’il était moins attaché au pouvoir qu’on le croyait ?
La question se pose. C’est vrai qu’il a eu des élans très autoritaires dans sa façon de gérer les conflits ou d’imposer son point de vue. Le fait qu’il se retire montre qu’il s’est peut-être rendu compte de la limite de sa manière de faire de la politique. Peut-être aussi s’est-il rendu compte qu’en restant trop longtemps au pouvoir, on finit par se l’accaparer, même malgré soi. En tout cas il fallait qu’il quitte la vie politique, car tout ce qu’il aurait pu faire désormais aurait été rabaissé, du fait de la voie autoritaire qu’il avait empruntée. Le fait qu’il se retire montre qu’il ne cherchait peut-être pas tant à avoir cette méthode.
Propos recueillis par Mathieu Dejean
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