Média d’avenir, le “podcast natif” est appelé à se développer. Entretien avec la directrice de France Culture, Sandrine Treiner, sur ce support qui permet d’élargir l’audience et de dynamiser la créativité.
Après un essai l’an passé avec Superfail de Guillaume Erner, qui comptabilise 40 000 téléchargements chaque semaine, France Culture se lance dans l’aventure du podcast natif, ces contenus originaux non diffusés à l’antenne. En partenariat avec la SACD, la radio a financé cinq fictions pour 2018 : la première, Hasta dente !, série policière loufoque de Léon Bonnaffé et Cédric Aussir, est en ligne depuis début mars.
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La seconde, L’Incroyable Expédition de Corentin Tréguier au Congo, une dystopie ambitieuse imaginée par Emmanuel Suarez et réalisée par Sophie-Aude Picon, depuis début mai. Loin de n’être qu’une nouvelle mode, le podcast constitue un enjeu d’importance, tant au niveau de la créativité que de l’attractivité qu’il représente aux yeux d’un public qui construit de plus en plus son rapport aux contenus radiophoniques via le téléphone portable et les réseaux sociaux.
Pourquoi France Culture a-t-elle décidé d’investir le podcast natif ?
Sandrine Treiner — France Culture est une radio de la création. Par définition, elle doit regarder et comprendre ce qui se passe autour d’elle, y répondre et même avoir un temps d’avance. L’idée de tenter l’aventure du podcast natif s’est métabolisée après un voyage aux Etats-Unis où nous étions partis voir ce qui s’y passait. L’offre de podcast y représente 80 % de l’offre globale. Pour deux raisons : tous les contenus sonores sont en augmentation et plébiscités, et il n’y a pas là-bas de radios aussi puissantes que les nôtres en termes de contenus. Les contenus natifs sont produits par des universités, des chercheurs, des marques, etc. Nous nous sommes lancés dans le podcast pour répondre à deux questions : constitue-t-il un nouveau territoire en terme de créativité ? Nous permet-il de toucher des générations qui n’écoutent plus la radio et à qui on ne peut pas se contenter de proposer de la radio reboutiquée en podcast ?
Que change le podcast par rapport aux contenus proposés dans votre grille ?
Le format. Si vous ne vous insérez pas dans une grille, cette contrainte implose. En natif, on peut également faire des choses qui ne trouveraient pas leur espace dans une logique d’antenne. Faire de la radio “moins écrite”, au sens radiophonique classique du terme. L’adresse change, on peut utiliser la première personne du singulier. Cela correspond davantage aux habitudes des jeunes générations qui ont grandi avec les réseaux sociaux. Les territoires explorés changent également. Superfail, que nous avons lancé l’an passé, a une logique absolue à être en podcast : l’idée même du fail – chercher à comprendre la société aussi via ses échecs – est une des bases de la culture geek et des nouveaux médias.
Vous proposez depuis peu des bouquets thématiques (France Culture Physique pour le sport, d’autres sur l’info, la culture, l’international…) Que vous apporte cette curation de votre grille ?
Cela fait longtemps que sur le web ou dans notre revue on travaille nos contenus. On rêverait de faire de vrais parcours d’études personnalisés. Vous avez aimé A voix nue avec le chef Michel Olivier ? On vous propose des contenus en rapport.
Avec un algorithme façon Netflix ?
Oui, mais on rêverait de le faire à la main. Guider nos auditeurs dans la masse de nos contenus. Ces bouquets sont pour nous l’équivalents des webradios thématiques. On a fait un premier essai l’été dernier avec “le grand podcast des voyages”, qui était une boucle de contenus de divertissement et qui a très bien marché.
Que représentent les podcasts dans l’audience de France Culture ? Comment se fait la relation ?
En mars, 23,1 millions de podcasts ont été téléchargés sur France Culture. En revanche, aujourd’hui, on n’a pas d’éléments pour savoir comment cela se duplique avec l’audience de la radio. Chaque jour, 1,3 million d’auditeurs nous écoutent. 16 % de cette audience s’opère en ligne, différée ou pas.
Ce succès coûte cher en bande passante. Comment le financez-vous ?
C’est une des questions importantes. France Culture a décidé de rester sur un modèle de podcasts gratuits, ce qui est un service fourni à l’auditeur. Pour l’instant, le seul mode d’équilibrage passe par la diffusion de pré-rolls publicitaires, qui suivent le cahier des charges de la régie de France Culture, avant certains podcasts.
Ecoutez-vous ce qui se fait en France dans les boîtes de podcasts natifs comme Louie Media, Binge, Nouvelles Ecoutes ?
Oui, bien sûr. Je suis régulièrement invitée dans des tables rondes avec eux, j’ai l’impression d’être convoquée pour faire l’ancêtre ! Mais au final je trouve qu’on est à égalité de connaissance sur ce qu’on peut faire avec cet outil. Je suis attentive à leurs programmes, à la question de la distribution : comment lancer un podcast natif, le faire connaître… Pour nous, tout procède de l’antenne, qui est un amplificateur formidable, mais cela ne suffit pas à toucher les publics qui n’écoutent pas forcément la station. Il y a des pistes de travail à développer avec les distributeurs, tels qu’Amazon via Audible, ou Apple qui nous a aidés pour Haste dente. Aujourd’hui, 66 % des podcasts distribués en France viennent de Radio France, c’est un enjeu. On va bientôt créer une petite structure podcast qui va travailler sur le benchmarking, l’écriture, la réflexion. Le podcast ouvre un territoire vertigineux pour les producteurs de sons, d’histoires.
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