A partir de septembre 2018, le Fine Arts Museum de San Francisco accueille l’exposition “Contemporary Muslim Fashions” (les modes musulmanes contemporaines en français). Revenant sur les évolutions du vestiaire et des codes vestimentaires de la population musulmane à travers le monde, tout en se focalisant sur le développement de la “modest wear” (mode pudique), cette exposition protéiforme présentera les productions de nombreux créateurs, de Yves Saint Laurent à Faiza Bouguessa. Les deux commissaires d’exposition, Jill d’Alessandro et Laura L.Camerlengo, nous racontent cette manifestation qui donne à voir tout un pan de l’histoire de la mode, méconnu du grand public.
Contemporary Muslim Fashions est la première exposition à l’échelle mondiale à adopter une telle trame. Pourquoi vous êtes vous focalisées sur ce sujet ? Et comment expliquez-vous ce vide ?
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Jill d’Alessandro (conservatrice pour les arts textile du musée) et Laura L. Camerlengo (conservatrice adjointe pour les arts textile) : Le musée se situe dans un quartier où il y a une forte population musulmane, ce qui en fait l’institution idéale pour traiter ce genre de thème. Nous espérons que le public va apprécier la diversité et la richesse de la mode musulmane modeste et la créativité de ses designers. La collection du musée est majoritairement composée de pièces, vêtements, costumes ou œuvres d’art provenant de pays musulmans : nous espérons que l’exposition permettra de se rappeler que la mode et le vêtement ont longtemps été des interpolateurs d’affiliation religieuse et culturelle et cette tradition perdure encore aujourd’hui.
La mode est particulièrement utile quand elle permet de répondre aux besoins de la société. Nous sommes dans une période charnière où nous pouvons percevoir le développement d’une véritable mode pudique. Ces dernières années, elle est devenue l’un des marchés les plus importants à l’échelle mondiale. Le nombre d’articles de presse évoquant cette évolution en atteste. Le rapport mondial sur l’état de l’économie islamique publié par Thomson Reuters et DinarStandard a estimé que les achats de mode modeste représentait 44 milliards de dollars par an, soit 18 % des 243 milliards dépensés par l’ensemble des consommateurs musulmans sur l’ensemble des vêtements.
Le monde a pris conscience du pouvoir d’achat de la population musulmane et ça a suscité un réel intérêt chez les grands investisseurs occidentaux (ce qui a d’ailleurs donné des déclinaisons « modest wear » chez des grandes marques comme Zara ou H&M, ndlr). C’est ce qui a permis de mettre en lumière le travail de designers internationaux, présentés dans notre exposition mais aussi de montrer la diversité et l’étendue de ce secteur.
Comment avez-vous construit l’exposition ?
Nous avons travaillé sur cette exposition pendant près de deux ans. L’islam est une religion mondiale : nous nous sommes efforcés d’avoir une approche globale pour cette exposition et nous avons cherché à regarder du côté des jeunes créateurs. Ça serait impossible de couvrir l’ensemble de cette scène donc nous nous sommes focalisés sur certaines régions du monde où l’on a remarqué, ces dernières années, un nouveau rayonnement : le Moyen-Orient, la Malaisie, l’Indonésie, quelques communautés européennes et américaines en font partie.
Nous avons traversé la baie de San Francisco, l’état de New York, Jill s’est aventurée en Indonésie, en Malaisie, en Arabie Saoudite, en Angleterre pour effectuer des interviews et faire le tour des studios des designers sélectionnés pour cette exposition. Nous avons également essayé de suivre l’ensemble du développement national et international de la mode pudique en contactant les designers sur Internet. Nous avons établi un dialogue, partagé la trame de notre exposition et on leur a demandé de nous envoyer leurs portfolios. Ce fut un processus très collaboratif et enrichissant.
Cette manifestation est protéiforme bien qu’elle prenne pour sujet principal la mode. Pourquoi avoir choisi de confronter différents supports comme la photographie ou la vidéo? Etait-ce pour souligner la richesse et la complexité d’une telle problématique ?
En plus de la mode, nous avons intégré à cette manifestation la photographie, la vidéo et les réseaux sociaux. Nous avons non seulement essayé de représenter la diversité des styles vestimentaires en fonction des pays ou des régions du monde, mais nous voulions aussi mettre en lumière d’autres formes d’interprétations, plus artistiques, sur ce qui concerne les stéréotypes et le droit des femmes. Nous avons choisi des artistes qui abordent ces questions avec finesse et subtilité.
Nous avons pu constater une imbrication progressive entre la mode traditionnelle et la mode contemporaine, plus mainstream. Comment expliquez vous cette évolution ?
La mode pudique portée par les femmes musulmanes a longtemps été représentée comme une forme de toile monochromatique. L’islam est une religion multi-ethnique, façonnée par des individus de cultures, de régions diverses. Les styles vestimentaires musulmans se distinguent donc par leur variété. Il y a des différences culturelles, générationnelles et des pièces qui correspondent davantage à la mode « mainstream ». Chez les jeunes designers, tradition et modernité vont de pair, et on perçoit cette interaction, ce dialogue dans leur travail.
Les vêtements permettent d’affirmer une identité mais peuvent aussi être utilisés comme des armes de contestation. Comment êtes-vous parvenus à rendre compte des deux ?
Les musées ne sont pas des lieux de polémiques. Ce sont des lieux qui encouragent à la réflexion à travers différents thèmes portés lors des expositions. Beaucoup de créateurs utilisent la mode pour véhiculer une image positive et rejeter les différents préjugés accolés à la population musulmane. Beaucoup d’influenceurs utilisent leur style et la mode pour pousser à la discussion. Pour eux, le vêtement est un outil pour pointer certaines questions comme les nouvelles pratiques de production de vêtements éthiques, le genre, la race, les inégalités sociales et religieuses. Pour d’autres, leur production est une véritable arme de contestation, comme la marque Slow Factory.
Contemporary Muslim Fashions, De Young Museum, Fine Arts Museum of San Francisco, du 22 septembre 2018 au 6 janvier 2019.
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